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Les défis juridiques du BIM – Aspects droit de la construction

Les défis juridiques du BIM – Aspects droit de la construction

Les maquettes numériques des bâtiments (Building Information Modelling ou BIM) tendent à s’imposer dans les chantiers et trouvent des applications de plus en plus étendues dans la vie des bâtiments, depuis leur conception jusqu’à leur exploitation. Le recours à cette innovation n’est cependant pas sans soulever des enjeux juridiques nouveaux, notamment en matière de propriété intellectuelle et de droit de la construction.

La présente synthèse a pour objet de traiter uniquement les aspects du droit de la construction (pour un aperçu des enjeux en matière de propriété intellectuelle, voir notre commentaire sur Lexplicite).

Définition

Le BIM est un outil collaboratif, dynamique et évolutif, pour la communication et le stockage d’informations en vue de la modélisation électronique d’un bâtiment :

  • un outil collaboratif : à ce jour, les projets en BIM de niveau 2 – où chaque entreprise crée sa propre maquette avant que l’ensemble des maquettes soient comparées, synchronisées, enrichies puis fusionnées – se multiplient. On évoque aussi l’existence du BIM de niveau 3, où chaque intervenant au projet de construction apporte sa contribution directement sur la maquette électronique commune plutôt que de réaliser ses propres plans, toutefois la conception totale en BIM de niveau 3 reste encore théorique ;
  • un outil de communication, dans la mesure où toute partie intervenant au chantier peut avoir accès à l’ensemble des informations. Le BIM peut également contenir une plate-forme d’échange permettant ainsi de réduire au minimum la communication par voie classique ;
  • un outil de stockage, car il permet de conserver, suivre et enregistrer le contenu, la date et l’origine de tout apport, modification et communication et inventorier ainsi tous les événements affectant le projet ;
  • un outil dynamique puisque le BIM permet la réalisation d’une maquette en quatre dimensions en prenant en compte la chronologie du projet. Le maître d’ouvrage pourra ainsi suivre en temps réel la progression de l’opération de construction, revenir sur des événements passés et avoir une représentation du bâtiment achevé en faisant des projections ;
  • un outil évolutif car, si le logiciel le permet, la maquette a vocation à s’adapter aux évolutions du bâtiment dans le futur et à prendre en compte le cadre plus global dans lequel il peut s’inscrire (environnement, lotissement, etc.). Un BIM ainsi réutilisable permettrait de suivre le destin d’un bâtiment dans toute son existence.

Une utilisation pratique de plus en plus étendue impliquant de nouvelles compétences dans le domaine de la construction

Le BIM est à ce jour surtout utilisé pour la conception et la réalisation de projets de construction. Cependant, il trouve des applications dans des domaines de plus en plus variés :

  • en amont du projet, avec la prise en compte de toutes les contraintes de construction aussi bien juridiques, telles les règles d’urbanisme et les règles privées (servitudes, cahiers des charges de lotissement, copropriété…), que géographiques, environnementales ou écologiques ;
  • en aval avec l’utilisation du BIM post-achèvement, lors de l’exploitation et la maintenance de l’immeuble ou dans le cadre de la mise en Å“uvre des garanties de construction.

La modélisation numérique demande cependant un savoir-faire informatique nouveau qui n’est pas encore intégré par tous les acteurs classiques de la construction. Si les entreprises devront prendre en compte cette évolution pour pouvoir intervenir dans des chantiers BIM, de nouveaux professionnels apparaissent pour les y assister.

Ainsi, le maître d’ouvrage qui souhaiterait avoir recours au BIM devra en définir sa charte et retranscrire ses exigences et objectifs dans un cahier des charges spécifiques au BIM. Pour cette tâche qui, ne rentre pas forcément dans son domaine de compétence, le maître d’ouvrage s’adjoindra les services d’un professionnel : l’assistant à maîtrise d’ouvrage BIM (« AMO BIM »).

De même, compte tenu du nombre généralement élevé d’intervenants dans un projet de construction et de la complexité du chantier numérique, l’utilisation du BIM impliquera les compétences d’un « BIM manager », véritable maître d’œuvre de la maquette numérique qui assurera la gestion et le bon déroulement du processus BIM.

Des enjeux nouveaux en termes de responsabilités et d’assurances

Dans la mesure où le BIM permet de « tracer » tous les apports et modifications de la maquette, l’intérêt qu’il représente s’agissant de la recherche de responsabilité en cas de dommages est manifeste. Ainsi, en matière de vices de construction ou autres, le BIM devrait assurer un repérage aisé de l’origine du dommage que ce soit :

  • en cours de construction, si des erreurs ont été intégrées dans la maquette son auteur pourra être facilement repéré et sa responsabilité engagée. De même, en cas de non-conformité des travaux par rapport à la maquette ;
  • post-achèvement, l’expertise sera facilitée pour constater les éventuels désordres (surtout décennaux) en comparant la maquette avec la réalisation, puis en identifiant les constructeurs concernés par les désordres.

Cependant, le BIM apporte également son lot d’incertitudes juridiques. Comment traiter par exemple le cas où des dommages d’ordres décennaux sont causés par une erreur du BIM manager ou par un dysfonctionnement du logiciel de la maquette ? Quelle est la nature de la responsabilité du BIM manager et de l’éditeur du logiciel ? Aucun encadrement réglementaire ou légal spécifique au BIM n’existe à ce jour. Ainsi, les nouveaux rapports juridiques qu’entraîne le BIM sont à apprécier à l’aune des règles de droit commun de la construction et du Code civil.

Dans la mesure où tout intervenant à l’acte de construire est redevable des garanties décennales, il pourrait effectivement être envisagé que le BIM manager, qui participe activement à la construction de la maquette, elle-même utilisée pour la construction de l’ouvrage, soit redevable de garanties décennales avec toutes les conséquences que cela emporte notamment au regard des assurances. Le BIM manager devrait ainsi souscrire les assurances de construction adéquates prévues aux L. 241-1 et suivant du Code des assurances.

En est-il de même pour l’éditeur du logiciel permettant la création du BIM ? Dans l’hypothèse où les données d’une maquette seraient perdues, est-ce que la responsabilité de l’éditeur du logiciel pourrait être engagée ? Celui-ci pourrait avoir à souscrire une garantie d’assurance spécifique couvrant ces risques.

Une documentation juridique inédite

Un cadre contractuel spécifique s’est créé afin de traiter les risques juridiques liés au BIM. Parmi les principaux contrats ou documents administratifs apparaissant dans le paysage juridique de la construction se retrouvent en général :

  • la licence du logiciel BIM : l’acquisition du logiciel peut sembler être un sujet anodin mais se révèle en fait vitale pour la vie d’un bâtiment « bimisé » et mérite dès lors une attention particulière. Outre le fait de veiller à l’acquisition des droits nécessaires pour son utilisation et sa cession, il convient de s’assurer d’une pérennité du logiciel et de sa mise à jour, voir même de sa compatibilité potentielle avec d’autres logiciels BIM. Par ailleurs, le sujet du traitement de la responsabilité de l’éditeur en cas de dysfonctionnement, perte de données et dommages causés au bâtiment à cette occasion doit être traité dans le cadre de l’achat du logiciel ;
  • la charte BIM : il s’agit d’un document qui traduit les objectifs, les performances attendues et les exigences du maître d’ouvrage dans le processus BIM et constitue ainsi la matrice du cahier des charges BIM. La charte BIM sera annexée aux contrats des différents intervenants à la construction ;
  • le cahier des charges BIM qui constitue le volet BIM du programme de construction en précisant pour le projet les exigences et objectifs des intervenants successifs et en incluant notamment ceux de la charte BIM. Le cahier des charges BIM sera également annexé aux contrats des différents intervenants à la construction;
  • la convention BIM, rédigée par le BIM Manager, constitue le guide des bonnes pratiques BIM que devront suivre les différentes parties à l’acte de construire. Elle peut se décliner en deux documents :
    ◦ le Protocole BIM dans lequel sont décrits le mode de communication, les droits de propriété et d’utilisation, les exigences du processus, les responsabilités et les besoins d’information
    ◦ le plan d’exécution BIM qui décrit plus précisément les responsabilités de chacun et vise à contenir un large éventail de dispositions techniques et pratique.
  • Le contrat de gestion BIM (« BIM management agreement ») et le contrat d’AMO BIM qui définissent rôles, attributions et également responsabilités de ces intervenants déjà évoqués ci-dessus.

Ces nouveaux enjeux juridiques causés par l’avènement du BIM imposent ainsi aux rédacteurs d’actes d’anticiper les risques et d’insérer dans les contrats de construction (cahier des clauses administratives particulières, contrat d’architectes, contrat d’assistant à maître d’ouvrage) de nouvelles clauses encadrant notamment les modalités de participation des parties ainsi que l’acquisition des droits de propriétés intellectuels afférant à la maquette numérique.

 

Auteur

Michel Koutsomanis, avocat, droit de la construction et droit de l’urbanisme

 

Les défis juridiques du BIM – Aspects droit de la construction – Article paru dans la Lettre Construction-urbanisme de juin 2018
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