L’indemnité de licenciement des journalistes : l’apport des récentes décisions de la Cour de cassation
19 juin 2015
La Cour de cassation, et dans une moindre mesure certains juges du fond, viennent d’apporter de précieux enseignements en ce qui concerne l’indemnité de licenciement due aux journalistes dont le contrat de travail est rompu.
Les décisions rendues au début de l’année 2015 visent plus particulièrement l’indemnité de licenciement versée en cas de rupture conventionnelle, celle revenant à un journaliste déclaré physiquement inapte par la médecine du travail à exercer ses fonctions, ou la compétence de la commission arbitrale des journalistes, notamment lorsque la rupture du contrat de travail s’inscrit dans le cadre d’un plan de départs volontaires. Un éclairage mérite d’être apporté sur ces différents sujets.
L’indemnité de licenciement revenant à un journaliste : les principes généraux
L’article L 7112.3 du Code du travail prévoit que si l’employeur se trouve à l’initiative de la rupture du contrat de travail, le journaliste a droit à une indemnité qui ne peut être inférieure à la somme représentant un mois, par année ou fraction d’année de collaboration, des derniers appointements (le maximum des mensualités étant fixé par ce même texte à quinze).
Etant ici précisé que, lorsque l’ancienneté du journaliste excède quinze années ou lorsque l’intéressé est licencié pour faute grave, quand bien même il compte moins de quinze années de présence, la commission arbitrale des journalistes doit être saisie pour déterminer l’indemnité due.
Les mêmes règles s’appliquent, selon l’article L 7112-4 du Code du travail, dans l’hypothèse où c’est le journaliste qui se trouve à l’initiative de la rupture, et que celle-ci est motivée par la cession du journal ou du périodique, la cessation de la publication du journal ou du périodique pour quelque cause ce soit, ou le changement notable dans le caractère ou l’orientation du journal ou du périodique dès lors que ce changement crée, pour le journaliste, une situation de nature à porter atteinte à son honneur, à sa réputation ou, d’une manière générale, à ses intérêts moraux.
Notons enfin qu’un journaliste licencié pour faute grave peut se voir néanmoins octroyer une indemnité de licenciement par la commission arbitrale des journalistes (article L 7112-4, avant dernier alinéa, du Code du travail), ce qui constitue une entorse importante au principe général selon lequel un salarié licencié pour faute grave se voit privé de cette indemnité.
Quelle indemnité le journaliste doit-il percevoir en cas de rupture conventionnelle de son contrat de travail ?
En cas de rupture conventionnelle du contrat de travail, l’article L 1237-13 du Code du travail précise que le salarié est éligible à une indemnité spécifique de rupture conventionnelle dont le quantum ne peut pas être inférieur à celui de l’indemnité prévue à l’article L 1234-9 du même Code (soit l’indemnité de licenciement de droit commun dont le calcul est défini par l’article R 1234-2 de ce Code, c’est-à-dire 1/5e de mois de salaire par année d’ancienneté auquel s’ajoutent 2/15e de mois par année d’ancienneté au-delà de dix ans d’ancienneté).
L’indemnité de licenciement revenant aux journalistes étant quant à elle définie par l’article L 7112-3 du Code du travail, certains ont considéré que l’employeur, en cas de rupture conventionnelle, était redevable de cette indemnité, et non de l’indemnité de droit commun définie ci-avant (d’un montant par définition très inférieur).
Dans l’affaire tranchée par la Cour de cassation le 3 juin 2015 (n°13-26799), la Cour d’appel avait retenu que l’avenant n°4 du 18 mai 2009 à l’accord national interprofessionnel sur la modernisation du marché du travail du 11 janvier 2008 n’était pas applicable au litige, que les articles L 1234-9, R 1234-1 et R 1234-2 du Code du travail ne fixaient pas un mode de calcul unique de l’indemnité de licenciement mais un mode de calcul minimum auquel il pouvait être dérogé, et que l’indemnité de licenciement du journaliste prévue à l’article L 7112-3 du Code du travail constituait une indemnité de licenciement au sens de l’article L 1234-9 du Code du travail auquel la convention de rupture conventionnelle ne pouvait pas déroger par application des dispositions de l’article L 1237-13 du même Code.
La Haute Cour a censuré cette analyse en jugeant très clairement que l’article L 1237-13 du Code du travail se réfère aux seules dispositions de l’article L 1234-9 du même Code, de sorte que le calcul de l’indemnité due au journaliste en cas de rupture conventionnelle de son contrat de travail est celui prévu par les articles R 1234-1 et R 1234-2 de ce Code.
En conséquence et pour conclure, l’indemnité spécifique de rupture conventionnelle susceptible de revenir à un journaliste voyant son contrat de travail rompu dans le cadre de ce dispositif, ne peut prétendre qu’à l’indemnité légale de licenciement de droit commun (application de la formule 1/5e de mois de salaire par année d’ancienneté auquel s’ajoutent 2/15e de mois par année d’ancienneté au-delà de dix ans d’ancienneté).
Quelle indemnité le journaliste doit-il percevoir en cas de licenciement pour inaptitude physique constatée par le médecin du travail ?
Il est constant qu’un salarié déclaré physiquement inapte par le médecin du travail consécutivement à un accident du travail ou une maladie professionnelle, doit percevoir une indemnité spéciale de licenciement qui, sauf dispositions conventionnelles plus favorables, est égale au double de l’indemnité visée à l’article L 1234-9 du Code du travail, conformément à l’article L 1226-14 du même Code.
Dans un tel cas, le salarié doit-il, comme pour la rupture conventionnelle, percevoir le double de l’indemnité légale de licenciement de droit commun calculée conformément à l’article R 1234-2 du Code du travail, ou le double de l’indemnité calculée conformément à l’article L 7112-3 de ce Code ?
La même réponse que celle apportée par la Cour de cassation dans son arrêt du 3 juin 2015 doit à notre sens être envisagée, à savoir qu’il doit s’agir d’une indemnité égale au double de celle calculée en application de l’article R 1234-2.
Sur ce même thème, un journaliste licencié en raison d’une inaptitude physique consécutivement à une maladie professionnelle reconnue par la CPAM et comptant plus de quinze ans d’ancienneté, a saisi la commission arbitrale des journalistes aux fins de solliciter une indemnité égale au double de l’indemnité de licenciement calculée en application de l’article L 7112-3 précité (ce qui représentait la somme de 440.000 euros environ).
La commission arbitrale des journalistes, qui n’a pas suivi l’analyse de ce journaliste lui a, aux termes d’une sentence en date du 4 janvier 2012, octroyé une indemnité équivalente à 220.000 euros.
Ce journaliste a saisi le Conseil de Prud’hommes de Paris aux fins de solliciter la condamnation de son employeur à lui régler, une seconde fois, la somme de 220.000 euros. Le Conseil de Prud’hommes, suivant en cela l’argumentation de l’employeur, a par un jugement en date du 27 janvier 2015 (RG n°13/14616) considéré que seule la commission arbitrale des journalistes était compétente pour déterminer le quantum de l’indemnité de licenciement, et a déclaré irrecevable la demande du journaliste. Ce dernier ayant interjeté appel dudit jugement, la cour d’appel de Paris sera amenée à trancher prochainement cette question.
La commission arbitrale des journalistes est-elle compétente pour se prononcer sur l’indemnité de licenciement revenant à un salarié dont le contrat de travail est rompu à l’occasion d’un plan de départs volontaires?
Dans une série d’arrêts qu’elle a rendus le 9 avril 2015 (pourvois n°13-23.588 13-23.589 13-23.590 13-23.591 13-23.630 13-23.631 13-23.632 13-23.633 13-23.883 13-23.884 13-23.885 13-23.886), la Haute Cour a eu à se prononcer sur la compétence de la commission arbitrale des journalistes pour connaître de l’indemnité de licenciement susceptible de revenir aux journalistes en cas de rupture de leur contrat de travail intervenant à l’occasion d’un plan de départs volontaires.
Dans l’affaire ainsi soumise à la Cour, l’employeur, dans le cadre d’un plan global de modernisation imposant la mise en oeuvre d’un licenciement collectif pour motif économique, a élaboré un projet de plan de sauvegarde de l’emploi en permettant aux salariés potentiellement concernés par la suppression de leur poste de se porter volontaires au départ. Plusieurs journalistes ont ainsi conclu avec leur employeur une convention de rupture amiable pour motif économique, prévue au titre des départs volontaires dans le cadre du plan de sauvegarde de l’emploi. Ils ont ensuite saisi la commission arbitrale des journalistes pour voir fixer leur indemnité de licenciement.
La Cour de cassation a jugé, en premier lieu, qu’en application des dispositions des articles L 7112-3 et L 7112-4 du Code du travail, la saisine de la commission arbitrale suppose, outre la condition d’une ancienneté excédant quinze années, une rupture à l’initiative de l’employeur.
Faisant application de ce postulat au cas d’espèce, elle a ensuite considéré que la rupture du contrat de travail pour motif économique pouvant résulter non seulement d’un licenciement mais aussi d’un départ volontaire dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi, la cour d’appel, qui a constaté que le départ décidé par les salariés entrait dans le champ d’application de ce plan, en a exactement déduit que leur contrat avait fait l’objet d’une résiliation amiable, ce qui excluait une rupture à l’initiative de l’employeur.
En d’autres termes, la Cour de cassation exclut la compétence de la commission arbitrale des journalistes pour fixer le quantum de l’indemnité de licenciement en cas de départs volontaires, dès lors que cette résiliation amiable ne se présente pas comme une rupture à l’initiative de l’employeur.
Quel recours contre la décision de la commission arbitrale des journalistes ?
L’article L 7112-4 du Code du travail précise expressément, en son dernier alinéa, que la décision de la commission arbitrale des journalistes est obligatoire et ne peut être frappée d’appel.
Par une décision en date du 15 avril 2015 (n°13.27759), la Cour de cassation a considéré que ces dispositions ne méconnaissaient pas le droit à un recours juridictionnel effectif.
Relevons également que le Conseil Constitutionnel a été saisi, le 9 mars 2012, par la Cour de cassation (Chambre Sociale, arrêt n°962 du 9 mars 2012), d’une question prioritaire de constitutionnalité posée par une entreprise de presse, relative à la conformité aux droits et libertés que la Constitution garantit de l’article L 7112-4 du Code du travail. Il était soutenu qu’en prévoyant que la décision rendue par la commission arbitrale des journalistes ne peut faire l’objet d’aucun recours, les dispositions de cet article portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif.
Aux termes d’une décision en date du 14 mai 2012, le Conseil Constitutionnel a estimé au contraire que les dispositions de l’article L 7112-4, dernier alinéa, du Code du travail étaient conformes à la Constitution.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social
*L’indemnité de licenciement des journalistes : l’apport des récentes décisions de la Cour de cassation* – Article paru dans Les Echos Business le 17 juin 2015
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