L’étendue du contrôle de l’administration sur la prévention des risques psychosociaux dans le cadre d’un PSE
30 mars 2023
Par une décision de principe du 8 juin 2020 (1), le Tribunal des conflits a jugé que : «Dans le cadre d’une réorganisation qui donne lieu à l’élaboration d’un plan de sauvegarde de l’emploi, il appartient à l’autorité administrative de vérifier le respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ; à cette fin, elle doit contrôler tant la régularité de l’information et de la consultation des institutions représentatives du personnel que les mesures auxquelles l’employeur est tenu en application de l’article L. 4121-1 du code du travail au titre des modalités d’application de l’opération projetée (…)».
Si cette décision a tranché, de façon définitive, la question de la répartition des compétences entre le juge judiciaire et le juge administratif en la matière – l’administration et le juge administratif étant seuls compétents pour contrôler le respect par l’employeur de son obligation de sécurité dans le cadre d’un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) – la question de l’étendue de ce contrôle restait entière.
C’est cette question que tranchent les deux décisions de principe du Conseil d’État du 21 mars 2023 (2) à propos de PSE établis par un document unilatéral de l’employeur.
Sur la compétence de l’autorité administrative
Sur le plan de la compétence, ces deux arrêts reprennent la position du Tribunal des conflits avec deux précisions :
-
- le contrôle du respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques dans le cadre d’un PSE doit jouer, y compris pour les sociétés en cessation d’activité ou en liquidation judiciaire : il n’y a donc pas, sur ce plan, d’obligation allégée ;
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- le juge judiciaire est, pour sa part, compétent pour assurer le respect par l’employeur de son obligation de sécurité, lorsque la situation à l’origine du litige est liée à la mise en Å“uvre du document unilatéral ou de l’opération de réorganisation : cette précision figurait déjà dans la décision du Tribunal des conflits. Elle se réfère à la distinction, désormais classique, entre la phase d’élaboration du PSE, qui se clôt avec la décision de validation ou d’homologation de l’administration, et la phase de mise en Å“uvre du PSE.
Sur l’étendue du contrôle de l’autorité administrative
Les deux affaires posaient une question de principe qui avait conduit le ministère chargé de l’Emploi à faire appel des deux arrêts de la cour administrative d’appel de Versailles :
-
- qui avait, en effet, retenu une conception du contrôle sur les mesures en matière de prévention des risques professionnels très extensive en estimant qu’il appartenait à l’autorité administrative de contrôler la suffisance des mesures prises par l’employeur, au même titre qu’elle doit déjà contrôler la suffisance des mesures du plan social par rapport aux moyens de l’entreprise ou du groupe (CE, 27 décembre 2015, Fédération CGT du personnel du commerce, n° 383856).
-
- alors que le ministère plaidait, au contraire, pour un contrôle de la seule présence de mesures de prévention des risques professionnels dans le PSE, et pour limiter le contrôle de fond à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation.
Sur l’absence de contrôle de la suffisance des mesures de prévention
Le Conseil d’État a écarté très clairement un contrôle de la suffisance, des mesures en matière de prévention des risques professionnels, par assimilation au contrôle des mesures sociales du PSE.
Le rapporteur public a fait valoir qu’intégrer les mesures rendues nécessaires par les risques professionnels, dans les mesures sociales du plan, conduirait à faire varier l’étendue des obligations auxquelles l’employeur est tenu en cette matière en fonction :
-
- du recours à un document unilatéral ou un accord majoritaire ;
-
- en cas d’accord majoritaire, du contenu de cet accord ;
-
- en cas de document unilatéral, des moyens de l’entreprise ou du groupe.
« Cela reviendrait à faire de l’obligation de sécurité une obligation triplement relative, ce qui en contredit radicalement la nature. ».
Il a également souligné que cela conduirait, en application de l’article L.1235-10 du Code du travail, à faire du manquement de l’employeur à ses obligations en matière de santé et de sécurité une cause de nullité des licenciements prononcés, ce qui paraît critiquable dans la mesure où les mesures de prévention des risques professionnels n’ont pas pour objet d’éviter les licenciements ou d’en limiter le nombre.
On peut également faire valoir :
-
- que ce contrôle n’est pas prévu par les textes ;
-
- qu’il paraît peu compatible avec le délai de 21 jours imparti à la DREETS pour statuer sur le document unilatéral de l’employeur ;
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- que l’insuffisance et l’efficacité des mesures de prévention des risques ne peuvent être appréciées qu’à l’occasion de la mise en Å“uvre du projet et sous le contrôle judiciaire.
Sur la consécration d’un contrôle de nécessité des mesures
Le Conseil d’État ne s’est pas pour autant limité à un contrôle de la seule présence des mesures en matière de prévention des risques professionnels et à un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation.
Il s’est prononcé en faveur de ce que le rapporteur public appelle dans ses conclusions «un contrôle de nécessité», par opposition à un «un contrôle de suffisance» des mesures.
Ce contrôle comporte deux volets, qui reprennent d’ailleurs ceux du contrôle défini par le Tribunal des conflits :
-
- il incombe, en premier lieu, à l’administration de vérifier que l’employeur a adressé au CSE des éléments relatifs à l’identification et à l’évaluation des conséquences de la réorganisation de l’entreprise sur la santé où la sécurité des travailleurs, ainsi que, en présence de telles conséquences, les actions, arrêtées pour les prévenir et en protéger les travailleurs ;
-
- il lui appartient, en second lieu, de vérifier «dès lors que la réorganisation présente des risques pour la santé ou la sécurité des travailleurs, si l’employeur a arrêté des actions pour y remédier et si celles-ci correspondent à des mesures précises et concrètes (…) qui, prises dans leur ensemble, sont, au regard de ces risques, propres à les prévenir et à en protéger les travailleurs.»
Plusieurs éléments sont à souligner dans cette rédaction très précise :
* D’abord, le débat est très circonscrit : l’administration doit porter son appréciation au vu des éléments d’identification et d’évaluation des risques, des débats qui se sont déroulés au CSE, des échanges d’informations et des observations et injonctions éventuelles formulées lors de l’élaboration du PSE. L’arrêt tient compte du fait que, dans un délai de 21 jours, les investigations et les débats sur ces questions complexes sont nécessairement limités ;
* Ensuite, l’administration doit porter une appréciation sur les mesures précises et concrètes élaborées par l’employeur en matière de prévention des risques, «prises dans leur ensemble» : la formule est directement reprise de celle relative à l’appréciation globale du contenu du PSE qui porte également sur les mesures précises et concrètes du PSE, «prises dans leur ensemble» (CE, ass., 22 juillet 2015, société Calaire Chimie, n°383481).
C’est également la formule utilisée par le Conseil d’État pour l’appréciation globale de la régularité de la procédure d’information et de consultation du CSE (CE, 7 décembre 2015, SAS Call Expert Languedoc-Roussillon, n° 381307). Si ce n’est pas un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation, c’est du moins un contrôle global qui laisse à l’autorité administrative et au juge une certaine liberté d’appréciation ;
* Enfin, il appartient à l’administration d’apprécier si les mesures précises et concrètes prises par l’employeur sont, dans leur ensemble, «propres» à prévenir les risques et en protéger les travailleurs.
Cette expression n’implique pas, nous semble-t-il, un contrôle de proportionnalité des mesures prises par rapport aux risques identifiés. Elle est moins contraignante que des formules telles que «de nature à » ou «permettent». C’est ainsi, à notre sens, un contrôle de la pertinence des mesures, non un contrôle de leur suffisance.
Deux éléments permettent de compléter le tableau de ce contrôle de nécessité :
En premier lieu, les deux arrêts précisent bien qu’ils portent sur «le contrôle par l’autorité administrative des obligations de l’employeur en matière de prévention des risques pour, durant la réorganisation de l’entreprise, assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs» : ils soulignent donc clairement que l’obligation de sécurité de l’employeur ne joue ici que durant la réorganisation de l’entreprise ; au-delà de celle-ci, c’est l’obligation générale de sécurité qui reprend ses droits.
En second lieu, le dispositif des deux affaires, qui ont été retenues comme affaires de principe pour tracer les limites du contrôle de l’administration, est lui aussi très éclairant, puisque :
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- dans l’une d’entre elles, le document unilatéral portant PSE ne comportait aucune mesure de nature à protéger des salariés des conséquences sur leur santé physique ou mentale de la cessation de l’activité de l’entreprise ;
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- dans l’autre, l’administration, si elle avait vérifié le respect des obligations de l’employeur en ce qui concerne la consultation du CSE sur les conséquences de l’opération pour la santé des salariés, n’avait, en revanche, procédé à aucun contrôle du contenu du document unilatéral pour vérifier le respect par l’employeur de ses obligations, en matière de prévention des risques.
Comme on le voit, dans l’un et l’autre cas, la censure était évidente.
Ces deux arrêts semblent donc avoir défini un cadre équilibré pour contrôler le respect par l’employeur de ses obligations en matière de prévention des risques, sans compromettre pour autant le bon déroulement des procédures de PSE.
Une incertitude demeure néanmoins s’agissant de l’étendue du contrôle administratif sur les mesures relatives aux risques psychosociaux dans le cas des PSE négociés dès lors que ceux-ci font en principe l’objet d’un contrôle allégé (CE, 7 décembre 2015, n° 383856).
(1) T. Confl., n° 4189 du 8 juin 2020
(2) CE, 21 mars 2023, n°460660, 460924 et CE, 21 mars 2023, n°450012
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