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Le nouveau pouvoir d’audition de l’administration

Le nouveau pouvoir d’audition de l’administration

L’administration vient de préciser les modalités d’application du pouvoir d’audition dont elle dispose pour la recherche de manquements à la réglementation fiscale à visée internationale, dans une mise à jour de sa base Bofip du 7 février 2018 (BOI-CF-COM-20-50).


Nous actualisons ci-dessous nos commentaires déjà publiés au Feuillet rapide Francis Lefebvre n°33/17 du 27 juillet 2017.

« Il serait très utile, dans le cadre de la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales, de pouvoir interroger des tiers qui détiennent des informations pertinentes et utiles (clients, fournisseurs, environnement professionnel, etc.) pour démontrer la localisation en France de certaines activités prétendument localisées à l’étranger ou pour apporter la preuve de la domiciliation fiscale en France de certains contribuables ». Tel est l’exposé des motifs de l’article 19 de la loi de finances rectificative pour 2016 dont est issue la procédure d’audition prévue à l’article L 10-0 AB du LPF.

Depuis le 1er janvier 2017, le législateur a ainsi complété l’arsenal de moyens dont dispose l’administration fiscale par un pouvoir d’audition permettant à ses agents de recueillir des informations relatives à certains aspects de la fiscalité internationale. L’administration avait d’ores et déjà eu recours à cette nouvelle procédure avant qu’elle ait fait l’objet de commentaires au Bofip.

Même si sa mise en œuvre devrait rester circonscrite à quelques enquêtes par an, il est prudent d’en connaître les principaux aspects pour ne pas être pris au dépourvu lors de la réception d’une demande d’audition par l’entreprise ou l’un de ses salariés.

Dans quel contexte l’administration peut-elle recourir à une audition ?

La loi impose seulement que les investigations menées par l’administration aient pour objet la recherche de manquements à certaines dispositions du CGI visant à lutter contre l’évasion fiscale à l’étranger, notamment celles relatives aux prix de transfert, à l’existence d’une activité imposable en France d’une société étrangère ou d’une domiciliation fiscale en France d’une personne physique, ainsi qu’à l’interposition de sociétés considérées comme écrans. En revanche, l’administration n’est pas tenue de justifier de l’existence d’une enquête en cours ou du moment qu’elle choisit pour exercer son droit d’audition.

Il est toutefois vraisemblable, comme le suggèrent du reste les travaux parlementaires, que l’administration recourra généralement à cette procédure pour étayer une enquête menée en amont de la mise en œuvre de son pouvoir de contrôle. Les éléments recueillis dans le cadre de la ou des auditions pourront également enrichir une demande d’autorisation de perquisition fiscale (LPF art. L 16 B) soumise au juge des libertés et de la détention, comme le confirme l’administration dans son commentaire. Bien que ce point ne soit pas développé dans le commentaire au Bofip, la loi ne nous paraît pas interdire que ces moyens d’investigations soient déclenchés en cours de contrôle.

Qui au sein de l’administration fiscale est habilité à l’audition ?

La loi autorise tout agent de catégorie A ou B de l’administration fiscale et ne requiert aucune habilitation spécifique. L’administration précise toutefois que le service compétent pour mener l’audition est celui dans le ressort territorial duquel la personne auditionnée est domiciliée. Le nombre d’agents pouvant participer à une audition n’est pas spécifié. Il est vraisemblable que la procédure d’audition sera principalement mise en œuvre par les services de recherche et d’enquêtes comme ceux de la Direction nationale d’enquêtes fiscales (Dnef) ou ceux qui travaillent en appui des brigades de vérification des directions territoriales de contrôle fiscal qui sont principalement chargés de mener les investigations susceptibles de révéler les fraudes les plus graves en amont de toute procédure de rectification.

Mais la loi n’interdit pas que l’audition soit menée, par exemple, par le vérificateur en charge du contrôle de la personne visée par l’enquête. Reste que la conduite d’une audition comme la rédaction du procès-verbal consignant les questions du fonctionnaire et les réponses formulées par la personne auditionnée ne sont pas des actes avec lesquels les agents de l’administration fiscale sont tous familiarisés, s’agissant d’une procédure qui demeure limitée dans le cadre des procédures fiscales.

Qui peut être auditionné ?

La loi vise « toute personne », à l’exception du contribuable concerné, susceptible de fournir à l’administration des informations utiles à l’accomplissement de sa mission.

L’intérêt affiché de cette procédure est de permettre d’interroger les personnes qui sont en relation avec le contribuable soupçonné de fraude. On pense bien sûr aux fournisseurs et clients dans le cadre de relations commerciales ou d’affaires mais rien n’exclurait que l’administration utilise son pouvoir d’audition pour tenter d’obtenir des informations auprès de personnes relevant de la sphère des relations privées lorsque l’enquête porte par exemple sur la domiciliation d’une personne physique.

Le législateur ne paraît pas non plus avoir expressément écarté que l’administration puisse procéder à l’audition de personnes employées par le contribuable visé par une enquête et sur lequel pèse un soupçon de fraude, même si la lettre de la loi, qui permet l’audition de « toute personne, à l’exception du contribuable concerné » n’est pas dépourvue d’ambiguïté.

Ce dernier point est confirmé par l’administration : les salariés et anciens salariés de la personne morale soupçonnée de fraude peuvent être entendus. Mais l’administration exclut en revanche, pour « respecter l’esprit du texte » que soient auditionnés les dirigeants d’une personne morale sur laquelle portent des soupçons ou le conjoint de l’exploitant d’une entreprise individuelle visée par une enquête.

Le pouvoir d’audition est-il contraignant ?

Pas plus que les quelques autres procédures d’audition que peuvent mener les services de l’administration fiscale (dans le cadre d’un droit d’enquête en matière de règles de facturation, d’une enquête portant sur le travail dissimulé ou d’une perquisition de nature fiscale), le pouvoir d’audition accordé par le législateur ne revêt un caractère contraignant. La loi l’indique expressément en prévoyant que la demande d’audition mentionne la possibilité pour la personne de la refuser.

On regrettera à cet égard que les premières demandes dont nous avons pu avoir communication ne se réfèrent pas à une « possibilité de refus », plus intelligible que la formulation « cette demande n’est pas contraignante » qui y figure, et qui est reprise dans le commentaire publié par l’administration.

En définitive, la seule réelle contrainte résulte, pour les tiers dont l’audition est demandée, de la crainte de voir leurs propres relations avec l’administration dégradées en cas de refus. Comme le relèvent les travaux parlementaires, ce risque peut placer le tiers sollicité face à un difficile arbitrage entre une volonté de civisme fiscal et celle de ne pas compromettre sa relation avec la personne visée par l’enquête.

Quelles sont les garanties dont la procédure est assortie ?

En ce qui concerne la personne auditionnée, la loi prévoit tout d’abord qu’elle est informée de la demande d’audition huit jours au moins avant la date prévue. Cela exclut notamment que cette procédure d’audition puisse être mise en œuvre à l’occasion d’une procédure inopinée telle que le droit de visite et de saisie au cours duquel seul l’occupant ou son représentant peut éventuellement être entendu. L’administration indique en revanche que la demande d’audition peut être remise en main propre mais que, dans ce cas, l’audition ne peut en aucun cas débuter lors de cette entrevue.

L’audition se tient en principe dans les locaux de l’administration mais il est possible de demander qu’elle ait lieu dans d’autres locaux à l’exception de locaux à usage d’habitation.

Il est également possible de solliciter le concours d’un interprète. De plus, si la loi ne le prévoit pas explicitement, les premières convocations précisent que la personne auditionnée peut se faire assister d’une personne de son choix, ce qu’indique également le Bofip. Enfin, l’audition fait l’objet d’un procès-verbal que la personne auditionnée a la faculté de refuser de signer.

Quant au contribuable visé par l’enquête, bien que la loi précise que l’objet des recherches est indiqué à la personne auditionnée dans la limite du respect par l’administration des règles du secret professionnel, il est difficile d’imaginer que son nom pourrait ne pas être porté à la connaissance de la personne entendue. L’administration veillera tout au plus à ne pas exprimer de manière explicite la nature des soupçons de fraude pesant sur la personne visée. En cas d’utilisation des éléments de l’audition dans le cadre d’une procédure de rectification à l’encontre du contribuable visé, le procès-verbal d’audition pourra être porté à sa connaissance.

Aucune indication n’est donnée par le Bofip sur l’articulation entre la procédure d’audition et le secret fiscal. L’administration indique toutefois que, la procédure ayant comme seul objectif la recherche de manquements aux dispositions visées à l’article L 10-0 AB du LPF, les questions ne peuvent avoir pour but que de vérifier qu’un contribuable respecte ces dispositions et doivent, en conséquence, être « précises et ciblées pour permettre notamment de mieux appréhender la fraude fiscale internationale et d’aider à l’identification des mécanismes de fraude ».

L’administration peut-elle accéder à des documents dans le cadre de l’audition ?

La loi ne le prévoit pas. Si l’audition la met sur la piste de certains documents, l’administration devra pour les obtenir mettre en œuvre son droit de communication (LPF art. L 81 s.) au champ d’application très large ou d’autres procédures plus contraignantes telles que celle du droit de visite et de saisie (LPF art. L 16 B). L’administration ajoute dans son commentaire qu’il lui est également possible d’adresser une simple demande de renseignements sur le fondement des dispositions des articles L 10 et L 11 du LPF.

Quelles sont nos premières recommandations ?

D’une manière générale, le risque le plus saillant de cette nouvelle procédure tient à ce que les propos de la personne auditionnée sont susceptibles d’étayer, en eux-mêmes ou parmi d’autres indices, un redressement fiscal qui sera notifié au contribuable visé dans le cadre d’une procédure écrite. Or, une fois que les informations qu’elle aura communiquées auront été consignées dans le procès-verbal, la personne auditionnée ne disposera d’aucun moyen spécifique pour les compléter ou les infirmer. L’administration fiscale précise néanmoins utilement que, pour être opposable au contribuable, le procès-verbal « doit faire partie d’un faisceau d’indices démontrant des manquements aux règles fixées par les articles énumérés dans l’article L. 10-0 AB du LPF ».

Quoiqu’il en soit, il peut être judicieux, en particulier si la personne dont l’audition est envisagée n’est pas familière des procédures fiscales, qu’elle soit informée avant la tenue de l’audition sur l’objet, le déroulement et l’étendue de ses droits dans le cadre de cette procédure. Il peut être par exemple utile de lui recommander, si elle accepte l’audition, d’être très attentive à l’exacte consignation de ses propos dans le procès-verbal puisque ces informations sont susceptibles d’être utilisées à l’encontre du contribuable visé par l’enquête et dans le cadre d’une procédure de rectification fiscale. En outre, dans la mesure où l’administration ne prévoit pas de remettre systématiquement un exemplaire du procès-verbal à la personne auditionnée, il peut également lui être recommandé d’en demander une copie à l’issue de son audition.

 

Auteurs

Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale.

Annabelle Bailleul-Mirabaud, avocat associé, fiscalité internationale

 

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