L’actualité jurisprudentielle de la représentation du personnel
26 janvier 2021
La reprise de l’activité judiciaire après la fin du premier confinement s’est traduite au cours du dernier trimestre par la publication de plusieurs décisions intéressant notamment la représentation du personnel en entreprise. Panorama des récents arrêts rendus en ce domaine par la chambre sociale de la Cour de cassation.
La représentation équilibrée entre les femmes et les hommes sur les listes électorales ne s’applique pas aux candidatures libres (Cass. soc., 25 novembre 2020, n° 19-60.222)
Instauré par la loi Rebsamen n° 2015-994 du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi et modifié par l’ordonnance du 22 septembre 2017, le principe de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes dans la composition des listes électorales s’applique aux listes présentées dans le cadre des élections du comité social et économique (CSE). En pratique, cette règle se traduit par deux obligations d’ordre public précisées à l’article L.2314-30 du Code du travail :
- l’obligation de présenter des listes comportant un nombre de femmes et d’hommes correspondant à leur proportion dans chaque collège électoral concerné, le cas échéant, arrondi à l’entier supérieur ou inférieur ;
- l’obligation d’alterner les candidatures des deux sexes sur les listes jusqu’à l’épuisement des candidatures d’un des sexes.
Si la Cour de cassation a, par une série d’arrêts, clarifié l’application de ces règles s’agissant des listes de candidats établies par les organisations syndicales (Cass. soc., 11 décembre 2019, n° 18-23.513, n°19-10.826, n°19-10.855, n°19-12.596, n°18-26.568 ; Cass. soc., 27 mai 2020, n° 19-14.225 ; Cass. soc. 1er juillet 2020, n° 19-17.615 ; Cass. soc., 30 septembre 2020, n° 19-15.505), elle ne s’était pas encore prononcée jusqu’au 25 novembre 2020 sur les modalités d’application de cette règle, s’agissant des candidatures libres.
Dans l’affaire commentée, une entreprise avait organisé le second tour des élections professionnelles après l’établissement d’un procès-verbal de carence au premier tour, faute de quorum. Une liste de candidats libres, constituée de trois hommes, avait été déposée alors que le collège concerné comportait 86,61 % d’hommes et 13,86 % de femmes. Considérant que les dispositions relatives à la parité des listes électorales n’ont pas été respectées au motif que, lorsque plus de deux postes sont à pourvoir, la liste doit comporter au moins un candidat du sexe sous-représenté dans le collège considéré, un syndicat a saisi le Tribunal d’instance d’une demande d’annulation de l’élection des deux élus du sexe masculin selon elle surnuméraires.
Le Tribunal d’instance, puis la Cour de cassation, confirment la régularité de la liste. Cette dernière décide en effet que « les dispositions de l’article L.2314-30 […], s’appliquent aux organisations syndicales qui doivent, au premier tour pour lequel elles bénéficient du monopole de présentation des listes de candidats et, par suite, au second tour, constituer des listes qui respectent la représentation équilibrée des femmes et des hommes« . Cependant ces règles « ne s’appliquent pas aux candidatures libres présentées au second tour des élections professionnelles« . Cet arrêt, destiné à large publication, apporte ainsi une précision importante en décidant que les règles de représentation équilibrée sur les listes de candidats ne s’appliquent qu’aux organisations syndicales qui doivent les respecter au premier tour et au second tour, mais qu’elles ne s’appliquent pas aux listes de candidats libres.
Ce faisant, la Cour de cassation a préféré recourir à une interprétation « éclairée par la lumière des travaux parlementaires » plutôt qu’à une interprétation littérale du texte. En effet, la lettre de l’article L.2314-29, auquel renvoie l’article L.2314-30, ne fait aucune distinction selon que les listes sont présentées ou non par des organisations syndicales, ni selon qu’il s’agit du premier ou du second tour des élections. Cela aurait pu mener, comme le préconisait l’avocat général, à une application uniforme de ces règles. La Cour semble ici faire le choix du pragmatisme. L’application des règles de représentation équilibrée entre les femmes et les hommes aurait en effet pu mener à l’impossibilité pour les candidats libres de présenter une liste avec un candidat unique, fragilisant encore un paysage syndical en mal d’engagement.
Recours au vote électronique pour les élections professionnelles (Cass. soc., 13 janvier 2021, n° 19-23.533)
Aux termes des articles L.2314-26 et R.2314-5 du Code du travail, l’élection des membres de la délégation du personnel au CSE peut être réalisée par un vote électronique organisé sur le lieu de travail ou à distance. Le recours au vote électronique est prévu par accord d’entreprise ou de groupe, ou, à défaut, par une décision unilatérale de l’employeur.
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt commenté, l’employeur a engagé le processus de mise en place du CSE et a décidé, par décision unilatérale, le recours au vote électronique. Saisi par la CGT d’une contestation de cette décision au motif qu’aucune négociation préalable n’avait été engagée, le Tribunal judiciaire, statuant en la forme des référés, a jugé que celle-ci était valide. La CGT a alors formé un pourvoi en cassation contre le jugement rendu.
Sur la recevabilité du pourvoi
Défenderesse au pourvoi, l’entreprise a demandé à la Cour de déclarer celui-ci irrecevable au motif qu’il ne s’agissait pas d’une contestation relevant du contentieux électoral – jugé en premier et dernier ressort par le Tribunal judiciaire – mais du contentieux des accords collectifs. A ce titre, cette décision aurait donc dû faire l’objet d’une procédure d’appel.
La Cour de cassation ne suit pas l’entreprise dans son argumentation. Elle relève en effet que, même si la contestation en cause ne fait pas partie de la liste des contestations énumérées par l’article L.2314-32, jugées en premier et dernier ressort pas le Tribunal judiciaire, le recours au vote électronique constitue une modalité d’organisation des élections et relève en conséquence du contentieux de la régularité des opérations électorales. Le pourvoi était donc recevable.
Sur l’obligation préalable de négocier
Après avoir rappelé les dispositions du Code du travail selon lesquelles le vote électronique est mis en place par accord d’entreprise ou, à défaut, par décision unilatérale de l’employeur, la Cour de cassation approuve néanmoins le Tribunal judiciaire d’avoir déclaré valide la décision unilatérale alors même qu’aucune négociation préalable n’avait été engagée.
En effet, elle retient tout d’abord que la mise en place du vote électronique par une décision unilatérale n’est possible que si, à l’issue d’une tentative loyale de négociation, aucun accord n’a pu être conclu. Ce faisant, la Cour de cassation précise le sens qu’il convient de donner à la formulation « à défaut » laquelle fait obligation à l’employeur d’engager des négociations préalables. Cette même interprétation doit être retenue lorsque le texte prévoit que la décision unilatérale est possible « en l’absence » d’accord, comme cela a été jugé à propos de la détermination du périmètre des établissements distincts, permettant à l’employeur d’en déterminer seul le périmètre en l’absence d’accord (Cass. soc., 17 avril 2019, n° 18-22.948).
Toutefois, l’obligation d’engager des négociations préalablement à la prise d’une décision unilatérale ne s’applique, selon la Cour de cassation, que lorsque l’entreprise est dotée de délégués syndicaux. En l’absence de délégués syndicaux, l’employeur ne saurait être tenu d’engager une négociation selon des modalités dérogatoires prévues par les articles L.2232-24 et suivants du Code du travail, avec les membres de la délégation du personnel au CSE, mandatés ou non, ou un salarié mandaté par une organisation syndicale représentative dans la branche.
Cette jurisprudence confirme qu’il ne peut y avoir d’obligation de négocier que lorsque l’entreprise est dotée de délégués syndicaux. En effet, dans la note explicative jointe à cet arrêt, la Cour de cassation indique que « les dispositions sur la négociation dérogatoire sont des dispositions subsidiaires, en cas d’absence de délégué syndical, afin de permettre à l’employeur, notamment dans le cadre de la négociation obligatoire, de parvenir malgré tout à élaborer un accord. Or, dans le cas du vote électronique, la loi prévoit justement un autre type de disposition subsidiaire, en autorisant la décision unilatérale de l’employeur« . En outre, l’objectif du législateur « de favoriser la possibilité du recours au vote électronique ne serait pas rempli si, pour mettre en place un tel vote, l’employeur devait, dans le temps contraint de la préparation des élections professionnelles, franchir toutes les étapes que suppose le recours à la négociation dérogatoire« .
Rien n’interdit cependant à l’employeur d’engager, s’il le souhaite, des négociations avec les élus sous réserve que la loi n’exige pas la conclusion d’un accord avec des organisations syndicales représentatives et que la mesure envisagée puisse faire l’objet d’une telle négociation (dans les entreprises d’au moins 50 salariés, les élus non mandatés ne peuvent en effet négocier que des mesures dont la mise en œuvre est subordonnée à un accord collectif).
Annulation des élections : le même salarié peut être désigné à nouveau comme RSS (Cass. Soc., 4 novembre 2020, n°19-13.151)
Conformément à l’article L.2142-1-1 du Code du travail, un syndicat non représentatif, qui constitue une section syndicale au sein d’une entreprise ou d’un établissement d’au moins 50 salariés, peut désigner un représentant de section syndicale (RSS) pour le représenter. Le salarié perd automatiquement son mandat de RSS à l’issue des premières élections professionnelles qui suivent sa désignation, si le syndicat qui l’a désigné n’y est pas reconnu représentatif (c’est-à-dire, n’a pas obtenu 10 % des suffrages). Il ne peut alors être à nouveau désigné comme RSS que dans les six mois qui précèdent les élections professionnelles suivantes.
La Cour de cassation admet néanmoins des exceptions à l’interdiction de désigner, immédiatement après l’organisation des élections professionnelles, en qualité de RSS le salarié qui exerçait la même fonction au moment des élections :
- lorsque les nouvelles élections sont organisées dans un périmètre distinct (Cass. soc., 25 septembre 2013, n° 12-26.612, Cass. soc., 6 janvier 2016, n° 15-60.138) ;
- lorsque la constitution d’une unité économique et sociale intervenue, peu de temps après des élections professionnelles qui se sont déroulées au niveau de l’entreprise, implique de nouvelles élections (Cass. soc., 9 septembre 2020, n° 19-13.926) ;
- lorsque les premières élections ont été annulées. C’est ce que précise la chambre sociale de la Cour de cassation dans un arrêt du 4 novembre 2020 (n° 19-13.151).
Dans cette dernière affaire, un syndicat ayant obtenu moins de 10 % des voix aux élections du CSE a désigné un salarié comme RSS. Or, ces élections ont, par la suite, été annulées par le Tribunal d’instance qui a ordonné l’organisation de nouvelles élections. À nouveau non-représentatif à l’issue de ces élections, ce même syndicat, a désigné le même salarié comme RSS. Alors que l’employeur en demandait l’annulation, la Cour de cassation valide la nouvelle désignation du même salarié comme RSS en retenant que les dispositions de l’article L.2142-1 n’empêchent pas de désigner à nouveau un salarié comme RSS après la tenue d’élections organisées en exécution d’un jugement ayant annulé un premier scrutin.
Heures de délégation : le salarié doit démontrer que la prise d’heures de délégation le dimanche ou un jour férié est justifiée par les nécessités du mandat (Cass. soc., 14 octobre 2020, n° 18-24.049)
Il résulte de l’article L.2315-10 du Code du travail que les heures de délégation sont considérées de plein droit comme du temps de travail et payées à échéance normale sans que le représentant du personnel ait à rendre compte de l’emploi de son temps. Les représentants du personnel peuvent utiliser les heures de délégation tant durant leurs heures habituelles de travail qu’en dehors (Cass. Soc., 28 février 1989, n° 85-45.488). Dans ce dernier cas, les heures de délégation leur seront payées en heures supplémentaires, sous réserve que leur utilisation au-delà de la durée légale soit justifiée par les nécessités du mandat (Cass. soc., 20 mai 1992, n° 89-43.103 ; Cass. soc., 9 octobre 2012, n° 11-23.167).
En cas de doute, l’employeur peut contester l’utilisation faite des heures de délégation devant le juge judiciaire mais uniquement après les avoir payées (Cass. soc., 19 mai 2016, n° 14-26.967), faute de quoi il commet un délit d’entrave ouvrant droit à des dommages-intérêts et permettant au salarié de prendre acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l’employeur.
Dans l’affaire commentée, un employeur sollicitait le remboursement de la totalité des sommes versées au titre des heures de délégation effectuées les dimanches et jours fériés. Débouté de sa demande au motif qu’il ne conteste pas que le salarié a effectivement consacré ces heures à l’exercice de son mandat, que le salarié pouvait exercer son mandat sur son temps de travail sans perturber le fonctionnement de l’entreprise et qu’aucune distinction entre les heures justifiées et contestables n’était opérée, l’employeur se pourvoit en cassation.
La chambre sociale annule la décision des juges du fond au motif que c’est au salarié qu’il appartient de justifier que la prise d’heures de délégation les dimanches et jours fériés, en dehors de son horaire de travail, était justifiée par les nécessités de ses mandats.
Présidence du CE : elle peut être assurée par un salarié mis à disposition (Cass. Soc., 25 novembre 2020, n° 19-18.681)
A l’instar du comité d’entreprise (CE), le CSE est présidé par l’employeur. Celui-ci peut déléguer cette prérogative légale à un représentant. Dans un arrêt du 25 novembre 2020 (n° 19-18.681), à propos de la présidence du CE, la chambre sociale de la Cour de cassation précise, pour la première fois, les conditions de cette délégation.
Dans cette espèce, le président de l’association avait confié, par délégation, la présidence du CE successivement à deux salariés mis à disposition par une entreprise tierce, pour exercer respectivement les fonctions de chargé de mission du président pour la direction opérationnelle et stratégique et chargé de la gestion des ressources humaines. Arguant que la présidence ne peut être déléguée qu’à un représentant faisant partie des effectifs de l’entreprise, le comité avait contesté cette délégation.
Après avoir constaté que les salariés mis à disposition étaient investis de toute l’autorité nécessaire pour l’exercice de leur mission et qu’ils disposaient de la compétence et des moyens leur permettant d’apporter des réponses utiles et nécessaires à l’instance et d’engager l’association, la Cour d’appel a rejeté la demande du CE.
Saisi d’un pourvoi en cassation par le CE, la Cour de cassation approuve le raisonnement des juges d’appel qui, pour valider ces délégations, ont retenu que « l’employeur peut déléguer cette attribution qui lui incombe légalement, à la condition que la personne assurant la présidence par délégation de l’employeur ait la qualité et le pouvoir nécessaires à l’information et à la consultation de l’institution représentative du personnel, de nature à permettre l’exercice effectif des prérogatives de celle-ci, peu important que le délégataire soit mis à disposition de l’employeur par une autre entreprise« .
Conforme à la jurisprudence de la chambre criminelle, cette décision rappelle également celle qui a été prise par la cour d’appel de Versailles au sujet de la présidence de la commission santé, sécurité et condition de travail d’une filiale confiée à un salarié de la société mère (CA Versailles, 12 mars 2020, n° 19/02628). Cette jurisprudence semble donc transposable au CSE.
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