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Le Conseil d’État au secours des salaires minima de branche

Le Conseil d’État au secours des salaires minima de branche

Dans une affaire suivie par notre Cabinet, le Conseil d’Etat se prononce sur les éléments constitutifs des salaires minima hiérarchiques (7 octobre 2021, n°433053 et autres).

 

L’un des rôles essentiels de la branche a toujours été la fixation de salaires minima destinés à éviter tout dumping économique ou social.

 

Pour ce faire, les conventions collectives ont toujours fixé :

 

    • d’une part, des salaires minima de branche, qui varient selon le coefficient hiérarchique ;
    • d’autre part, une assiette de comparaison, c’est-à-dire les éléments de rémunération à prendre en compte – le salaire de base ou le salaire de base et certains compléments de salaire (primes, 13e mois, etc.) – pour vérifier le respect de ces minima ».

 

Comme l’a parfaitement résumé le Conseil d’Etat, « avant l’entrée en vigueur de l’ordonnance du 22 septembre 2017, il revenait à la branche, par voie d’accord collectif s’imposant à tout accord d’entreprise, de fixer un salaire minimum conventionnel pour chaque niveau hiérarchique de la grille de classification des emplois prévue par la convention collective, auquel la rémunération effectivement perçue par les salariés de la branche ne pouvait être inférieure. A cet égard, les conventions de branche pouvaient déterminer, d’une part, le montant de ce salaire minimum conventionnel, et, d’autre part, les éléments de rémunération à prendre en compte pour s’assurer que la rémunération effective des salariés atteigne au moins le niveau du salaire minimum conventionnel correspondant à leur niveau hiérarchique« .

 

Les ordonnances Macron, et notamment l’ordonnance n°2017-1385 du 22 septembre 2017 relative à la négociation collective, ont modifié l’ordonnancement juridique existant jusqu’alors en précisant qu’il appartient à la convention de branche de définir les garanties applicables aux salariés dans les matières suivantes, parmi lesquelles figurent les « salaires minima hiérarchiques« . Dans ces matières, les stipulations de la convention de branche « prévalent sur celles de l’accord d’entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date de leur entrée en vigueur sauf lorsque la convention d’entreprise assure des garanties au moins équivalentes«  (c. trav. art. L.2253-1).

 

En outre, il résulte des dispositions de l’article L.2253-3 du même code, dans sa rédaction issue de l’ordonnance, que « Dans les matières autres que celles mentionnées aux articles L.2253-1 et L.2253-2, les stipulations de la convention d’entreprise conclue antérieurement ou postérieurement à la date d’entrée en vigueur de la convention de branche ou de l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large prévalent sur celles ayant le même objet prévues par la convention de branche ou l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large. En l’absence d’accord d’entreprise, la convention de branche ou l’accord couvrant un champ territorial ou professionnel plus large s’applique« .

 

Ces ordonnances ont changé un point et un point seulement du dispositif antérieur concernant les salaires minima : si elles ont maintenu le rôle régulateur de la branche en matière de salaires (c. trav. art. L.2232-5-1), elles ont remplacé la notion de « salaires minima » par celle de « salaires minima hiérarchiques« .

 

Soucieux de laisser aux entreprises le maximum de liberté pour déterminer la structure de la rémunération de leurs salariés, le ministère du Travail à interprété la notion de salaires minima hiérarchiques comme signifiant « salaire de base » et, par voie de conséquence, en a déduit que lorsqu’ils déterminent une assiette de comparaison incluant des compléments de rémunération, les salaires minima de branche ne sont pas des salaires minima hiérarchiques.

 

Ainsi, dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat, lors de l’extension d’un avenant relatif aux minima conventionnels dans la Convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, le ministère a exclu de l’extension les stipulations de cet avenant qui prévoient que les salaires minima hiérarchiques correspondent à une garantie annuelle de rémunération incluant un salaire de base et certains compléments de salaire « au motif que les salaires minima hiérarchiques entrant dans le champ de l’article L.2253–1 du Code du travail et qui s’imposent aux accords d’entreprise ne peuvent se rapporter qu’à un salaire de base« .

Le conseil d’Etat a alors été saisi d’une requête en annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté, action à laquelle était partie la fédération du commerce et de la distribution (FCD) et toutes les organisations syndicales de salariés représentatives dans la branche.

 

Cette doctrine était de nature à remettre en cause profondément la politique salariale dans les branches :

 

    • d’une part, si les partenaires sociaux de la branche devaient à l’avenir se caler sur la définition du salaire minima hiérarchique retenue par le ministère comme se rapportant à un salaire de base, il en résulterait des augmentations de salaires considérables dans les entreprises concernées. Ainsi, dans la convention en cause, si les entreprises ne pouvaient plus prendre en compte, pour appliquer les salaires minima hiérarchiques, la prime annuelle et la pause rémunérée de 5 %, celles-ci devraient subir une augmentation de salaire de plus de 12 % ; dans d’autres branches professionnelles telles que la métallurgie, l’augmentation de salaire avait été évaluée à 22 % ;
    • d’autre part, pour éviter cette situation les fédérations patronales n’auraient, dans ces conditions, d’autre choix que de renégocier à la baisse les minima conventionnels.

 

Une telle situation était donc susceptible de remettre en cause durablement toute négociation des salaires au niveau de la branche professionnelle.

 

Le Conseil d’Etat a pris toute la mesure de cette affaire : il a utilisé pour la première fois la procédure de l’audience publique d’instruction prévue par le décret n° 2020–1404 du 18 novembre 2020 portant expérimentation au Conseil d’Etat des procédures d’instruction orale et d’audience d’instruction, pour auditionner l’ensemble des organisations syndicales et professionnelles de la branche du commerce et de la distribution.

 

A l’issue de cette audience d’instruction et compte tenu de la position unanime – bien que pour des motifs différents – des organisations tant patronales que syndicales, le Conseil d’Etat a jugé que, faute pour l’article L.2253–1 du Code du travail de définir la notion de salaire minima hiérarchique, laquelle n’est pas davantage éclairée par les travaux préparatoires de l’ordonnance du 22 septembre 2017, « il est loisible à la convention de branche, d’une part, de définir les salaires minima hiérarchiques et, le cas échéant à ce titre de prévoir qu’ils valent soit pour les seuls salaires de base des salariés, soit pour leurs rémunérations effectives résultant de leur salaire de base et de certains complément de salaire, d’autre part, d’en fixer le montant par niveau hiérarchique« .

 

Le Conseil d’Etat a précisé que cette situation « ne fait pas obstacle à ce que le montant de ces minima soit atteint dans une entreprise par des modalités de rémunération différentes de celle qu’elle [la convention de branche] mentionne, un accord d’entreprise pouvant réduire ou supprimer les compléments de salaire qu’elle mentionne au titre de ces minima dès lors toutefois que sont prévus d’autres éléments de rémunération permettant aux salariés de l’entreprise de percevoir une rémunération effective au moins égale au montant des salaires minima hiérarchique fixé par la Convention« .

 

La nouvelle hiérarchie des normes est donc respectée, les entreprises demeurant libres de négocier, voire de supprimer des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils sont prévus par un accord de branche, à la condition de verser au salarié une rémunération au moins égale au salaire minima prévu par la convention collective de branche. Le Conseil d’Etat approuve donc la distinction opérée entre le niveau de rémunération minimal qui relève de la primauté de la branche et la structure de la rémunération qui peut être librement négociée par l’entreprise.

 

Le Conseil d’Etat en déduit que les exclusions et la réserve figurant dans l’arrêté d’extension doivent être annulées dès lors « qu’en procédant à cette exclusion et à cette réserve, au motif que les salaires minima hiérarchiques ne s’appliquent qu’aux salaires de base, l’arrêté attaqué est entaché d’erreur de droit« .

Il annule donc cet arrêté « en tant qu’il exclut » de l’extension certaines stipulations de cet accord. Cette formulation est habile en ce qu’elle laisse subsister l’extension de l’accord.

Dans cette affaire, le Conseil d’Etat a joué tout son rôle, d’abord en écoutant les partenaires sociaux, ensuite en préservant le rôle des branches en matière salariale.

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