Les désignations syndicales frauduleuses
25 février 2015
La présence syndicale et la mise en œuvre du dialogue social dans l’entreprise nécessitent que des salariés soient désignés en qualité de délégués syndicaux, de représentants syndicaux au comité d’entreprise, de représentants de section syndicale, etc. Au-delà du fait que les conditions légales les entourant (âge, ancienneté, représentativité ou non du syndicat, etc.) doivent être réunies, ces désignations ne doivent pas revêtir un caractère frauduleux.
En d’autres termes, les salariés désignés doivent être légitimes à exercer le ou les mandats susceptible(s) de leur être confié(s) par les organisations syndicales et ne peuvent pas se voir octroyer le ou lesdits mandats pour de mauvaises raisons, en particulier pour se voir offrir, avant tout, une protection personnelle contre la rupture à venir de leur contrat de travail.
Lorsqu’une telle fraude est caractérisée, l’employeur est fondé à saisir le tribunal d’instance pour solliciter et obtenir l’annulation de la (des) désignation(s) syndicale(s) litigieuse(s).
La définition de la fraude
La Cour de cassation considère que la désignation d’un «représentant syndical» (délégué syndical, représentant syndical au comité d’entreprise, représentant de section syndicale, etc.) doit avoir pour but de lui conférer des fonctions à exercer dans l’intérêt de l’ensemble des salariés de l’entreprise ou de l’établissement, et non de lui assurer sa seule protection individuelle.
Elle a indiqué de la même manière qu’était frauduleuse la désignation d’un salarié qui a «eu pour objet de détourner à des fins particulières une institution d’intérêt collectif».
Dans le même esprit, se trouve dans une situation frauduleuse le salarié qui, «sous prétexte de défendre les intérêts des travailleurs de l’entreprise, parvient à se faire désigner par un syndicat de bonne foi dans le dessein de s’assurer une protection personnelle».
En d’autres termes, peut être qualifiée de frauduleuse la désignation d’un salarié qui n’a d’autre but que celui de lui offrir une protection personnelle contre la rupture projetée de son contrat de travail par l’employeur.
Les situations frauduleuses
Plusieurs situations peuvent être considérées comme frauduleuses.
La désignation d’un salarié en qualité de délégué syndical, de représentant syndical au comité d’entreprise, de représentant de section syndicale, etc. peut tout d’abord être frauduleuse lorsqu’elle intervient pour permettre au salarié de se protéger contre une procédure de licenciement sur le point d’être engagée à son encontre, ou plus généralement lorsqu’il a connaissance que la rupture de son contrat de travail est imminente, quelle que soit le mode de rupture du contrat de travail retenu (licenciement pour motif personnel ou économique, mise à la retraite, etc.).
A titre d’illustration :
- le salarié qui adopte un comportement fautif connu de l’employeur et qui se fait consentir un mandat syndical concomitamment, s’expose à ce que lui soit opposé le fait que cette désignation avait pour seul objet de le protéger, et de contraindre l’employeur, s’il devait engager une procédure de licenciement en conséquence du fait fautif, à devoir solliciter l’autorisation de l’inspection du travail ;
- un salarié qui a refusé une modification de son contrat de travail intervenue pour des raisons économiques, ou qui a une parfaite connaissance de la suppression de son poste, ou encore qui sait que l’application des critères retenus pour déterminer l’ordre des licenciements –connus de lui– va conduire l’employeur à engager à son encontre une procédure de licenciement économique, et qui dans le même temps se voit confier un mandat syndical, pourra être considéré comme s’étant fait désigner de manière frauduleuse.
Il en va plus généralement ainsi lorsque le mandat syndical confié au salarié est intervenu alors même que ce salarié se trouvait en conflit avec son employeur, et que la désignation a été notifiée dans le seul dessein d’offrir à l’intéressé une protection contre toute rupture du contrat de travail à venir à l’initiative de l’employeur.
Le tribunal d’instance d’Avignon a estimé, aux termes d’un jugement en date du 19 décembre 2014, que la fraude était caractérisée dans une hypothèse où le salarié était en cours de discussions dans la perspective d’une rupture conventionnelle de son contrat de travail qui lui a été proposée à l’origine par l’employeur.
Peut également être caractérisée comme frauduleuse la désignation du salarié aux fins d’exercer un mandat syndical … si elle est intervenue concomitamment à une sanction disciplinaire, ou lorsque le salarié se sentait menacé par une telle sanction.
Dans les différentes situations qui viennent d’être évoquées, la fraude sera d’autant plus être caractérisée si la désignation du salarié est intervenue soudainement, alors de surcroît que le salarié n’a par le passé jamais présenté la moindre revendication dans l’intérêt bien compris de la collectivité des salariés (tenue de réunions, assistance de salariés lors d’entretiens préalable à une sanction disciplinaire ou à un licenciement, revendications collectives portées à la connaissance de l’employeur, etc.), et n’a jamais exercé de mandat syndical ou de représentation du personnel.
La fraude ne se présume pas
La fraude doit être démontrée par l’employeur. Pour ce faire, celui-ci doit être en mesure de prouver que le salarié avait une parfaite connaissance de la mesure disciplinaire envisagée ou du licenciement projeté, via la production de toutes pièces probantes (courriers, mails, attestations, etc.).
Par ailleurs, aucune désignation n’est de facto litigieuse. Seul le tribunal d’instance est compétent pour se prononcer sur cette question et déterminer si la désignation revêt ou non ce caractère.
Dès lors, tant que le tribunal n’a pas statué sur sa légitimité, la désignation est présumée régulière. Il appartient en conséquence à l’employeur de convoquer le salarié désigné aux réunions syndicales et/ou de représentation du personnel auxquelles il doit être, lui consentir son crédit d’heures de délégation, … quand bien même il serait évident pour cet employeur que la désignation est frauduleuse et que, selon toute vraisemblance, le tribunal d’instance procèdera à son annulation.
S’il l’estime nécessaire, l’employeur doit saisir le tribunal d’instance dans les 15 jours suivant la réception, par lui, de la (des) désignation(s) syndicale(s) en cause. Passé ce délai, les désignations seront considérées comme purgées de tout vice. L’employeur doit donc faire preuve d’une extrême vigilance quant au respect impératif de ce délai.
Il doit au demeurant, avant d’entreprendre ce type de démarche judiciaire, bien mesurer les conséquences qui pourraient résulter d’un éventuel échec de son action contentieuse. Dans un tel cas en effet, le salarié pourra être tenté, lorsqu’il l’estimera judicieux et opportun, de soutenir qu’il a été victime d’une forme de discrimination syndicale, voire qu’un harcèlement moral est caractérisé, surtout si les relations de travail étaient déjà conflictuelles avant la désignation. L’expérience montre par ailleurs que lorsque le mandat syndical débute dans ces conditions, les relations ne s’améliorent guère entre le salarié sorti vainqueur du débat judiciaire et l’employeur courroucé.
Auteur
Rodolphe Olivier, avocat associé en droit social.
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