Lettre d’intention et obligation consultative du comité d’entreprise
19 juin 2015
La signature d’une lettre d’intention («letter of intent» ou «LOI») portant manifestation d’intérêt pour l’acquisition des titres d’une entreprise peut soulever la question du déclenchement ou non de l’obligation consultative des instances des sociétés parties à l’opération (sociétés cessionnaire, cédante et cible).
A cet égard et au plan des principes, il est tout d’abord acquis que la cession du contrôle d’une entreprise doit être précédée d’une consultation des comités d’entreprise concernés. Cette obligation s’impose ainsi à l’égard tant du comité d’entreprise des sociétés parties au contrat de cession, pourvu bien évidemment qu’elles soient dotées d’une telle instance, que de celui de la société cible.
Il est ensuite également établi selon la jurisprudence qu’«un projet, même formulé en termes généraux, doit être soumis à la consultation du comité d’entreprise, lorsque son objet est assez déterminé pour que son adoption ait une incidence sur [la marche générale de l’entreprise], peu important qu’il ne soit pas accompagné de mesures précises, concrètes d’application, dès lors que la discussion ultérieure de ces mesures n’est pas de nature à remettre en cause, dans son principe, le projet adopté» (Cass. soc. 12 novembre 1997, n°96-12314).
Reste dès lors à déterminer, à la lumière de ces principes, si un échange de LOI peut caractériser une cession, «même formulé[e] en termes généraux» qui est alors acquise dans son principe –auquel cas la consultation préalable du comité d’entreprise s’impose– ou si elle se situe en amont d’une telle décision c’est-à-dire au stade des actes préparatoires à l’élaboration d’un tel projet. Dans ce dernier cas, la consultation ne s’imposerait pas au stade des échanges de LOI et pourrait être ainsi reportée pourvu qu’elle intervienne avant la signature du contrat de cession.
L’objet des LOI, dans la plupart des cas, conduit à privilégier la seconde analyse qui permet de différer le déclenchement de l’obligation consultative. En effet et dès lors que la LOI se limite à organiser des discussions entre un acquéreur et un vendeur potentiels, en les assortissant d’une obligation d’exclusivité et de communication d’informations, elle n’apparaît pas pouvoir être considérée comme constitutive d’une décision arrêtant le principe d’une cession. Cette dernière se caractérisant par un accord «sur la chose et sur le prix», ces éléments et particulièrement le second ne sont en effet définitivement connus et arrêtés qu’à l’issue des discussions entre les négociateurs.
La pratique des opérations de cession conforte au demeurant cette analyse du fait que les procédures de consultation des instances représentatives du personnel sont généralement mises en oeuvre à l’issue seulement des négociations dont la LOI a pu organiser les conditions. Il en va de l’effet utile de cette procédure : le comité d’entreprise doit pouvoir disposer d’informations «précises et écrites» qui font généralement encore défaut au stade de l’échange de LOI.
Le bien-fondé de cette position dépend cependant du caractère non engageant dans le processus de cession des termes de la LOI. Sauf à s’exposer aux sanctions civiles et pénales afférentes au délit d’entrave, le comité d’entreprise doit en effet être informé et consulté avant sa signature si la lettre d’intention ne contient «aucune réserve ni condition, [traduit] l’accord intervenu entre les parties et [constitue] non un simple Contrat de pourparlers mais un engagement non équivoque de réaliser l’opération» (CA Versailles ch. 12, 8 Avril 2014, n°13/03008).
Précisons enfin et pour conclure que si, sous cette dernière réserve, l’échange de LOI n’a en principe pas à être précédé de la consultation du comité d’entreprise, il peut dans certaines situations s’avérer opportun d’informer en amont les représentants du personnel de l’existence de discussions sur une possible évolution du capital de l’entreprise. Dans ce cas, il importe alors simplement de préciser que ces discussions se rattachent à une phase d’étude et de réflexion sur le sort du capital de l’entreprise et que lorsqu’au terme de celle-ci un projet de cession aura été élaboré, il sera présenté dans le cadre d’une procédure d’information et de consultation.
Auteur
Pierre Bonneau, avocat associé en droit du travail, droit pénal du travail et droit de la protection sociale
A lire également
Le comité social et économique : entre nouveautés et continuité de la repré... 4 octobre 2017 | CMS FL
L’absence d’avis du CHSCT peut également valoir avis négatif... 20 juillet 2015 | CMS FL
La confidentialité dans les opérations de haut de bilan des sociétés non cot... 22 juin 2015 | CMS FL
Le cadre légal du crowdequity : la nouvelle donne du financement participatif... 7 avril 2015 | CMS FL
La RSE ou l’ébauche d’un cadre juridique contraignant pour les entreprises... 24 décembre 2021 | Pascaline Neymond
Rupture conventionnelle. Vers la fin des démissions ?... 15 novembre 2013 | CMS FL
DRH : êtes-vous certains de ne pas avoir l’obligation d’organiser d... 11 octobre 2016 | CMS FL
Les budgets des comités d’entreprise 26 novembre 2013 | CMS FL
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente