Le limited partnership à la française
Le projet de loi Macron, récemment adopté en première lecture par les députés, entend créer un nouveau véhicule de capital investissement : la société de libre partenariat1 (SLP).
Avec ce nouveau véhicule, le législateur souhaite renforcer l’attractivité de la place de Paris, en la dotant d’une structure qui puisse concurrencer les «limited partnerships» anglo-saxons et les sociétés en commandite spéciales luxembourgeoises2.
Le régime juridique de la SLP
La SLP est envisagée comme une forme particulière de société en commandite simple (SCS) entrant dans le champ des fonds professionnels spécialisés (FPS) de l’article L. 214-154 du Code monétaire et financier (CMF), la catégorie la plus souple des fonds d’investissements alternatifs (FIA) par nature de l’article L. 214-24-II du CMF. Ainsi, qu’elle soit autogérée ou qu’elle s’appuie sur un gestionnaire externe relevant de la directive 2011/61/UE (le Gestionnaire), la SLP est tenue de désigner un dépositaire comme tous les autres FIA par nature. Cette double nature de la SLP (SCS et FIA) en fait un objet juridique unique.
Particularités par rapport à la SCS
Tout d’abord, l’article L. 211-14 du CMF serait modifié pour que les parts émises par la SLP, même si elles ne sont pas négociables, relèvent de la catégorie des titres financiers3.
Pour tenir compte du régime particulier des FPS, les SLP pourraient établir leurs statuts en anglais dès lors que l’extrait pour le registre du commerce et des sociétés est en français. En outre, les SLP pourraient émettre différentes catégories de parts donnant des droits différents sur l’actif du véhicule, tant durant sa vie qu’au stade de sa liquidation.
Si l’objet de la SLP est par nature plus restreint que celui d’une SCS classique puisqu’elle est constituée en vue de gérer un portefeuille d’actifs, il n’est pas cantonné aux seuls instruments financiers puisque ces actifs doivent respecter les quatre conditions classiques des FPS : avoir la nature de bien, ne pas faire l’objet de sûretés autres que celles nécessaires à la gestion, pouvoir faire l’objet d’une valorisation fiable et disposer d’une liquidité en ligne avec celle du véhicule.
Pareillement, une SLP pourrait non seulement disposer de plusieurs patrimoines organisés autour de compartiments répondant de manière indépendante de leur passif avec leurs actifs propres mais également réaliser des émissions de parts selon les mêmes règles d’engagement que les autres véhicules de capital investissement.
Enfin, la SLP n’est pas soumise au régime classique de la faillite.
Particularités par rapport aux FIA
Comme toutes les SCS, la SLP compterait deux types d’associés, les commanditaires et les commandités. Toutefois, à la différence des commanditaires, les commandités ne sont pas tenus de répondre aux conditions classiques applicables aux investisseurs dans les FPS.
Un autre point de différence avec les autres FPS réside dans le fait que le projet prévoit que les statuts de la SLP constituent son prospectus là où les statuts de la SICAV ne sont qu’un document lié, mais indépendant, du prospectus.
Toutefois, c’est sur son organisation interne que la SLP apparaît particulièrement innovante.
A la différence des SCS classiques, le projet prévoit que la SLP compte un ou plusieurs gérants qui n’ont pas nécessairement la qualité d’associé. Ce statut de gérant est distinct de celui de Gestionnaire qui est défini comme la personne assumant le pouvoir de gestion du portefeuille, réservé au Gestionnaire. Ainsi, le gérant n’est pas nécessairement le Gestionnaire et ce dernier n’est pas non plus, du seul fait de sa capacité à prendre des décisions d’investissement et à représenter la SLP à cette fin, un gérant.
Dès lors, la SLP permettrait une organisation beaucoup plus fine de sa gouvernance si celle-ci n’est pas autogérée (lorsque le gérant n’est pas également le Gestionnaire) en distinguant les pouvoirs réservés aux associés (commandités ou commanditaires), ceux réservés au gérant responsable de la gestion externe et ceux enfin du Gestionnaire. Les investisseurs pourraient ainsi être beaucoup plus consultés et intervenir durant la vie du véhicule par rapport à la dynamique habituelle des FIA français.
Le régime fiscal de la SLP
Un véhicule transparent
S’il était adopté en l’état, le texte créerait un nouvel article 1655 sexies A dans le Code général des impôts (CGI) qui disposerait que les SLP «sont réputées ne pas avoir de personna¬lité distincte de celle de leurs membres pour l’application des impôts directs (…) les associés sont personnellement soumis à l’impôt sur le revenu ou à l’impôt sur les sociétés (…) pour la part des revenus et gains sociaux corres¬pondant à leurs droits dans la société.»
La SLP serait donc fiscalement transparente, et ce même pour la part de revenus revenant aux associés ayant une responsabilité limitée. Cette spécificité constitue une rareté en droit français, dans la mesure où d’une part, les sociétés en commandite simple, pour la partie de leurs bénéfices revenant aux associés indéfiniment responsables, relèvent de l’article 8 du CGI et ne sont donc pas transparentes mais seulement translucides et d’autre part, la responsabilité limitée des associés commanditaires était jusqu’à présent un facteur d’assujettissement à l’impôt sur les sociétés.
Dans la mesure où il n’existe pas de limite s’agissant de la nationalité des associés et de la localisation des investissements, il convient d’esquisser rapidement les conséquences d’une activité internationale de ces véhicules.
Le traitement de la SLP dans l’ordre international
En tant que véhicule transparent, la SLP ne devrait pas pouvoir être considérée comme résidente de France pour l’application des conventions fiscales. La convention fiscale applicable serait donc celle conclue entre le pays de source du revenu et le pays de résidence des associés de la SLP, pour autant que ce pays reconnaisse la transparence fiscale de la SLP.
En outre, la création de la SLP serait susceptible d’avoir des conséquences sur la fiscalité applicable aux revenus perçus par l’intermédiaire de véhicules étrangers. Dans sa décision Artémis4, le Conseil d’Etat a en effet considéré qu’il conve-nait, en présence d’un partnership étranger, d’«identifier d’abord, au regard de l’ensemble des caractéristiques de cette société et du droit qui en régit la constitution et le fonctionnement, le type de société de droit français auquel la société de droit étranger est assimilable, et (…) compte tenu de ces constatations, de déterminer le régime applicable à l’opération (…) au regard de la loi fiscale française». Ainsi, il convient de se reporter au droit des sociétés étranger en matière de constitution et de fonctionnement de la société pour déterminer à quelle société de droit français elle doit être assimilée, le régime fiscal étranger étant indifférent. Toutefois, n’importe quel «limited partnership» ne devrait pas pouvoir être regardé comme assimilable à une SLP. A notre sens, il ne pourrait s’agir que de ceux qui ont les mêmes caractéristiques juridiques et réglementaires que les SLP françaises. On peut même se demander si les dividendes perçus par l’intermédiaire d’un véhicule étranger assimilable à une SLP seraient éligibles au régime mère-fille. Les conclusions du rapporteur public Cortot-Boucher sous l’arrêt Artémis laissent entrevoir cette possibilité.
Ainsi, la SLP apparaît comme un véhicule particulièrement innovant et répondant aux attentes de transparence fiscale et de souplesse de la gouvernance propres à satisfaire les investisseurs et à concurrencer les véhicules similaires étrangers.
Notes
2. Exposé des motifs de l’amendement n°SPE864 du 8 janvier 2015.
3. Ce qui est logique en application des articles L. 211-1, II, 3° et L. 214-II, 2 du CMF.
4. Œ 24 novembre 2014, n°363556, Sté Artémis SA
Auteurs
Jérôme Sutour, avocat associé, responsable Services Financiers.
Benoît Foucher, avocat en matière de fiscalité internationale.
*Le limited partnership à la française* – Article paru dans La Lettre des Fusions-Acquisitions et du Private Equity, Option Finance paru le 30 mars 2015