Le compte rendu d’un entretien d’évaluation peut constituer une sanction disciplinaire
22 février 2022
Dans un arrêt non publié rendu le 2 février 2022, la Cour de cassation approuve les juges du fond d’avoir décidé que le compte rendu d’entretien comportant des griefs précis sanctionnait un comportement considéré comme fautif et constituait un de sorte que les mêmes faits ne pouvaient justifier le licenciement ultérieur du salarié (Cass. soc., 2 février 2022, n°20-13.833).
Dans cette affaire un salarié occupant les fonctions de responsable plateformes, maintenance et achat, au sein d’un office public de l’habitat, avait saisi la juridiction prud’homale pour contester son licenciement pour faute grave au motif que les faits fautifs avaient déjà été sanctionnés.
Contestant la décision des juges du fond ayant donné gain de cause au salarié en déclarant le licenciement sans cause réelle et sérieuse, l’employeur se pourvoit en cassation.
La haute juridiction approuve les juges du fond d’avoir déduit que le compte rendu d’entretien constituait un avertissement après avoir relevé que ce document reprochait au salarié son attitude dure et fermée aux changements, à l’origine d’une plainte de collaborateurs en souffrance, ainsi que de dysfonctionnements graves liés à la sécurité électrique et au non-respect des normes règlementaires.
Dans ce compte rendu, l’employeur invitait également le salarié, de manière impérative, comminatoire et sans délai, à un changement complet et total de comportement.
Les mesures susceptibles d’être qualifiées de sanction disciplinaire
Aux termes de l’article L.1331-1 du Code du travail, « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l’employeur à la suite d’un agissement du salarié considéré par l’employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l’entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».
Si la notification d’une sanction disciplinaire suppose en principe la mise en œuvre d’une procédure préalable (notamment la convocation à un entretien), celle-ci n’est pas applicable dans le cas de la sanction disciplinaire la plus légère prévue par le règlement intérieur, à savoir l’avertissement (C. trav. art. L.1332-2).
Dans ces conditions, toute remarque écrite adressée par un employeur à un salarié peut aisément, en fonction des termes employés, être qualifiée d’avertissement par le juge.
La jurisprudence de la Cour de cassation en donne de nombreuses illustrations, notamment en ce qui concerne les courriers électroniques adressés au salarié.
Il a ainsi été jugé que le message électronique par lequel l’employeur adresse divers reproches à la salariée et l’invite de façon impérative à un changement radical, avec mise au point ultérieure, sanctionne un comportement fautif et constitue un avertissement (Cass. soc., 26 mai 2010, n°08-42.893).
De même, un courriel adressé par l’employeur à une salariée dans lequel il lui reproche des manquements aux règles et procédures internes relatives à la sécurité des paiements par carte bleue et l’invite de manière impérative à se conformer à ces règles et à ne pas poursuivre ce genre de pratique constitue un avertissement (Cass. soc., 9 avril 2014 n°13-10.939).
Enfin, il a été jugé que la lettre rappelant au salarié sa présence non autorisée et fautive à plusieurs reprises dans un local technique et l’invitant de manière impérative à respecter les règles régissant l’accès à un tel local constitue une sanction disciplinaire (Cass. soc. 10 février 2021, n° 19-18.903).
En revanche, il a été jugé qu’un simple compte rendu écrit d’entretien, au cours duquel l’employeur avait énuméré divers griefs et insuffisances imputables au salarié, sans manifester son intention de le sanctionner et sans mise en garde contre leur répétition, n’était pas constitutif d’une sanction disciplinaire (Cass. soc., 12 novembre 2015 n° 14-17.615).
Il importe peu à cet égard que l’employeur n’ait pas expressément qualifié le document d’avertissement, l’examen de son contenu permet au juge de le qualifier ou non de sanction disciplinaire.
L’application de la règle non bis in idem
C’est le plus souvent à l’occasion d’un licenciement ultérieur, pour les faits en cause, que se pose la question de la qualification du document (lettre, courriel, compte rendu) adressé au salarié.
En effet, la qualification « disciplinaire ou non » d’un document adressé au salarié, faisant état de différents griefs à son encontre n’est pas sans conséquence pour l’employeur. Ce dernier sera soumis au principe, issu du droit pénal, selon lequel « nul ne peut être poursuivi ou sanctionné deux fois pour les mêmes faits », connu sous l’adage non bis in idem, s’il est envisagé le licenciement ultérieur du salarié pour les mêmes faits.
Malgré le silence du Code du travail, cette interdiction de la double sanction constitue un principe général du droit du travail, lequel s’oppose à ce qu’un salarié puisse faire l’objet de sanctions disciplinaires successives pour une même faute telle qu’un avertissement suivi d’un licenciement (Cass. soc., 12 mars 1981, no 79-41.110 ; Cass. soc., 27 septembre 1984, n° 82-41.346).
Dans une telle hypothèse, le licenciement prononcé serait sans cause réelle et sérieuse.
En revanche, l’interdiction de prononcer des sanctions successives pour les mêmes faits ne fait pas obstacle à la possibilité d’invoquer des sanctions disciplinaires antérieures (sous réserve de la prescription triennale applicable aux sanctions disciplinaires) à l’appui d’une nouvelle sanction, en cas de persistance du comportement fautif ou en cas de nouvelle faute (Cass. soc., 3 avr. 2019, n°16-29.102).
La nécessaire vigilance sur les termes employés dans tout document écrit
L’analyse de la jurisprudence de la Cour de cassation montre que la frontière est ténue entre le document susceptible d’être qualifié de sanction disciplinaire et celui qui ne le sera pas.
Les différentes décisions rendues sur le sujet attestent que les employeurs qui formulent par écrit des griefs à l’encontre d’un salarié n’ont pas toujours conscience de prononcer une sanction disciplinaire leur interdisant, par la suite, de sanctionner ce salarié pour les mêmes faits.
L’application de cette jurisprudence au cas particulier de l’entretien d’évaluation peut sembler surprenante compte tenu de l’objet même de cet entretien, lequel, tout en revêtant un caractère non obligatoire (sauf si la convention collective le prévoit), est généralement mis en place dans un grand nombre d’entreprises.
En effet, ces entretiens ont précisément pour objet d’apprécier le travail fourni au cours de l’année écoulée et de fixer des objectifs pour l’année à venir. Il n’est pas rare qu’à cette occasion soient identifiées des marges de progression et parfois des insuffisances.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 2 février 2022, l’employeur ne se contentait pas d’exposer les griefs retenus à l’encontre du salarié, mais invitait ce dernier « de manière impérative et comminatoire à un changement complet et total, sans délai ». C’est très certainement ce dernier point qui a, en définitive, emporté la conviction des juges.
Dans une autre décision rendue le 27 mai 2021 (Cass. soc., 27 mai 2021, n°19-15.507), la Cour de cassation a retenu que le compte rendu d’entretien professionnel établi par le supérieur hiérarchique et listant divers manquements fautifs, ne constituait pas une sanction disciplinaire dès lors que l’auteur du compte rendu avait expressément indiqué qu’il se contentait de demander une sanction, la décision relevant exclusivement de la direction et du responsable des ressources humaines.
En tout état de cause, il est indispensable d’attirer l’attention des managers sur les nécessaires précautions à prendre lorsqu’ils envisagent d’adresser à un salarié un document, quelle qu’en soit la nature, lui reprochant des comportements fautifs. Si ce compte rendu d’entretien d’évaluation peut être utilisé par l’employeur pour se justifier dans le cadre d’un contentieux, celui-ci doit veiller à la rédaction de cet écrit afin que les formulations employées ne manifestent pas une intention de sanctionner.
D’une manière générale, il est sans doute préférable dans une telle situation de ne pas réagir immédiatement par l’envoi d’un courrier électronique mais de prendre le temps d’apprécier la situation et de s’assurer d’opter pour la mesure adéquate au risque, dans le cas contraire, d’épuiser pour un temps son pouvoir disciplinaire.
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