Le sort surprenant réservé aux compléments de prix (earn out) perçus depuis 2013 mais se rapportant à une cession antérieure
Avec la réforme de l’imposition des plus-values mobilières, les compléments de prix de cession de titres perçus depuis 2013 mais se rapportant à une cession antérieure sont imposables au barème progressif de l’impôt sur le revenu.
Des vérificateurs semblent considérer que les abattements liés à la durée de détention des titres ne sont pas applicables.
La règle de principe
Certaines cessions de titres s’accompagnent de contrats dans lesquels l’acquéreur s’engage à verser au cédant un complément de prix déterminé en fonction d’une indexation en relation directe avec l’activité de la société dont les titres sont cédés.
La question de l’imposition de ces compléments de prix mérite l’attention. On parle d’imposition car :
- si la cession a dégagé une plus-value, l’earn out représente une plus-value complémentaire,
- même si la cession initiale a dégagé une moins-value, l’earn out se traduit par une plus-value au titre de l’année de sa constatation (si le cédant ne dégageait aucun gain net, même après avoir perçu le complément de prix, ce complément serait malgré tout considéré comme une plus-value par rapport à la moins-value dégagée et déclarée au titre de l’année de la cession).
En principe, l’earn out est imposable selon les mêmes règles que le gain net réalisé lors de la cession, à l’exception près qu’il est imposable au titre de l’année au cours de laquelle il est reçu (CGI, art. 150-0 A, I-2).
Mais les prises de position de l’administration fiscale au sujet de la grande réforme des plus-values mobilières des particuliers, qui a soumis les gains au barème de l’impôt sur le revenu après application d’un abattement pour durée de détention, a réservé plusieurs surprises aux contribuables. C’est notamment le cas pour les contribuables qui perçoivent depuis 2013 des earn out se rapportant à une cession antérieure.
Première surprise : le nouveau régime fiscal s’applique même en cas de cession antérieure à 2013
Pour les cessions dégagées avant 2013, l’imposition à l’impôt sur le revenu s’élevait à 19% pour l’ensemble des contribuables résidents de France, sous réserve de certaines dispositions particulières, comme l’exonération visant les cessions par des dirigeants de PME partant à la retraite. Les compléments de prix à percevoir ultérieurement étaient donc en principe appelés à supporter un taux de 19%, avec application des régimes favorables alors prévus.
Or la loi n’a pas prévu que ces règles d’imposition soient maintenues pour les earn out perçus à compter du 1er janvier 2013 mais se rapportant à une cession réalisée avant cette date. C’est donc bien le barème de l’impôt sur le revenu qui vise ces earn-out, la loi prévoyant seulement comme règle que le complément de prix afférent à une cession d’actions ou de parts sociales d’une société à l’IS est réduit de l’abattement pour durée de détention «appliqué lors de cette cession» (CGI, art. 150-0 D, 1- al. 3).
Seconde surprise : le nouveau régime s’appliquerait sans les abattements pour durée de détention
Lorsqu’il s’agit d’earn out se rapportant à des cessions antérieures à 2013, que signifie cette formule : le complément de prix afférent à une cession est réduit de l’abattement pour durée de détention «appliqué lors de cette cession» ?
L’explication la plus logique est que le temps attendu pour la perception du complément de prix ne doit pas améliorer son sort fiscal, autrement dit que l’abattement applicable au complément ne doit pas dépasser celui qui aurait visé la cession.
Mais certains contribuables se sont vus préciser par les services vérificateurs, par une interprétation littérale de la loi, que le complément relatif à une cession antérieure à 2013 est visé par le barème de l’impôt sur le revenu sans jamais pouvoir bénéficier d’un système d’abattement qui n’existait pas encore au jour de la cession. Curieuse solution.
Certes, la rédaction du texte de loi n’est pas parfaite, mais il ne nous semble pas que le législateur ait souhaité pénaliser le cas visé. Il nous semblerait plus logique que la taxation au barème s’accompagne de son nécessaire corollaire, l’abattement pour durée de détention, qu’il conviendrait au cas particulier de calculer comme il se serait appliqué à l’époque de la cession si le régime actuel était déjà entré en vigueur.
Les vérifications qui sont signifiées aux contribuables s’expliquent par des commentaires administratifs au BOFiP insuffisamment protecteurs : le BOI-RPPM-PVBMI-20-10-10-20 n°70, en date du 20 mars 2015 précise simplement que les abattements pour durée de détention et l’abattement fixe dont bénéficie le dirigeant de PME qui part à la retraite «lorsqu’ils s’appliquent au gain net de cession, s’appliquent également au complément de prix afférent à cette cession».
Les contestations envisageables
Imaginons un contribuable qui, lors de la cession antérieure à 2013, a été imposé à l’impôt sur le revenu au taux alors fixé à 19%. Imaginons un autre qui a bénéficié de l’exonération en faveur du dirigeant de PME partant à la retraite.
Lorsqu’ils ont cédé leurs titres, les contribuables pouvaient penser que les compléments de prix prévus contractuellement supporteraient la même charge d’imposition que la cession à laquelle ils se rapportent, mais selon la date du versement du complément, la loi ne mène pas au même résultat :
- s’il a été versé avant 2013, les mêmes conditions que pour la cession se sont appliquées (19% ou exonération),
- s’il a été versé à compter du 1er janvier 2013, l’impôt sur le revenu pourrait atteindre 45% sans abattement. Du moins selon certains vérificateurs.
Les cédants percevant un complément postérieurement au 1er janvier 2013 peuvent avoir intérêt à contester un mauvais traitement, en particulier sur le terrain constitutionnel.
De prime abord, on pourrait imaginer contester le fait que les compléments de prix relatifs à la cession réalisée une année donnée (antérieure à 2013) ne soient pas tous taxés de la même manière, selon la date de leur versement. Mais il nous semble que le point le plus contestable tient à ce que la loi, en prévoyant que le complément de prix afférent à une cession est réduit de l’abattement pour durée de détention «appliqué lors de cette cession», risque, si l’administration maintient sa position, de priver le cédant de l’abattement.
Le Conseil constitutionnel ne peut, selon nous, pas être considéré comme ayant contrôlé ce dernier point. La réforme des plus-values mobilières s’est faite par deux lois de finances (lois de finances pour 2013 et pour 2014) et une saisine constitutionnelle sur cette réforme n’a eu lieu que dans le cadre de la première de ces lois. Or, la rédaction litigieuse sur les compléments de prix résulte seulement de la deuxième loi de finances, ce qui permet de soutenir que sa conformité à la Constitution peut être contestée par un justiciable dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.
Appliquer l’imposition au barème sans les abattements pour les compléments à raison d’une cession qui remonte avant 2013 place ces cédants dans une situation nécessairement moins favorable que ceux qui perçoivent un complément après avoir cédé depuis le 1er janvier 2013. Cette différence de traitement nous semble difficilement justifiable : en quoi les cédants ayant relevé de l’imposition à 19% pour la plus-value de cession initiale (cessions avant 2013) sont-ils dans une situation radicalement différente de celle des cédants dont la plus-value de cession initiale a relevé de l’imposition au barème (cessions depuis 2013) ?
En conclusion, il nous semble que les contribuables concernés ont intérêt à soutenir, à titre conservatoire – même si tout espoir n’est pas exclu que l’administration revienne sur sa position… – que la règle posée à l’article 150-0 D, 1-al. 3 du CGI doit être interprété comme «le complément de prix est réduit de l’abattement […] déterminé en fonction de la durée de détention de ces actions, parts ou droits lors de leur cession» plutôt que «est réduit de l’abattement prévu au même alinéa et appliqué lors de cette cession».
Lire également : Les modalités optimales de l’earn-out
Auteur
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.