La fiscalité complexe du financement participatif
L’engouement pour le financement participatif a conduit un grand nombre de particuliers à se découvrir une vocation d’investisseur ou de mécène. En pratique, toutefois, il faut bien garder à l’esprit que le financement participatif est une réalité multiforme assortie d’une fiscalité à nombreuses facettes.
On distingue ainsi différents modèles de financement participatif. Le premier est le don d’argent, assorti éventuellement d’une contrepartie susceptible de revêtir plusieurs formes : une forme symbolique (par exemple mention du nom du donateur sur la pochette d’un disque financé) ou une forme économique (billet gratuit pour une manifestation, etc.). Le deuxième modèle est celui du prêt, rémunéré ou non. Le troisième modèle prend la forme d’un véritable investissement en capital, l’investisseur souscrivant à des titres de sociétés et pouvant dégager à terme un gain sous forme de dividendes et/ou de plus-values.
Dans le modèle du prêt, les choses sont simples. L’intérêt perçu par le prêteur est soumis aux prélèvements sociaux de 15,5% et imposé au barème progressif de l’impôt sur le revenu sous déduction d’un prélèvement à la source de 24%. Pour les « petits investisseurs« , on notera la possibilité d’opter pour un taux forfaitaire de 24% lorsque le montant total des intérêts perçus par le foyer fiscal n’excède pas au titre d’une année 2 000 €.
Si le prêt consenti par l’investisseur ne prévoit pas le paiement d’intérêts, il n’y a bien évidemment pas d’impôt à acquitter… sauf si l’investisseur agit, non pas en tant que particulier, mais en tant qu’entrepreneur. L’administration fiscale estime en effet qu’il n’est pas normal pour une entreprise de faire des prêts sans intérêts. Elle en déduit qu’en cas de prêt non rémunéré, l’entrepreneur doit malgré tout être imposé sur les intérêts qu’il aurait dû percevoir s’il avait agi « normalement« .
Lorsque l’investisseur choisit d’entrer au capital d’une entreprise via une plateforme de financement participatif, il peut avoir droit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 18% du montant des versements au titre de la souscription au capital d’une PME (réduction dont la loi prévoit désormais la réintégration à la plus-value calculée en cas de cession). La loi fiscale prévoit un luxe de conditions encadrant cet avantage. On en retiendra notamment l’exigence d’une conservation des titres souscrits pendant cinq ans ainsi que le plafonnement de l’assiette de l’avantage fiscal à 50 000 € des versements annuels, ce qui revient à une réduction d’impôt maximale de 9 000 € par personne et par an. Alternativement, la souscription peut ouvrir droit à une réduction d’ISF selon le dispositif « ISF-PME » : la moitié des sommes investies peut ainsi être déduite de l’ISF, la déduction ne pouvant pas excéder 45 000 €.
Si l’investisseur ne sollicite pas de réduction d’impôt « à l’entrée » dans le cadre de l’un des dispositifs décrits ci-dessus, il peut choisir de placer ses titres dans un plan d’épargne en actions (PEA) ou dans un PEA « PME » : dans les deux cas, les dividendes et les plus-values de cession ultérieures seront exonérés d’impôt sur le revenu (mais pas des prélèvements sociaux de 15,5%), à la condition que les titres soient détenus pendant cinq ans. En pratique, l’arbitrage entre avantage fiscal à l’entrée (réduction d’impôt sur le revenu et d’ISF) et avantage à la sortie (exonération des dividendes et des plus-values) dépend largement des perspectives de développement de l’entreprise financée. Plus le gain anticipé est élevé, plus on aura tendance à opter pour l’avantage à la sortie…
Reste le cas des dons effectués dans le cadre d’un financement participatif. Ceux-ci peuvent ouvrir droit sous certaines conditions soit à une réduction d’impôt sur le revenu égale à 66% de leur montant soit à une réduction d’ISF de 75% du montant des sommes données, la réduction ne pouvant excéder 50 000 €1. Encore faut-il que l’organisme financé soit un organisme d’intérêt général, ce qui est loin d’être toujours le cas compte tenu de la diversité des projets soutenus par le financement participatif. L’entreprise bénéficiaire supporterait en plus le risque (si elle n’est pas un organisme d’intérêt général) de devoir acquitter, lors de la révélation de ce don à l’administration fiscale, un droit de mutation de 60%… Le financement par le don doit donc être mûrement réfléchi.
Si le don est assorti d’une contrepartie, les choses se compliquent. Traditionnellement, l’Administration admet que la remise « de menus biens tels qu’insignes, timbres décoratifs, étiquettes personnalisées, affiches, épinglettes, cartes de vÅ“ux, etc. » ne remet pas en cause l’éligibilité du don au bénéfice de la réduction d’impôt sur le revenu et d’ISF lorsque les biens remis par l’organisme bénéficiaire à chaque donateur ont une valeur inférieure à 25% du montant du don et sont d’un montant maximal de 60 €. Une « rentabilité » supérieure du don risquerait d’entraîner une disqualification de celui-ci. Les avantages liés aux dons ne seraient alors plus applicables, et l’organisme bénéficiaire devrait alors facturer de la TVA à son généreux – mais mal dénommé – « donateur« .
Comme on peut le constater, c’est surtout en matière de dons que le régime fiscal du crowdfunding mériterait d’être sérieusement adapté aux nouvelles réalités du financement de l’économie productive.
Note
1. Pour plus de détails, voir l’article de Chantal Jordan – « Réduire son ISF en donnant à un organisme d’intérêt général » du 11 mai 2015
Auteur
Daniel Gutmann, avocat associé responsable de la doctrine fiscale, professeur à l’Ecole de droit de la Sorbonne.
*Le financement participatif : ne pas oublier les aspects fiscaux* – Article paru dans Le Revenu le 17 juin 2015