A la recherche de la loi applicable au contrat de travail
14 février 2017
Par quatre arrêts rendus le 19 janvier 2017, la Chambre sociale de la Cour de cassation affine les critères de détermination de la loi nationale applicable à une relation de travail présentant un « élément d’extranéité » – employeur implanté dans un Etat autre que celui du lieu de travail, salarié changeant temporairement d’Etat d’affectation, etc.
La mise en œuvre de ces critères demeure néanmoins complexe.
Les critères de détermination de la loi applicable au contrat de travail
Au sein de l’Union européenne, les règles de détermination de la loi applicable à un contrat de travail sont fixées par un Règlement européen n°593/2008 du 17 juin 2008.
Ce Règlement a remplacé la Convention de Rome du 19 juin 1980, qui reste néanmoins applicable au Royaume-Uni et au Danemark –Etats qui n’ont pas ratifié le Règlement– ainsi qu’aux contrats de travail conclus avant l’entrée en vigueur de celui-ci, le 17 décembre 2009.
En application de ces normes :
- les parties sont libres de choisir la loi applicable à un contrat de travail. Ce choix peut d’abord être explicite et résulter d’une clause désignant une loi donnée.
Il peut également être tacite et résulter des dispositions du contrat ou des circonstances ; - en l’absence de choix, la loi applicable est schématiquement celle du pays dans lequel ou à partir duquel le salarié « accomplit habituellement son travail ». Néanmoins, si les circonstances permettent d’établir un lien plus étroit avec un autre pays, la loi de celui-ci doit recevoir application ;
- dans un cas comme dans l’autre, le choix d’une loi par les parties ne peut avoir pour effet de priver le salarié de la protection que lui assurent les « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » ou les « dispositions impératives » plus favorables de la loi qui serait applicable à défaut de choix.
Ces « dispositions impératives » sont définies par chaque loi nationale. En France, sont reconnues comme telles les règles relatives à la reconnaissance d’un contrat de travail, à la durée du travail, au licenciement, à l’hygiène et la sécurité ou à la protection des représentants du personnel, entre autres.
La Cour de cassation a interprété certaines de ces règles dans quatre arrêts du 19 janvier 20171.
Le choix d’une loi doit résulter sans équivoque des termes du contrat de travail
Dans ses deux premiers arrêts, la Cour de cassation se prononce sur la question du choix tacite d’une loi, eu égard aux termes du contrat dans le premier, et aux conditions d’exécution de la relation de travail dans le deuxième.
Dans les faits à l’origine du premier arrêt, le contrat de travail conclu entre une société anglaise et un salarié travaillant en France ne visait pas explicitement la loi anglaise.
Néanmoins, le contrat était rédigé en langue anglaise, la période d’essai et la durée du travail étaient typiques du droit anglais, la procédure disciplinaire de droit anglais était décrite dans le contrat, etc.
La Cour de cassation approuve la Cour d’appel d’avoir déduit de la teneur du contrat que les parties avaient fait le choix tacite d’appliquer la loi anglaise.
Dans le deuxième arrêt, la loi applicable n’était pas non plus désignée dans le contrat de travail, mais l’exécution et la rupture de celui-ci s’étaient déroulées selon les règles de droit allemand.
Se montrant beaucoup plus restrictive, la Cour de cassation considère que ces circonstances de fait ne suffisent pas à caractériser un choix tacite de cette loi par les parties.
En pratique, des références précises aux dispositions d’une loi nationale dans le contrat sont donc essentielles pour qu’une partie puisse se prévaloir du choix implicite de cette loi.
A défaut de choix, le lieu habituel de travail constitue le critère essentiel de détermination de la loi applicable
A défaut de choix exprès ou implicite, la loi applicable est en principe celle de l’Etat dans lequel le salarié « accomplit habituellement son travail ».
Ni le Règlement ni la Convention de Rome ne donnent de précisions sur cette notion. La Cour de cassation en apporte deux.
Dans le troisième arrêt rendu le 19 janvier 2017, elle estime que la fixation contractuelle du lieu de travail par les parties constitue un élément clé de détermination du lieu habituel de travail, et donc de la loi applicable.
En l’absence de telle mention, il semble falloir s’en remettre à une appréciation concrète de la situation.
C’est ce que fait la Cour de cassation dans son quatrième arrêt.
La Cour de cassation se prononce sur la question de la juridiction compétente pour statuer sur un contentieux de droit du travail international, question qui relève d’un autre Règlement européen. Le critère du « lieu habituel de travail » étant commun à ces deux Règlements, la solution retenue par la Cour est toutefois transposable au régime de la loi applicable au contrat.
La Cour indique que « le lieu de travail habituel est l’endroit où le travailleur accomplit la majeure partie de son temps de travail pour le compte de son employeur en tenant compte de l’intégralité de la période d’activité du travailleur ».
Elle précise également « qu’en cas de périodes stables de travail dans des lieux successifs différents, le dernier lieu d’activité devrait être retenu dès lors que, selon la volonté claire des parties, il a été décidé que le travailleur y exercerait de façon stable et durable ses activités ».
C’est donc le lieu d’accomplissement de la plus longue période d’emploi, ou à défaut de la dernière de ces périodes, qui déterminerait la loi applicable.
La recherche de la loi applicable demeure complexe
Malgré ces précisions jurisprudentielles, la désignation d’une loi nationale reste un exercice périlleux.
En outre, en présence d’une relation de travail internationale, l’application du Règlement ou de la Convention peut amener le juge saisi à faire application d’une loi nationale autre que la sienne ; cette source de complexité supplémentaire peut inciter les juridictions à se prononcer par commodité en faveur de l’application de leur loi nationale.
En désignant explicitement une loi dans les contrats de travail, les parties s’épargneront une partie de ces difficultés.
Note
1 Cass. Soc. 19 janvier 2017 n°15-20095, 15-23274, 15-13599 et 15-22835.
Auteur
Xavier Cambier, avocat en droit social
A la recherche de la loi applicable au contrat de travail – Article paru dans Les Echos Business le 8 février 2017
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