L’insuffisance des apports ne constitue pas une faute de gestion
Le dirigeant d’une société, également associé de celle-ci, commet-il une faute de gestion lorsque les apports consentis lors de sa constitution sont insuffisants ?
Certains juges du fonds avaient pour habitude de condamner le dirigeant associé, en cas de liquidation judiciaire, à supporter une partie du passif lorsque «l’extrême modicité du capital social portait en elle-même les germes des difficultés qui allaient être révélées aux associés dès leur première assemblée générale» (CA Rouen, 20 oct. 1983 : D. 1983, p. 163 ; CA Aix-en-Provence, 16 mai 2001 : BRDA 2002/3, n°7). Cette solution était cependant contestable pour deux raisons principales. D’une part, une faute de gestion est définie comme un acte préjudiciable à la société accompli dans l’exercice de son pouvoir de gestion, par un dirigeant social. De toute évidence, l’apport en société ne participe pas du pouvoir de gestion. D’autre part, un acte de gestion suppose, par définition, que l’activité sociale ait débutée. Or, l’apport en société effectué au moment de la constitution de la société est antérieur au début de l’activité sociale. La solution qui présidait jusqu’alors n’était donc sans doute pas à l’abri de contestations.
Par un arrêt rendu en date du 10 mars 2015 par sa chambre commerciale (n°12-15.505), la Cour de cassation a apporté un frein salutaire à cette jurisprudence. En l’espèce, une SARL avait été placée en liquidation judiciaire et la gérante avait été assignée par le liquidateur en responsabilité pour insuffisance d’actif. Celle-ci avait, en particulier, été condamnée en appel pour faute de gestion au motif qu’elle n’avait pas «apporté à la société qu’elle créait des fonds propres suffisants pour assurer son fonctionnement dans des conditions normales». La cour d’appel, dans cette affaire, avait donc fait application de la jurisprudence précitée. L’arrêt est cependant cassé au motif que «l’insuffisance des apports consentis à une société lors de sa constitution, qui est imputable aux associés, ne constitue pas une faute de gestion».
Cette solution est bienvenue. En particulier depuis les réformes législatives successives qui ont supprimé l’exigence de capital social minimum dans les SARL et les SAS. La position inverse conduisait, de fait, à imposer un capital minimum. Il faut encore observer que la solution, rendue sous l’empire de textes qui ont, depuis les faits, été réformés, devrait être reproduite car la version actuelle de ceux-ci ne se départit pas substantiellement de l’ancienne, s’agissant de l’action en responsabilité pour insuffisance d’actif. Il y a donc lieu de considérer que la responsabilité d’un associé également dirigeant social ne pourra plus être recherchée, sur le fondement de la faute de gestion, en raison d’un apport insuffisant. Mais une incertitude pourrait persister : la responsabilité d’un associé pour insuffisance d’apport pourrait-elle être engagée sur le fondement du droit commun de la responsabilité ? La faute de négligence est largement consacrée en droit commun et il n’est pas exclu que celle-ci puisse être plaidée dans les mois à venir.
Auteur
Arnaud Hugot, avocat spécialisé en fusions & acquisitions, y compris sur les opérations de LBO, la mise en place de joint-ventures et les opérations de projet
*L’insuffisance des apports ne constitue pas une faute de gestion* – Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 4 mai 2015