Les « Clicwalkers » ne sont pas des salariés
27 juillet 2022
Uber, Deliveroo, Take Eat Easy… Difficile d’ignorer la saga jurisprudentielle en matière de requalification – ou non – des relations entre plateformes numériques et travailleurs indépendants en relations salariées.
Par un arrêt du 5 avril 2022 (Cass. crim, 5 avr. 2022, n° 20-81.775), la chambre criminelle de la Cour de cassation vient (re-)préciser les contours de l’exécution de la prestation de travail dans le cadre d’un lien de subordination pour conclure, dans cet arrêt, à l’absence de lien de subordination entre une plateforme de crowdmarketing et des particuliers.
Les faits
La Société CLIC AND WALK est spécialisée dans la collecte et le traitement, pour le compte de marques ou d’enseignes, de données commerciales.
Les «Clicwalkers» sont des particuliers qui, sur une base volontaire, effectuent, notamment, les missions suivantes pour le compte de la société :
-
- fournir des informations sur leurs habitudes de consommation,
-
- émettre des avis,
-
- prendre des photographies,
-
- vérifier dans les magasins la présence, les prix et la visibilité des produits ou des supports commerciaux et la qualité des prestations de service des entreprises clientes de la Société.
Les missions sont effectuées à l’aide d’une application téléchargée gratuitement par les «Clicwalkers» qui reçoivent, en échange de leurs prestations, des gratifications sous forme de points cadeaux ou en numéraire, de faible montant voire d’un montant symbolique.
Une enquête préliminaire de police a conclu en 2016 que 28 «Clicwalkers» devraient être assimilés à des salariés. Des poursuites pour travail dissimulé par dissimulation d’emplois salariés ont été engagées devant le tribunal correctionnel de Lille qui a conclu à la non-assimilation des «Clikwalkers» à des salariés et a relaxé la Société.
Saisie en appel par le procureur de la République, la cour d’appel de Douai a conclu en 2020 à l’existence d’une relation de travail entre les «Clikwalkers» et la société et a considéré que le délit de travail dissimulé était constitué.
La Cour de cassation condamne le raisonnement des juges de Douai et prononce la relaxe de la société.
La caractérisation du contrat de travail
Pour rappel, l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.
Ainsi, l’existence d’un contrat de travail est caractérisée par un «faisceau d’indices», à savoir :
-
- l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur,
-
- qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives,
-
- d’en contrôler l’exécution,
-
- de sanctionner les manquements de son subordonné.
Dans son arrêt, la cour d’appel de Douai a considéré que la relation de travail entre la société et les particuliers était établie puisque les «Clikwalkers» percevaient bien une rémunération, même si celle-ci est faible.
Par ailleurs, pour la Cour d’appel, les missions données par la société pouvaient parfois être très précises (se rendre dans un lieu déterminé, à un moment donné, prendre des photos selon un angle déterminé, …).
La Cour considérait que la société disposait bien d’un pouvoir de contrôle des missions exécutées par les particuliers puisqu’elle vérifiait si le résultat correspondait bien à la demande du client.
Enfin, selon la Cour d’appel, la plateforme CLIC AND WALK disposait d’un pouvoir de sanction à l’encontre des «Clikwalkers» puisque lorsque la mission n’était pas exécutée conformément aux modalités prescrites, les contributeurs n’étaient pas rémunérés et les frais déboursés ne leur étaient pas remboursés.
La décision de la chambre criminelle de la Cour de cassation
La Cour de cassation n’a pas suivi le raisonnement de la Cour d’appel puisqu’elle a considéré qu’un particulier qui exécute, par le biais d’une plateforme de crowdmarketing, des missions ponctuelles visant par exemple à répondre à des questionnaires, réaliser des sondages ou des photos dans des magasins, vérifier la lisibilité des produits dans des magasins en échange de points cadeaux ou de quelques euros, ne se trouve pas dans une situation de subordination juridique vis-à-vis de la plateforme.
En effet, pour la Cour de cassation :
-
- Le particulier est libre d’accepter, de refuser voire d’abandonner en cours d’exécution les missions proposées ;
-
- Il ne reçoit aucune instruction ou consigne lors de leur exécution ;
-
- La société ne dispose pas, pendant l’exécution de la mission, du pouvoir de contrôler l’exécution de ses directives et d’en sanctionner les manquements ;
-
- Le fait que la correcte exécution des missions fasse l’objet d’une vérification par la Société qui peut refuser de verser la rémunération prévue et le remboursement des frais engagés en cas d’exécution non conforme est indifférent.
C’est sur cette base que la Chambre criminelle a donc conclu à l’absence de délit de travail dissimulé.
Les particularités de l’affaire
Alors que la plupart des contentieux portant sur la nature des relations entre plateformes numériques et travailleurs indépendants sont initiés par ces derniers – le plus souvent à l’occasion d’une rupture des relations contractuelles – dans cette affaire, aucun «Clikwalkers» n’avait fait de demande en requalification en contrat de travail.
C’est le ministère public qui avait fait appel des dispositions pénales de la décision rendue par le tribunal correctionnel. En effet, pour rappel, le tribunal correctionnel de Lille avait conclu à l’absence de délit de travail dissimulé par dissimulation d’activité.
Par ailleurs, malgré les apparences, cette affaire ne peut pas être assimilée aux autres arrêts rendus concernant les plateformes numériques puisque, contrairement à des plateformes telles que Uber, Take Eat Easy ou encore Deliveroo, la société CLIC AND WALK n’était pas une plateforme de mise en relation.
Cela étant, en présence d’un faisceau d’indices différent, la Cour de cassation aurait pu conclure à l’existence d’un lien de subordination entre la plateforme de crowdmarketing et les «Clikwalkers» …
Cet arrêt est donc l’occasion de rappeler que l’existence – ou non – d’un contrat de travail doit faire l’objet d’une analyse au cas par cas au regard des faits de chaque situation particulière.
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