Le nouveau devoir de vigilance des sociétés-mères et des entreprises donneuses d’ordre fera-t-il long feu ?
Après un long parcours législatif, la loi du 21 février 2017 devrait inscrire le dispositif relatif au devoir de vigilance dans notre droit positif. Reste à savoir si le Conseil constitutionnel, saisi par l’opposition, remettra en cause ce texte, en tout ou partie.
D’après le nouvel article L. 225-102-4 du Code de commerce, de nouvelles obligations s’imposent aux sociétés ayant leur siège social en France employant directement et dans leurs filiales françaises au moins 5 000 salariés (ou 10 000 avec leurs filiales étrangères) à la clôture de deux exercices consécutifs. Chacune de ces sociétés¹ devra, dès cette année, établir et mettre en œuvre un plan de vigilance.
Ce plan devra comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement« résultant des activités de la société concernée, des sociétés que cette dernière contrôle directement ou indirectement², ainsi que des activités des sous-traitants ou fournisseurs habituels.
L’objectif poursuivi consiste à responsabiliser les sociétés transnationales afin d’empêcher la survenance de drames humains ou environnementaux et de permettre aux victimes de tels drames d’obtenir réparation. Toutefois, la nature des risques devant être identifiés par ce plan de vigilance est vaste et leur contour assez imprécis.
Le texte précise que les filiales du groupe franchissant les seuils susvisés seront dispensées d’établir ce plan si la tête de groupe l’a établi. En revanche, si la société-mère, pure holding, ne franchit les seuils qu’en tenant compte de ses filiales, elle devra néanmoins respecter le nouveau dispositif.
Concrètement, le plan devra comporter a minima (a) une cartographie des risques, (b) des procédures d’évaluation de la situation des filiales, des sous-traitants ou fournisseurs, au regard de la cartographie des risques, (c) des actions adaptées d’atténuation des risques ou de prévention des atteintes graves, (d) un dispositif d’alerte, (e) un dispositif de suivi des mesures mises en œuvre et d’évaluation de leur efficacité. Un décret ultérieur pourra compléter ces mesures.
Le plan de vigilance et le compte rendu de sa mise en œuvre effective doivent être « rendus publics » et inclus dans le rapport mentionné à l’article L225-102. A notre avis, la publicité voulue ici vise une publication sur le site Internet de la société et non un simple dépôt au greffe³.
L’obligation d’élaborer le plan, de le rendre public et de l’inclure dans le rapport de gestion s’applique dès 2017. En revanche, les obligations relatives au compte rendu ne s’appliqueront qu’en 2018.
S’agissant des sanctions, le nouvel article L. 225-102-5 prévoit que tout intéressé peut solliciter du juge qu’il mette en demeure la société de respecter les obligations précitées, et si la société n’y satisfait pas dans un délai de 3 mois, cette dernière peut être condamnée au paiement d’une amende civile d’un montant maximal de 10 millions d’euros (non déductible du résultat fiscal).
En outre, si le manquement par une société à son devoir de vigilance a causé un préjudice, la responsabilité civile délictuelle de la société peut être engagée (sur le fondement des nouveaux articles 1240 et 1241 du Code civil) et l’amende civile peut alors atteindre 30 millions d’euros. Le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur la validité de cette responsabilité du fait d’autrui.
Il ne fait aucun doute que sont concernées par ces nouvelles obligations les SA, SCA et sociétés européennes. Quid des SAS ? Les nouveaux articles L. 225-102-4 et L. 225-102-5 du Code de commerce font partie des articles applicables aux SAS sur renvoi de l’article L227-1 ; toutefois, à la lecture des dispositions transitoires, le rapport prévu à l’article L. 225-102 n’étant pas applicable aux SAS, la SAS qui franchirait les seuils doit élaborer et publier un plan de vigilance en 2017, mais elle ne devrait pas être tenue de l’intégrer à son rapport de gestion ; et elle ne serait plus tenue à aucune obligation pour les années suivantes !
Notes
¹ Ce texte s’appliquerait à 243 sociétés employant 4 millions de salariés, d’après la sénatrice Elisabeth Lamure (cf. compte rendu de la séance du Sénat du 1er février 2017)
² Au sens du II de l’article L. 233-16 relatif aux comptes consolidés
³ Par analogie avec les dispositions relatives aux conventions réglementées dans les sociétés cotées (art. L.225-42-1 et R225-34-1 C. com.)
Auteur
Isabelle Prodhomme, avocat en droit des sociétés, en droit boursier et en Private Equity.