Le Brexit côté TVA
Aussitôt qu’elle prendrait effet, la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne mettrait fin à l’appartenance du Royaume-Uni au système commun de TVA tel qu’il résulte de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006 ainsi qu’à l’ensemble des accords qui y sont liés concernant en particulier les procédures de remboursement pour les entreprises étrangères et l’assistance administrative mutuelle pour le contrôle et le recouvrement de cet impôt.
Le système prévu par la directive européenne ne cesserait pas pour autant de s’appliquer au Royaume-Uni puisque les règles qui en résultent sont transposées dans le droit national. Seuls les règlements d’exécution cesseraient de s’appliquer si, comme le permet l’effet direct de ces actes, leurs dispositions n’ont pas été formellement insérées dans la réglementation nationale britannique. Certes, le Royaume-Uni serait libre de supprimer cet impôt communautaire de sa législation mais son remplacement par un impôt différent frappant la consommation rendrait particulièrement complexes les relations économiques transfrontalières.
S’il décide de conserver la TVA telle qu’elle s’applique dans l’Union européenne, le Royaume-Uni devrait toutefois aménager sa législation pour tenir compte de son nouveau statut de pays tiers au regard du fonctionnement du système européen.
Si l’on écarte, dans l’immédiat, l’hypothèse d’une suppression de la TVA par le Royaume-Uni, les principales conséquences du Brexit qui peuvent être anticipées seraient les suivantes.
1. Les effets du statut de pays tiers à législation constante
Pour la généralité des opérations, le statut de pays tiers vis-à-vis de l’Union européenne aurait pour principal effet de modifier le régime fiscal des livraisons de biens entre le Royaume-Uni et les Etats membres de l’Union européenne deviendraient des opérations d’exportation/importation avec le cortège de conséquences liées à la perte du régime des livraisons intracommunautaires et de celui des ventes à distance. En particulier, la TVA (et d’éventuels droits de douanes) devrait être acquittée au titre des introductions de biens sur le territoire de l’un des Etats membres de l’UE et vice et versa. Des formalités douanières seraient substituées aux obligations déclaratives attachées aux livraisons réalisées entre Etats membres de l’UE.
Pour les prestations de services, le changement serait moins spectaculaire puisque, sous quelques exceptions telles que certaines prestations immatérielles «B to C» (qui ne sont pas imposables dans l’Etat du prestataire communautaire si le consommateur est établi en dehors de l’UE), les règles de territorialité applicables aux services ne sont pas différentes selon que le prestataire et le preneur sont établis dans ou en dehors de l’UE.
L’accès au mini-guichet unique (MOSS) pour les formalités de déclaration et de paiement de la TVA sur les services électronique serait toujours possible pour les entreprises britanniques mais dans les conditions spécifiques prévues pour les prestataires établis en dehors de l’UE. Enfin, les flux de services UK/UE n’auraient plus à figurer sur les états récapitulatifs que les prestataires établis dans l’UE doivent servir lorsque le preneur assujetti est établi dans un autre Etat membre.
A noter : les banques et entreprises d’assurance établies dans l’UE tireraient avantage des services rendus à des preneurs établis au Royaume-Uni qui, comme tous les services de cette nature rendus à des preneurs établis en dehors de l’UE, ouvriraient droit à la déduction de la taxe d’amont alors que leur exonération interdit tout récupération de la taxe grevant les dépenses lorsque le preneur du service est établi dans un Etat de l’UE.
S’agissant des formalités à accomplir en matière de TVA, les entreprises britanniques pourraient être tenues dans certains Etats membres de désigner un représentant fiscal pour s’acquitter de l’ensemble de leurs obligations dans ces Etats sauf si le Royaume-Uni maintient avec ses anciens partenaires un niveau de coopération administrative à celui qui existe entre les Etats membres de l’UE.
De plus, la procédure électronique de remboursement de la TVA étrangère prévue entre les Etats membres de l’UE ne s’appliquerait plus pour le remboursement de la TVA acquittée dans l’un des Etats membres par une entreprise britannique ni pour la taxe britannique supportée par une entreprise européenne. Dans les Etats membres de l’UE, les entreprises britanniques pourraient obtenir le remboursement selon la procédure prévue par la 13ème Directive TVA pour les assujettis non établis dans l’UE mais les Etats membres pourraient subordonner le remboursement à la condition que la législation du Royaume-Uni prévoit une procédure de remboursement équivalente de la taxe supportée dans cet Etat.
2. Les premiers aménagements auxquels le Royaume-Uni pourrait procéder
Même s’il décidait de conserver l’essentiel du régime tel qu’il existe dans l’UE, le Royaume-Uni serait libre d’en aménager certains aspects en fonction de ses intérêts propres.
Il pourrait par exemple fixer librement les taux de la TVA alors que ceux applicables dans l’Union sont contraints (le taux normal ne peut pas être inférieur à 15%, les taux réduits, limités à deux et au moins de 5%, ne peuvent être appliqués qu’à une liste de biens et de services énumérés par la directive).
Mais de nombreuses dérogations s’appliquent déjà au Royaume-Uni qui a pu maintenir par exemple l’application d’un taux de 0% à de nombreux biens et services. Une baisse générale des taux n’aurait, sauf exception, d’incidence que sur la consommation domestique et profiterait en pratique à tous les fournisseurs, nationaux comme étrangers du fait de l’application à de nombreuses transactions du principe d’imposition (y compris le taux) au lieu de consommation.
Les autres règles que le Royaume-Uni pourrait être tenté d’aménager peuvent être identifiées, en première approche, par l’examen des arrêts par lesquels la Cour de justice de l’Union européenne a pu contraindre cet Etat à respecter jusqu’à présent la réglementation européenne :
- champ d’application de l’exonération applicable aux opérations bancaires, financières et d’assurance,
- application de taux réduits (voire 0%) pour des motifs d’ordre social ou environnemental
- règles applicables aux programmes de fidélisation…
Le Royaume-Uni pourrait aussi tenter de tirer un avantage concurrentiel au profit de ses opérateurs en appliquant dans certains un secteur un régime différent de celui imposé aux Etats membres de l’UE comme par exemple le régime de la marge qui s’applique aux agences de voyage
Mais il faut alors rappeler que la directive européenne offre à ses Etats membres la possibilité d’imposer sur leur territoire des services dont le lieu est en principe situé en dehors de l’UE mais qui y sont effectivement utilisés ou exploités («use and enjoyment rule»).
3. Questions d’ordre institutionnel
Dans l’immédiat et jusqu’à sa sortie effective du système de TVA, plusieurs questions inédites se posent :
- dans quelle mesure le Royaume-Uni pourrait anticiper sa sortie pour adopter des changements de législation non conformes au cadre imposé par son appartenance à l’UE ? Le Royaume-Uni parierait sur le manque d’intérêt à agir en particulier de la Commission européenne pour faire constater un manquement dont les effets seraient, en pratique, limités dans le temps.
- comment s’apprécie la compétence de la Cour de justice et le droit à intervenir du Royaume-Uni dans les procédures juridictionnelles en cours à la date d’effet de la sortie du Royaume-Uni ? Il est clair que la légitimité du Royaume-Uni à faire valoir son point de vue sur des questions d’interprétation des dispositions de la directive est ou deviendra contestable à l’approche de sa sortie du système de TVA.
- enfin, quels seront les effets de la sortie programmée du Royaume-Uni sur les négociations et/ou décisions du Conseil de l’Union européenne qui sont soumises, en matière de TVA, à la règle de l’unanimité ? Cette question concerne en particulier le vaste plan d’action lancé le 7 avril 2016 par la Commission européenne dont les premiers volets (concernant en particulier le commerce électronique) doivent en principe être discutés dès l’année 2016 par les Etats membres. Cette question concerne également les demandes de dérogation dont l’application par l’Etat qui en fait la demande est subordonnée à l’accord de l’ensemble des membres de l’UE.
Auteur
Elisabeth Ashworth, avocat associé, responsable des questions de TVA et de taxe sur les salaires au sein de l’équipe de doctrine fiscale.