L’apport-cession : examen de quelques difficultés pratiques
L’article 150-0 B ter du CGI, qui définit les conditions du report d’imposition et de son maintien dans les situations d’apport-cession, suscite de nombreuses questions dont certaines demeurent sans réponse en l’absence de doctrine administrative.
I. Les problématiques saillantes du point de vue de l’apporteur
I.1. La rémunération de l’apport en obligations convertibles
Il ne semble pas douteux, si l’on admet de raisonner par analogie avec la doctrine applicable en matière de sursis d’imposition(1), que le report d’imposition trouve à s’appliquer lorsqu’un apport de titres est rémunéré en partie par des obligations convertibles en actions.
Le traitement de la conversion en actions parait également devoir être neutre, dès l’instant où elle ne caractérise aucune appropriation de la substance économique apportée. Relevons que la doctrine administrative avait déjà admis(2), sous le régime de report de l’article 92 B du CGI, la neutralité de cette opération.
I.2. Les pertes d’opportunité en matière de durée de détention
L’une des questions fréquemment rencontrées a trait au décompte du délai de détention pour la détermination du gain net de cession de titres reçus à l’occasion d’une opération d’apport placée sous le bénéfice de l’article 150-0 B ter du CGI. Rappelons à cet égard que l’article 150-0 D du CGI prévoit désormais, pour les besoins de l’impôt sur le revenu, un abattement sur la plus-value réalisée s’élevant à 50% pour des droits détenus entre deux et huit ans, et 65 % au-delà de huit ans.
A la différence du régime du sursis d’imposition (CGI art. 150-0 B), le dispositif du report d’imposition cristallise la plus-value au jour de l’apport, l’impôt n’étant dû qu’à la date ultérieure de déchéance du différé d’imposition. La cession ultérieure de titres reçus lors d’un apport en report d’imposition est donc susceptible d’extérioriser deux plus-values distinctes :
- une plus-value « d’apport », pour la détermination de laquelle la durée de détention est computée de la date de souscription/acquisition des titres jusqu’à la date de l’apport ;
- une plus-value « de cession », pour les besoins de laquelle la durée de détention court du jour de l’apport à celui de la cession des titres reçus en rémunération de l’apport.
En l’absence de doctrine administrative sur le sujet, l’opportunité de réaliser un apport sous le bénéfice de l’article 150-0 B ter devra donc être mesurée à l’aune de cet inconvénient majeur tenant à ce que l’échange de titres entraine la « remise à zéro », pour le futur, du délai de détention des titres reçus en rémunération de l’apport.
La perte d’opportunité peut s’avérer d’autant plus manifeste que :
- l’apporteur est susceptible de se prévaloir ultérieurement de l’abattement renforcé(3) issu de la loi de finances rectificative pour 2013, applicable notamment aux cessions de titres de PME réalisées par des dirigeants faisant valoir leurs droits à la retraite ;
- pour l’application de ce dernier régime, le cédant doit avoir exercé pendant 5 ans et de manière continue une fonction de direction éligible « au sein de la société dont les titres ou droits sont cédés » (CGI, art. 150- D ter). Le dirigeant cédant ne pourra donc (contrairement à ce que prévoyait la doctrine administrative en cas d’apport en sursis d’imposition) se prévaloir de l’exercice d’une fonction de direction au sein de la société dont les titres ont été apportés, cette fonction devant être nécessairement exercée pendant une durée de 5 ans précédant la cession au sein de la société bénéficiaire de l’apport.
I.3. La combinaison « sursis / report »
Certains contribuables, ayant précédemment réalisé une opération d’apport de titres sous le bénéfice du sursis d’imposition, s’interrogent sur la possibilité de ré-apporter, cette fois-ci sous le bénéfice du report d’imposition, les titres reçus à l’occasion de la première opération. La question se pose en effet de savoir si cette seconde opération est susceptible de préserver le différé d’imposition attaché à l’opération initiale.
Une chose est sûre : le contribuable n’a pas la possibilité de se prévaloir de la doctrine administrative relative aux apports successifs réalisés sous le bénéfice du sursis d’imposition, qui reconnait au ré-apport un caractère intercalaire (cf. BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20 n° 390).
Reste à savoir si l’administration admettra, ce qui nous paraîtrait logique au vu du l’esprit du texte, que l’article 150-0 B ter du CGI ait pour effet mécanique de placer la plus-value dont le sursis d’imposition se trouve déchu du fait du ré-apport, sous le bénéfice du report d’imposition. Au sursis attaché à la plus-value initiale devrait donc se substituer un report d’imposition, attaché à l’ensemble de la plus-value latente.
II. Les difficultés saillantes du point de vue de la holding d’apport-cession
II.1. Les formes du réinvestissement économique
L’article 150-0 B ter du CGI prévoit qu’il est mis fin au report d’imposition en cas de cession – par la société holding – des titres apportés dans un délai de 3 ans suivant l’apport. Dans cette hypothèse, la cession est néanmoins immunisée (et le report d’imposition maintenu) dès l’instant où la société prend l’engagement d’investir, dans un délai de deux ans à compter de la cession, 50 % au moins du produit de ladite cession :
- dans le financement d’une activité éligible (activité opérationnelle, à l’exception de la gestion d’un patrimoine mobilier ou immobilier),
- dans l’acquisition d’une fraction du capital d’une société exerçant une activité opérationnelle, sous la même exception, et qui a pour effet de lui en conférer le contrôle,
- « ou » dans la souscription en numéraire au capital d’une ou plusieurs sociétés (exerçant une activité opérationnelle ou de holding pure).
Les commentaires attendus de l’administration devront préciser, notamment :
- Ce qu’il faut entendre par « le financement d’une activité ».
S’agit-il du financement de l’activité propre de la société pivot (que cette activité soit créée à l’occasion du réinvestissement -acquisition d’un fonds par exemple- ou qu’elle consiste en une activité opérationnelle préexistante de la société bénéficiaire de l’apport) ?
Peut-il s’agir plus largement du financement de l’activité d’une (tierce) société, filiale de la société bénéficiaire de l’apport ? Une réponse par l’affirmative à cette dernière question consacrerait (le « financement d’une activité » étant distingué de la souscription au capital) la voie du réinvestissement en obligations ou en compte courant dans le cadre de l’article 150-0 B ter. - Si, à l’instar des hypothèses de réinvestissement par « souscription », l’acquisition peut s’opérer au capital non pas d’une seule, mais d’une ou plusieurs sociétés, contrôlée(s) ou non.
Rappelons en effet que la différence de traitement entre acquisition et souscription au capital ne trouve aucun début de justification dans les débats parlementaires et que, tout au contraire, les dispositions combinées de la loi (renvoi au b du 2° du II de l’article 150-0 D bis) autorisent expressément « la souscription au capital d’une ou plusieurs sociétés (ayant) pour objet social exclusif de détenir des participations dans des sociétés exerçant les activités précitées (i.e. : les activités opérationnelles éligibles) ». La souscription au capital d’une société interposée permettant, en toute légalité, l’acquisition de plusieurs sociétés sous-jacentes, un assouplissement doctrinal autorisant l’acquisition (directe) « d’une ou plusieurs sociétés » serait le bienvenu. - Que les différents modes de réinvestissement («ou») ne sont pas exclusifs les uns des autres.
II.2. Les restructurations menées par la holding d’apport-cession
L’absorption, par la société holding, dans les 3 ans de l’apport, de la filiale dont elle a reçu les titres s’analyse-t-elle en une « cession » entrainant la déchéance du report ? Il nous semble qu’une fusion (ou une TUP), quel que soit son régime fiscal, devrait être traitée comme une simple opération intercalaire sans incidence sur le report d’imposition.
L’opération de fusion (ou de TUP) maintient en effet la substance des titres apportés au sein de la société bénéficiaire de l’apport, et ne présente aucun avantage fiscal ni pour cette dernière, ni pour l’apporteur.
D’autre part, dans la mesure où la fusion ne dégage (à la différence d’une cession) aucune liquidité pour la société bénéficiaire de l’apport, celle-ci est dans l’impossibilité de procéder, dans le délai imparti de 2 ans, à un réinvestissement du « produit de la cession ».
Le ré-apport, au cours du même délai de 3 ans, par la société holding, des titres par elle reçus, nous semble obéir à la même analyse.
Gageons dès lors le vœu qu’en l’absence de tout avantage fiscal, et de la perception de liquidités autorisant le paiement de l’impôt aussi bien que le réinvestissement, l’administration confirme le caractère intercalaire de la fusion ou du ré-apport, et relève en conséquence l’apporteur de la déchéance du report d’imposition.
Notes
1. BOI-RPPM-PVBMI-30-10-20, n° 70
2. BOI-RPPM-PVBMI-30-10-10, n° 160
3. Abattement en matière d’impôt sur le revenu, pouvant atteindre 85% au-delà
Auteurs
Olivier de Saint Chaffray, avocat associé spécialisé en fiscalité,
Thomas Laumière, avocat spécialisé en fiscalité directe.
Article paru dans le magazine Option Finance le 19 mai 2014