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Le fonds de commerce sur le domaine public : vers une simili propriété commerciale ?

Le fonds de commerce sur le domaine public : vers une simili propriété commerciale ?

La loi «Pinel» reconnaît qu’un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public. Quelles règles du droit privé s’appliquent à un tel fonds ? Notamment, comment apprécier l’existence d’un fonds ? Quelle indemnité pour son propriétaire en cas de retrait de l’autorisation d’occuper le domaine public ?

La loi 2014-626 du 18 juin 2014 relative à l’artisanat, au commerce et aux très petites entreprises -plus connue sous le nom de «loi Pinel»- a introduit de nouvelles dispositions dans le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP), dont la principale figure à l’article L 2124-32-1, selon lequel «un fonds de commerce peut être exploité sur le domaine public sous réserve de l’existence d’une clientèle propre».

Renversement de principe, donc, à l’attention des publicistes. Ces dispositions marquent en effet l’épilogue d’une jurisprudence constante du juge administratif refusant la constitution de fonds de commerce sur le domaine public (CE 31-7-2009 n°316534 : Lebon T p. 739 ; CE 19-1-2011 n°323924 : Lebon T p. 923), sous réserve de dispositions spécifiques comme dans l’enceinte de marchés d’intérêt national (C. com. art. L 761-9 ; CAA Paris 7-3-2013 n° 10PA0599). Ce faisant elles valident, en revanche, la solution dégagée de longue date par la Cour de cassation (Cass. com. 7-3-1978 : Bull. civ. IV n°84 ; Cass. com. 28-5-2013 n° 12-14.049 : Bull. civ. IV n°90).

La genèse de ces dispositions, introduites par amendement dans la loi Pinel, a déjà été largement commentée en doctrine (C. Chamard-Heim et P. Yolka, La reconnaissance du fonds de commerce sur le domaine public : AJDA 2014 p. 1641). On doit néanmoins rappeler l’influence significative de deux facteurs dans leur processus d’adoption : les contraintes résultant de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales et la recherche d’une meilleure valorisation des occupations du domaine public.

Sur le premier aspect, les travaux parlementaires mettent clairement en exergue la pression de la Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH 26-4-2011 n°32521/05), considérant comme une atteinte au droit de propriété le fait de dénier la constitution d’un fonds de commerce à un occupant du domaine public (CGPPP art. L 2124-35).

Rappelons qu’il n’y a pas violation de l’article 1er du Protocole n°1 à la Convention européenne en cas de destruction d’habitations irrégulièrement maintenues sur le domaine public naturel (CEDH 29-3-2010 n°34078/02), cette exclusion du domaine public naturel étant reprise par l’article L 2124-35 du CGPPP.

Le second sujet évoqué par les travaux parlementaires tient au mouvement de valorisation du domaine public qui caractérise les évolutions jurisprudentielles et textuelles récentes, en offrant aux occupants de nouvelles perspectives de financement (crédit-bail et nantissement de fonds de commerce).

Il faut encore préciser que le législateur a pris de vitesse le juge administratif puisque le Conseil d’Etat était en passe d’examiner le sujet en section du contentieux lorsque ces dispositions ont été adoptées.

Dans ce contexte surgissent des interrogations auxquelles le juge administratif, en application de l’article L 2331-1 du CGPPP, devra répondre. La principale d’entre elles tient aux solutions qu’un privatiste, averti en matière de droit commercial, pourra ou non transposer en présence d’un fonds de commerce constitué sur le domaine public. En effet, il ne fait aucun doute que les principes de la domanialité publique, dont au premier titre la précarité de l’occupation prévue par le CGPPP et validée par la CEDH (CEDH 29-3-2010 n°34044/02), interdiront une analogie systématique avec le fonds de commerce exploité sur une propriété privée ou le domaine privé des personnes publiques. La compétence du juge administratif en la matière et la distance qu’il devrait en conséquence s’autoriser par rapport aux notions dégagées par le juge judiciaire devraient accentuer cette tendance.

Surtout, la domanialité publique et les principes qui la gouvernent semblent d’ores et déjà dessiner des spécificités qui méritent d’être étudiées.

I. La transposition des règles liées à la constitution d’un fonds de commerce sur le domaine public

Transposition pure et simple des critères d’existence d’un fonds de commerce ?

Une première question qui ne manquera pas de se poser dans la perspective de l’application de l’article L 2124-32-1 du CGPPP sera celle de l’appropriation par le juge administratif de la jurisprudence judiciaire dégagée de longue date sur les critères d’existence d’un fonds de commerce.

Le législateur a pris le soin de préciser que l’existence d’un fonds de commerce sur le domaine public sera caractérisée en présence d’une clientèle propre. Cette indication peut apparaître redondante au regard de la notion de fonds de commerce. Sauf à considérer que le législateur a, ce faisant, invité le juge administratif à se référer à la grille d’analyse dégagée en la matière par le juge judiciaire et à abandonner toute velléité d’ériger une condition plus restrictive.

La clientèle est en effet l’élément indispensable sans lequel le fonds n’existe pas (Cass. 3e civ. 18-5-1978 n°76-13.943 : Bull. civ. III n°205 ; Cass. 3e civ. 19-9-2006 n°05-18.365 : RJDA 12/06 n°1201), le fonds de commerce étant par ailleurs constitué d’éléments corporels (matériels et marchandises) et incorporels (enseigne, nom commercial, brevets, licences, marques, droits de protection intellectuelle et industrielle).

Le juge administratif devrait donc se fonder, pour caractériser un fonds de commerce, sur les solutions jurisprudentielles dégagées par le juge judiciaire. La notion de fonds de commerce sur le domaine public ne devrait pas s’avérer totalement autonome par rapport à l’acception qu’elle reçoit en droit privé.

Pour caractériser un fonds de commerce aux yeux du juge judiciaire, la clientèle doit être personnellement attachée au commerçant (Cass. ass. plén. 24-4-1970 n°68-10.914 : Bull. civ. n°3). Il n’est pas exigé que cette clientèle personnelle présente un caractère prépondérant par rapport à celle de l’établissement d’accueil (Cass. 3 e civ. 19-3-2003 n°01-17.679 : RJDA 6/03 n°572 ), solution qui devrait être déterminante sur le domaine public, celui-ci induisant fréquemment une fréquentation qui lui est propre, et notamment celle des usagers du service public ou du domaine public, qui ne sont pas attirés au premier chef par le commerce en lui-même.

L’application de cette solution donne lieu à une jurisprudence abondante, aux termes de laquelle le juge se livre à une appréciation in concreto des caractéristiques de l’espèce.

Ainsi, de nombreux contentieux portent sur des locaux commerciaux situés à proximité de supermarchés et conduisent le juge à caractériser ou non l’existence d’une clientèle propre, selon la configuration des lieux et le commerce concerné.

Concluant à l’existence d’une clientèle propre : Cass. 3e civ. 1-12-1976 n°75-14.592 : Bull. civ. III n°436, pour la vente de produits alimentaires à l’extérieur d’un supermarché, compte tenu de l’emplacement et des spécialités vendues ; CA Paris 21-6-1994 n°93-5675, 16e ch. A, Sté alimentaire Boulets Montreuil c/ Sté SPBM : depuis l’origine, le locataire a disposé sans interruption d’un emplacement stable, parfaitement délimité et pouvant être séparé des locaux du supermarché par des rideaux métalliques ; il bénéficie d’une vitrine et d’un accès sur rue direct, distinct de celui du supermarché, dont les horaires d’ouverture sont d’ailleurs différents ; les produits vendus dans les deux magasins ne sont pas identiques ; les étalages du locataire sont situés à l’extérieur du supermarché, sur le trottoir de la voie publique ; CA Paris 14-3-2005 n°03-352 : AJDI 2005 p. 579 note S. Porcheron.

Concluant à l’absence de clientèle propre : Cass. 3e civ. 28-9-1982 n°1243, R. c/ SARL Marché du Puits, les juges du fond ayant souverainement retenu l’absence de preuve d’une clientèle indépendante de celle du supermarché, et CA Nîmes 12-1-2012 : AJDI 2013 p. 203, s’agissant de photomatons.

D’une manière générale, l’on constate que le juge semble assez enclin à retenir l’existence d’une clientèle, à moins qu’il ne soit démontré que les clients du local ne le fréquentent pas spontanément, mais seulement du fait de sa localisation dans un ensemble plus vaste, par exemple dans un golf (CA Pau 2-7-1959, Ville de Biarritz), un hippodrome (Cass. ass. plén. 24-4-1970 n°68-10.914 : Bull. civ. n°3), un centre de vacances (Cass. 3e civ. 8-1-1997 n°95-14.124 : Gaz. Pal. 1997 p. 549 ).

Dans l’hypothèse du domaine public, le même raisonnement devrait, en toute logique, s’appliquer et conduire à exclure l’existence d’une clientèle propre, s’agissant de commerces «captifs» du domaine public tels que ceux situés, après le contrôle des billets, dans des gares ou aérogares.

La situation devrait en revanche être plus ouverte en présence de biens disposant d’une certaine autonomie par rapport au domaine public. Dans ces hypothèses, la méthode du juge administratif pourrait s’inspirer de celle retenue pour la détermination de l’appartenance de certaines emprises au domaine privé ou au domaine public de la collectivité (voir, sur ce sujet, CE 25-5-2005 n°274683 et CE 28-12-2009 n°290937 : Lebon p. 528).

Enfin, la solution dégagée par le juge judiciaire en application de laquelle l’activité exercée par un délégataire de service public ne peut donner lieu à la constitution d’une clientèle propre au délégataire (Cass. com. 29-1-1952 : D. 1952 p. 737 note F. Derrida) devrait, quant à elle, perdurer.
Reste néanmoins que la question de l’existence d’une clientèle propre devrait se poser plus fréquemment pour les locaux situés sur le domaine public, compte tenu de l’imbrication des commerces dans le domaine public et de l’attrait de ce dernier. Par ailleurs, le juge administratif ne devrait pas manquer de préciser cette notion, voire de l’infléchir sur certains aspects, en considération des exigences spécifiques liées à la domanialité publique.

Les problématiques spécifiques à l’application des nouvelles dispositions

Comme précédemment souligné, le juge administratif ne devrait pas faire l’économie de solutions spécifiques à propos de questions pourtant déjà débattues et tranchées devant le juge judiciaire. L’absence de travaux parlementaires étayés et la rédaction des dispositions adoptées nécessiteront également que le juge administratif réponde à des questions spécifiques.

Le Conseil d’Etat a déjà eu l’occasion de préciser les modalités d’application dans le temps des nouvelles dispositions : l’article L 2124-32-1 du CGPPP ne s’applique qu’aux conventions conclues postérieurement à son entrée en vigueur (CE 24-11-2014 n°352402 : Lebon p. 350 qui vise les fonds de commerce dont les exploitants occupent le domaine public en vertu de titres délivrés à compter de l’entrée en vigueur de la loi), soit le 20 juin 2014. Cette précision est bienvenue pour répondre aux interrogations concernant les conséquences de ce texte sur les contrats en cours, notamment en matière de fixation des redevances.

L’application des nouvelles dispositions de la loi Pinel nécessitera des précisions jurisprudentielles complémentaires.

La première a trait au caractère d’ordre public de ces dispositions. Dans le silence de l’article L 2124-32-1 du CGPPP se pose en effet la question de la faculté pour les parties d’y déroger. Le fait pour la loi de prévoir qu’un fonds de commerce «peut» être constitué sur le domaine public implique-t-il que cette solution s’applique systématiquement en présence d’une clientèle propre ou seulement en l’absence de stipulation contraire ? Si le caractère d’ordre public devait être retenu, le contrat ou le titre pourrait-il aménager les conditions d’indemnisation du préjudice en cas de cessation anticipée de la relation ?

A cet égard, compte tenu de la référence des travaux parlementaires à la jurisprudence de la CEDH, l’on aurait été enclin à penser que cet article serait d’ordre public, les parties conservant néanmoins la possibilité d’aménager contractuellement l’indemnisation de tout ou partie du préjudice.

Pourtant, Benoît Bohnert, dans ses conclusions sous la décision du Conseil d’Etat du 24 novembre 2014 précitée, semble s’être incidemment prononcé en sens contraire. En effet, à l’occasion de l’analyse de l’application dans le temps des dispositions nouvelles, le rapporteur public a rappelé que les dispositions d’ordre public s’appliquaient au contrat en cours, mais que tel n’était pas le cas des articles L 2124-33 et suivants du CGPPP. Cette solution nécessiterait toutefois d’être confirmée.

Une seconde interrogation concerne la portée de ces dispositions ; ces dernières visent les seuls fonds de commerce et fonds agricoles sans mentionner les fonds artisanaux. Sur ce sujet, le juge administratif pourrait retenir une définition extensive de la notion de fonds de commerce, afin d’y intégrer les fonds artisanaux.

Surtout, la cessibilité du fonds de commerce établi sur le domaine public ne manquera pas non plus de susciter des interrogations. En effet, pour concilier l’existence d’un fonds de commerce et les prérogatives du maître du domaine public, l’article L 2124-33 du CGPPP dispose que «toute personne souhaitant se porter acquéreur d’un fonds de commerce ou d’un fonds agricole peut, par anticipation, demander à l’autorité compétente une autorisation d’occupation temporaire du domaine public pour l’exploitation de ce fonds. L’autorisation prend effet à compter de la réception par l’autorité compétente de la preuve de la réalisation de la cession du fonds».

Ces dispositions excluent donc l’application du mécanisme jouant en matière de baux commerciaux selon lequel la cession du fonds de commerce doit pouvoir emporter celle du droit au bail (conformément à l’article L 145-16 du Code de commerce, réputant non écrites les conventions tendant à interdire au locataire de céder son bail ou les droits qu’il tient du statut à l’acquéreur de son fonds de commerce ou de son entreprise). En matière de fonds de commerce sur le domaine public, il appartiendra au cessionnaire d’obtenir, auprès de la personne publique, une autorisation d’occupation qui lui sera propre.

Cette solution s’explique par le caractère incessible des conventions d’occupation simples, non constitutives de droits réels (CE 10-5-1989 n°73146 : Lebon T p. 675 ; CE 31-7-2009 n°316534 : Lebon T p. 739). En revanche, elle apparaît plus surprenante en matière de conventions constitutives de droits réels, pouvant quant à elles être librement cédées.

Les modalités de mise en œuvre de ce mécanisme devront –c’est indiscutable– être précisées, et plus particulièrement la durée du titre auquel le cessionnaire du fonds pourra prétendre en pareil cas. Quand bien même le législateur a retenu le principe d’un droit de présentation du cessionnaire, pour préserver le principe du caractère personnel des autorisations du domaine public, il apparaîtrait surprenant que la durée du titre d’occupation qu’il pourra revendiquer excède celle de la durée résiduelle du titre en cours.

Une conséquence certaine en résultera sur la rédaction des actes de cession de fonds de commerce ayant vocation à conserver leur implantation sur le domaine public : l’introduction de conditions suspensives auxquelles les praticiens seront particulièrement attentifs, liées à l’obtention par le cessionnaire d’un titre d’occupation en lien avec la valorisation qui aura été retenue.

Par ailleurs, l’hypothèse d’une location-gérance du fonds de commerce n’est pas mentionnée par les nouvelles dispositions. La conclusion d’un tel contrat de location-gérance ne s’analysant pas comme une cession du contrat, la procédure visée à l’article L 2124-33 du CGPPP ne devrait pas s’appliquer. Cependant, il est vraisemblable qu’un tel contrat ne pourra être signé qu’après autorisation préalable de la personne publique.

Enfin, ces dispositions peuvent également soulever quelques difficultés d’articulation avec une éventuelle procédure de mise en concurrence de l’autorisation d’occupation du domaine, que cette mise en concurrence soit volontaire ou obligatoire.

II – Les limites de la constitution d’un fonds de commerce sur le domaine public

Le législateur a franchi un pas en reconnaissant la possible existence de fonds de commerce sur le domaine public. En revanche, l’incompatibilité de principe entre bail commercial et domaine public demeure, ce qui conduit à dénier à l’occupant le bénéfice de la «propriété commerciale» au sens de l’article L 145-14 du Code de commerce, et influence nécessairement la valorisation du fonds de commerce ainsi constitué.

Un fonds de commerce sans «propriété commerciale»

La spécificité du fonds de commerce constitué sur le domaine public tiendra évidemment au caractère par nature précaire et révocable du titre dont disposera son exploitant.

Pour autant, il ne s’agira pas d’une situation juridique inédite, compte tenu de la solution constamment réaffirmée par le juge judiciaire selon laquelle la titularité d’un droit au bail n’est pas une condition nécessaire à l’existence d’un fonds de commerce (Cass. com. 27-4-1993 n°91-10.819 : RJDA 11/93 n°896 ; Cass. com. 4-2-2014 n°12-25.528). Ainsi, le titulaire d’un bail emphytéotique occupe les lieux en application d’un droit réel de jouissance lui interdisant, en dépit de son exploitation d’un fonds de commerce, de revendiquer un droit au bail commercial (CA Aix-en-Provence 20-10-1987, 4e ch.). Il en va de même en matière de bail à construction et de baux dérogatoires.

La situation de l’exploitant d’un fonds de commerce sur le domaine public sera donc similaire à celle du titulaire d’un bail superficiaire en ce que son fonds de commerce est dénué d’une de ses composantes principales : le bénéfice d’un droit à un bail commercial statutaire susceptible de conférer la «propriété commerciale».

Il existe néanmoins une différence de situation entre ces différents occupants, liée aux facultés ouvertes à leurs sous-contractants : alors qu’il sera interdit à un occupant du domaine public de conclure des baux commerciaux avec des tiers, les emphytéotes ou preneurs à construction y sont, pour leur part, autorisés, puisque seul leur titre et non le bien occupé excluent l’application du statut des baux commerciaux. Soulignons que la durée du renouvellement consenti au «sous-locataire» ne peut avoir pour effet de prolonger son occupation des lieux au-delà de la date d’expiration du bail, puisque ces baux commerciaux sont conclus dans la limite du titre dont dispose le bailleur (Cass. 3e civ. 14-11-2007 n°06-18.133 : RJDA 4/08 n°383 ).

Cette solution cristallise d’ailleurs l’ancrage historique de l’interdiction des fonds de commerce sur le domaine public, pour deux raisons.

La première tient à l’antinomie entre le régime du bail commercial et celui des occupations du domaine public : en matière de bail commercial, le principe repose sur le droit au renouvellement du titre dès lors que les conditions posées par le statut sont remplies, sauf à indemniser le preneur évincé (C. com. art. L 145-14), alors qu’en matière d’occupation du domaine public, le titulaire ne dispose jamais de droit au renouvellement, et ce, même en présence de clause contraire, étant néanmoins précisé qu’un refus de renouvellement doit reposer sur des motifs légaux, exempts notamment de détournement de procédure (CAA Lyon 30-10-2014 n°13LY20754).
La seconde est liée aux conséquences financières en résultant : en l’absence de fonds de commerce et de bail commercial sur le domaine public, l’indemnisation due à l’occupant au terme du titre se trouve de fait limitée, permettant ainsi d’assurer la protection des deniers publics de l’autorité domaniale.

En droit, il est impossible à l’occupant de se prévaloir, en cas de non-renouvellement de son titre, des dispositions de l’article L 145-14 du Code de commerce prévoyant le principe d’une indemnité d’éviction due en cas de refus de renouvellement d’un bail statutaire. Le principe devrait rester celui de l’absence d’indemnisation de l’occupant, qui ne peut pas prétendre à un renouvellement, sous réserve de stipulations contraires. Il reste en effet loisible à l’autorité domaniale de consentir, selon les circonstances, un droit à indemnisation en cas de non-renouvellement du titre (CE 20-7-1990 n°77781).

Par conséquent, l’exploitant d’un fonds de commerce sur le domaine public ne saurait revendiquer une quelconque «propriété commerciale» au sens de l’article L 145-14 du Code de commerce. Pour autant, la faculté de constituer un fonds de commerce sur le domaine public devrait avoir pour effet d’améliorer les conditions d’indemnisation de l’occupant dans l’hypothèse d’une expiration anticipée de son titre, une fois que la lumière aura été faite sur la valorisation des éléments constitutifs de ce fonds de commerce atypique.

III. La valorisation spécifique du fonds de commerce établi sur le domaine public

Le fonds de commerce est, au premier chef, une notion patrimoniale et son intérêt principal réside notamment dans la valorisation qu’il induit. Même lorsqu’il n’inclut pas un droit de propriété commerciale au sens de l’article L 145-14 du Code de commerce, ses autres composantes, notamment immatérielles, constituent pour son propriétaire un actif dont la perte doit être indemnisée.

Toutefois, dans l’hypothèse d’un fonds de commerce constitué sur la base d’un titre d’occupation du domaine public par nature précaire et révocable, la survenance du terme normal du titre ne devrait pas, en principe, donner lieu à indemnisation : ayant contracté en toute connaissance de cause un contrat (ou bénéficié d’une autorisation unilatérale d’occupation) clairement rédigé quant à l’absence de droit au renouvellement, le propriétaire du fonds de commerce ne devrait pas pouvoir se prévaloir d’un préjudice du fait de la survenance de l’expiration du terme initialement prévu.

Encore faut-il que le titre ait clairement prévu la durée de l’occupation, ce qui n’est pas une condition de la légalité des titres non constitutifs de droits réels, selon la jurisprudence administrative (CE 5-2-2009 n°305021 : Lebon p. 20).

Par ailleurs, cette solution pourrait céder – sur un terrain juridique différent – lorsque l’autorité domaniale aura induit l’occupant en erreur sur son droit d’occupation, en lui laissant penser qu’il bénéficiait d’un bail commercial. Ce comportement fautif de la personne publique engage en effet sa responsabilité et ouvre un droit d’indemnisation à hauteur de l’ensemble des dépenses que l’occupant justifie avoir exposées dans la perspective d’une exploitation dans le cadre d’un bail commercial, des préjudices commerciaux et, le cas échéant, financiers qui résultent directement de la faute l’ayant induit en erreur sur l’étendue de ses droits (CE 24-11-2014 n°352402 : Lebon p. 350).

Hormis cette hypothèse – et celle, étrangère à l’autorité domaniale, du prix de cession entre personnes privées d’un tel fonds de commerce –, la problématique de la valorisation de ce fonds de commerce devrait se cristalliser autour de la résiliation ou du retrait anticipé du titre par le gestionnaire du domaine.

Notons d’emblée qu’il n’est plus possible de raisonner ici par analogie avec les baux superficiaires, dans la mesure où les droits réels que ces contrats confèrent au preneur sont incompatibles avec la stipulation d’une clause résolutoire. La situation de l’emphytéote, comme celle des autres titulaires de baux superficiaires est donc diamétralement opposée à celle de l’occupant du domaine public : exclusion de la précarité dans un cas et précarité dans l’autre.

Autant dire que les solutions en la matière restent à poser… devant le juge judiciaire et le juge administratif, selon les litiges concernés (devant le juge judiciaire s’il doit connaître d’une cession de fonds de commerce et de sa valorisation dans ce contexte, et devant le juge administratif pour l’évaluation de l’indemnité due à l’occupant en cas de cessation anticipée de son titre d’occupation).

Dans ces cas de résiliation ou retrait anticipé, le CGPPP précise les modalités d’indemnisation de l’occupant titulaire de droits réels, en prévoyant que le préjudice couvert est celui qui présente un caractère direct, matériel et certain (CGPPP art. R 2122-17).

Pour ce qui concerne les autorisations simples, la solution, d’origine jurisprudentielle, est identique en l’absence de clause contraire : l’occupant est indemnisé de son préjudice direct et certain (la condition de matérialité n’étant pas reprise) comportant la perte de bénéfices et les dépenses exposées pour l’occupation normale du domaine, qui auraient dû être couvertes au terme de cette occupation (CE 31-7-2009 n°316534 : Lebon T p. 739 ; CE 24-11-2014 n°352402 : Lebon p. 350).

Dans ce contexte, une résiliation anticipée de la convention d’occupation du domaine public conduira, selon toute probabilité, l’autorité domaniale à devoir indemniser l’occupant de la perte de son fonds de commerce, s’il est démontré qu’il ne peut l’établir ailleurs, ou des coûts et préjudices liés au transfert de l’exploitation du fonds lorsque ce transfert est possible.

Si l’occupant perd sa clientèle du fait de la résiliation ou du retrait de son titre, le préjudice sera similaire à celui visé par l’article L 145-14 du Code de commerce : la perte de son fonds de commerce. La différence principale résidera alors dans la valorisation dudit fonds de commerce, en considération de l’absence, par hypothèse, de caractère pérenne. En effet, ce fonds de commerce, rappelons-le, ne comprendra pas de «droit au bail» et ceci influera sur l’évaluation de la valeur marchande du fonds, compte tenu du caractère par nature précaire et révocable du titre.

Les autres composantes du fonds (dont principalement la clientèle) verront également leur valorisation influencée par la nature du titre s’il apparaît que ce dernier n’est pas transférable. L’occupant ne pouvant dans ce cas se prévaloir que d’un droit limité dans le temps, cette valorisation devrait dépendre de la durée du titre restant à courir au jour de la résiliation. Elle devrait être réduite à néant en cas de résiliation intervenant à la veille de l’expiration du titre, hypothèse au demeurant peu probable.

S’il est en revanche démontré que le fonds de commerce peut être transféré dans un autre lieu, l’occupant ne devrait pas pouvoir prétendre à indemnisation dès lors que son titre, par nature précaire, n’intègre pas de droit au bail, d’une part, et que son activité peut se poursuivre à un autre emplacement, d’autre part.

Les autres postes de préjudice susceptibles d’être revendiqués par l’occupant indépendamment de ceux liés à l’éventuelle disparition prématurée de son fonds de commerce devraient, quant à eux, demeurer inchangés (défaut d’amortissement des investissements, etc.).

Autrement dit, si les nouvelles dispositions de la loi Pinel reposent sur un objectif de sécurisation juridique du droit de propriété d’un occupant du domaine public, leur transcription concrète en termes de valorisation du patrimoine ainsi reconnu est inédite et promet de riches échanges entre les acteurs en présence.

 

Auteurs

Jean-Luc Tixier, avocat associé en droit immobilier, baux & construction, droit public

Sophie Weill, avocat en droit des contrats

 

*Le fonds de commerce sur le domaine public : vers une simili propriété commerciale ?* – Article paru au Bulletin rapide droit des affaires n° 12 du 30 juin 2015
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