Licenciement suite à une rupture conventionnelle refusée : pas d’incompatibilité de principe
7 novembre 2013
La conclusion d’une rupture conventionnelle dans un contexte conflictuel est toujours délicate. Néanmoins, le licenciement prononcé en cas de refus est-il à proscrire ? Une réponse négative s’impose sur le terrain des principes.
La délicate gestion de la rupture conventionnelle dans un contexte tendu voire conflictuel et la position de la Cour de cassation
Alors mêmes que les juridictions du fond ont rendu des décisions divergentes sur ce thème, la Cour de cassation, d’abord en mai 2013 puis par des décisions ultérieures, a considéré que si l’existence d’un différend entre les parties au moment de sa conclusion n’affecte pas, par elle-même, la validité de la rupture conventionnelle, celle-ci ne peut être imposée à l’une des parties.
En d’autres termes, l’existence d’un litige entre les parties ne vicie pas nécessairement le consentement donné à la rupture conventionnelle. Toutefois, le constat d’un tel vice conduira nécessairement à la nullité de la rupture conventionnelle.
Une attitude de prudence qui reste de mise en cas de rupture conventionnelle dans un contexte tendu
Rupture conventionnelle et contexte tendu ne sont pas donc forcément inconciliables. Pour autant, le recours à ce type de rupture dans un contexte non apaisé devra être appréhendé avec prudence, tant on sait que le salarié dispose d’un délai pour contester la rupture conventionnelle, laquelle ne constitue naturellement pas une transaction et ne peut, selon la Cour de cassation, prévoir de clause visant à renoncer à tout recours ou action résultant de l’exécution ou de la rupture du contrat de travail.
Le licenciement du salarié postérieurement au refus d’une proposition de rupture conventionnelle refusée est-il à proscrire ?
On peut affirmer que l’échec des pourparlers visant à convenir d’une rupture conventionnelle n’empêche pour autant pas l’employeur de procéder au licenciement du salarié. En effet, on ne saurait admettre que le refus du salarié puisse altérer la faculté pour l’employeur de mettre unilatéralement un terme au contrat de travail.
Pour autant, suivant le contexte, on peut légitimement être réticent à passer outre le refus du salarié et mettre en œuvre la procédure de licenciement. En effet, en pareil cas, existe toujours le risque que ce licenciement apparaisse des plus suspect pour les magistrats chargés d’examiner le litige entre les parties : le licenciement ne serait-il pas ici exclusivement fondé sur le refus par le salarié de la rupture négociée proposée, entourant par conséquent la rupture du contrat de travail d’un halo de suspicion parfois légitime ?
C’est pourquoi il est toujours délicat de franchir le pas du licenciement suite au refus de la rupture conventionnelle bien qu’il puisse apparaitre, contextuellement, peu tenable pour l’employeur de conserver l’intéressé au sein de son entreprise pour des motifs tenant à la personne même du salarié.
La seule existence d’une proposition préalable de rupture conventionnelle qui a été refusée ne conduit pas, en elle-même, au caractère injustifié du licenciement prononcé postérieurement
Telle est la position de la cour d’appel de Poitiers dans une décision rendue le 10 juillet dernier. Cette décision confirme, s’il en était besoin, la plénitude des prérogatives de l’employeur ce que l’on ne peut qu’approuver. Les circonstances de cette affaire méritent que l’on y revienne brièvement.
Un salarié, déjà averti, s’était vu proposer le 1er mars 2010 de convenir d’une rupture conventionnelle de son contrat de travail. Face au refus de l’intéressé, l’employeur réagit quasi immédiatement, convoque le salarié à un entretien préalable à licenciement le 9 mars 2010 et lui notifie son licenciement par courrier RAR du 30 mars 2010.
Le salarié conteste son licenciement. Le conseil de prud’hommes lui donne raison considérant le licenciement comme lié à la proposition de rupture conventionnelle avortée.
La cour d’appel de Poitiers n’est pas de cet avis. Les magistrats estiment en effet que c’est à tort que le conseil de prud’hommes a déduit de la seule existence d’une proposition préalable de rupture conventionnelle, qui a été refusée, le caractère injustifié du licenciement alors que chacune des parties est en droit de refuser une rupture conventionnelle sans que cette opportunité puisse à elle seule et de facto vicier une procédure ultérieure de rupture des relations contractuelles sous forme d’un licenciement dont il convient d’apprécier le bien-fondé selon les règles du droit commun applicables en la matière.
Les enseignements de la décision
De cette décision, dont on ne peut naturellement donner la même portée que celle qui aurait été rendue par la Cour de cassation (l’arrêt de la cour d’appel de Poitiers n’aurait, selon nos informations, pas fait l’objet d’un pourvoi), on retiendra que les juges doivent examiner l’existence, ou pas, d’une cause réelle et sérieuse de licenciement sans se contenter de constater que ce licenciement fait chronologiquement suite à une rupture conventionnelle avortée.
L’employeur avait-il cependant choisi la bonne stratégie ?
L’employeur doit aujourd’hui se réjouir de l’épilogue judiciaire de cette affaire, mais n’aurait-il pas été plus opportun d’engager la procédure de licenciement sans passer par la case proposition de rupture conventionnelle ? On peut le penser.
En effet, si l’intention de l’employeur, que l’on imagine louable, consistait certainement à ménager une sortie honorable au salarié dans le cadre d’une rupture conventionnelle, on peut craindre qu’en cas d’acceptation par le salarié, l’entreprise se serait vraisemblablement exposée à une contestation de la rupture en raison, précisément, du contexte conflictuel l’entourant.
Partant, et prenant appui sur cette décision, lorsque la motivation du licenciement apparait en tout point fondée, la mise en œuvre de la procédure de licenciement pour motif personnel pourra être préférée à la tentation de la rupture conventionnelle.
A propos de l’auteur
Vincent Delage, avocat associé. Spécialisé en droit social, Vincent intervient notamment en matière de gestion des relations individuelles et collectives de travail tout comme en matière d’épargne salariale. Il conseille également ses clients sur le statut des dirigeants (mandataires sociaux et cadres dirigeants) et assure la mise en œuvre et le suivi des aspects sociaux des restructurations et réorganisations d’entreprises.
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