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Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (2) – Les délégations de pouvoirs à l’épreuve des opérations de fusion-acquisition

Le risque pénal dans les opérations de fusion-acquisition (2) – Les délégations de pouvoirs à l’épreuve des opérations de fusion-acquisition

Qu’il s’agisse de cessions ou de simples restructurations intragroupe, les opérations qui ponctuent la vie des sociétés sont susceptibles d’affecter les délégations de pouvoirs consenties par leurs dirigeants et, ce faisant, l’un des principaux objectifs qui leur est assigné : l’exonération de la responsabilité pénale du chef d’entreprise.

 

Instrument incontournable d’organisation des pouvoirs et de gestion des risques au sein de l’entreprise, la délégation de pouvoirs permet, en plus d’habiliter un préposé à agir au nom et pour le compte de la société concernée, de transférer sur ses épaules la responsabilité pénale du chef d’entreprise attachée aux pouvoirs délégués.

Selon une jurisprudence solidement établie, et hors le cas où la loi en dispose autrement, le chef d’entreprise qui n’a pas pris part personnellement à l’infraction peut en effet s’exonérer de sa responsabilité pénale en rapportant la preuve qu’il a délégué ses pouvoirs à une personne pourvue de la compétence, de l’autorité et des moyens nécessaires à leur exercice.

Cette exonération ne s’étend en revanche pas à la responsabilité pénale de la personne morale en cause, qui reste donc susceptible d’être engagée en sus de celle du délégataire. Les domaines de prédilection de ces délégations, qui dépendent également des foyers de risques propres aux activités en cause, sont notamment l’hygiène et la sécurité, la représentation auprès des instances représentatives du personnel, le droit économique ou encore la réglementation environnementale.

L’effet exonératoire recherché est tributaire de la taille de l’entreprise concernée, qui doit être suffisante pour justifier le recours à cet instrument de déconcentration des pouvoirs et des responsabilités.

A l’inverse, le fait pour un dirigeant de ne pas y recourir alors qu’il ne peut superviser seul l’ensemble des activités exercées peut constituer une circonstance aggravante de sa responsabilité pénale. Un juste équilibre doit donc être trouvé entre déléguer et ne pas déléguer.

 

Survie ou caducité des délégations de pouvoirs ?

L’examen du contentieux opposant délégants et délégataires (les premiers revendiquant un transfert de responsabilité auquel les seconds entendent précisément se soustraire) suffit à convaincre le praticien de la nécessité de se pencher attentivement, à l’occasion de chaque opération de M&A, sur le sort des délégations de pouvoirs en vigueur dans les sociétés impliquées.

 

Contrairement à celle d’un fonds de commerce, la cession d’une société n’est pas de nature à remettre en cause par principe les délégations de pouvoirs existantes, et ce même quand elle s’accompagne du changement du dirigeant délégant.

 

A la différence des délégations de signature, le préposé ayant agi au nom et pour le compte de la société, et non en son nom personnel, celle-ci demeure engagée tant que la délégation n’est pas révoquée (1).

Lors des cessions de sociétés plusieurs points sont à surveiller. Il convient tout d’abord de s’assurer de l’absence de modification substantielle des fonctions du délégataire post-cession, et de ce que les termes de la délégation ne prévoient pas sa caducité en cas de changement de contrôle.

Lorsque l’entité cédée appartient à un groupe de sociétés, doivent en outre être recensées les délégations la concernant qui auraient éventuellement été accordées par le dirigeant d’une autre société de ce groupe, dont les contours sont appelés à évoluer à la faveur de la cession en cause.

La jurisprudence, dérogeant en cela à l’exigence selon laquelle le délégué doit être le préposé du chef d’entreprise (et donc un salarié de la société que représente celui-ci), a en effet admis que le représentant légal de la « société dominante » d’un groupe puisse valablement consentir une délégation de pouvoirs (en matière d’hygiène et de sécurité aux cas d’espèce) pour l’ensemble des sociétés du groupe au profit d’un salarié d’une filiale placé sous son autorité hiérarchique (2).

L’efficacité de telles délégations a été reconnue par les juges pour exonérer tant le dirigeant de la société dominante que celui d’une de ses filiales de leur responsabilité pénale dans les domaines délégués. En mettant fin au contrôle de la société dominante, la vente d’une filiale du groupe emportera pour elle caducité de toute délégation la concernant qui aurait été consentie par le dirigeant de la société dominante, et appellera le cas échéant à leur remplacement.

Enfin, en cas d’intégration de la société cédée à un nouveau groupe, il conviendra de s’assurer que la survie de délégations préexistantes au sein de l’entité cédée ne génère pas de situations de co-délégation, la jurisprudence considérant que la délégation des mêmes pouvoirs à plusieurs personnes « restreint l’autorité et entrave l’initiative de chacun des prétendus délégataires » (3).

 

Des incertitudes qui appellent à la prudence

La fusion-absorption soulève peu de difficultés lorsque l’on se place du côté de l’absorbante : les délégations de pouvoirs consenties par ses dirigeants survivent à l’opération, sauf à ce que le délégataire ne satisfasse plus au triptyque compétence / autorité / moyens nécessaires précédemment évoqué du fait de l’élargissement du périmètre dont il a la charge par l’effet de la fusion.

Le sort des délégations octroyées par la société absorbée fait en revanche débat, certains auteurs affirmant leur caducité automatique (4) là où d’autres défendent le principe de leur survie par l’effet de la transmission universelle de patrimoine (5).

La chambre criminelle de la Cour de cassation se place pour sa part dans un entre-deux, « refusant que la fusion emporte nécessairement transfert de la délégation (…/…), mais admettant implicitement qu’il puisse en être autrement » (6) aux termes d’un arrêt qui acte toutefois que la transmission des contrats de travail en application de l’article L.1224-1 du Code du travail n’implique pas celle des délégations qui peuvent en être l’accessoire (7).

Deux éléments nous semblent cependant militer pour la caducité des délégations de pouvoirs octroyées par l’absorbée.

 

D’une part, le caractère intuitu personae de la délégation de pouvoirs rend difficilement concevable que celle-ci puisse survivre à la disparition de la société absorbée, pour le compte de laquelle sont exercés les pouvoirs délégués.

 

D’autre part, s’agissant d’une forme particulière de mandat, l’article 2003 du Code civil selon lequel le mandat prend fin par la disparition du mandant devrait recevoir application.

S’y ajoute un troisième élément : la prudence. L’impératif de sécurisation de l’effet exonératoire de responsabilité pénale des délégations de pouvoirs commande une assise juridique plus solide qu’une doctrine divisée et une jurisprudence à la portée incertaine.

Aussi la mise en place de nouvelles délégations – ou à tout le moins la confirmation des délégations antérieures – s’impose-elle à la suite de la réalisation d’opérations de fusion, mais également de scission ou d’apport partiel d’actif soumis au régime juridique des scissions.

La prudence est également de rigueur en matière de transformation de société, bien que ces opérations n’emportent pas création d’une personne morale nouvelle conformément à l’article 1844-3 du Code civil. La Cour de cassation a en effet jugé que dès lors qu’elle entraîne un changement dans la structure interne de gouvernance de la société – ce qui sera le plus souvent le cas – une telle opération ne permet pas aux pouvoirs des organes dirigeants de se perpétuer sous la forme sociale nouvelle (8).

Autant de raisons qui plaident pour un suivi rigoureux des délégations de pouvoirs et des subdélégations qui les accompagnent fréquemment. Leur cartographie précise et exhaustive doit être établie et actualisée au gré des évènements affectant les sociétés concernées. Il en va de l’effectivité de leur rôle exonératoire de responsabilité.

 

(1) Com. 4 févr. 1997, n° 94-20681.
(2) Crim. 26 mai 1994, n° 93-83213 ; Crim. 7 févr. 1995, n° 94-81832.
(3) Crim. 12 déc. 2006, n° 7654.
(4) Droit des sociétés, P. Le Cannu et B. Dondero, LGDJ Lextenso, 7e éd. n° 507.
(5) Lamy Sociétés Commerciales, éd. 2021, n° 2024.
(6) Le sort de la délégation de pouvoirs en cas de fusion-absorption, N. Ferrier, BJS déc. 2011 p. 957.
(7) Crim. 20 janv. 2011, n° 10-87348.
(8) Crim. 3 janv. 1986, n° 85-91905, rendu à propos de la transformation d’une SA en SNC

 

Article publié dans la Lettre des fusions-acquisitions et du private equity du 11 octobre 2021

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