L’abattement pour durée de détention s’applique aux plus-values après imputation des moins-values
Le Conseil d’État vient de fixer une règle de calcul qui réserve de bonnes et de mauvaises surprises par rapport à celle que l’administration appliquait jusque-là .
Suite à la réforme de l’imposition pour les plus-values réalisées depuis le 1er janvier 2013, l’application des nouvelles règles par l’administration a révélé deux anomalies qui peuvent, désormais, être regardées comme corrigées :
- selon l’administration, l’abattement pour durée de détention s’appliquait aux moins-values,
- la règle selon laquelle les moins-values devaient s’appliquer sur un montant de plus-value après abattement, sans qu’aucune imputation particulière n’ait été prévue pour les prélèvements sociaux, la contribution sur les hauts revenus, et pour le calcul des droits à restitution au titre du plafonnement ISF, conduisait à ce que pour ces dispositifs (non concernées par l’abattement), la plus-value n’était pas intégralement effacée, même pour les actionnaires détenant d’importantes moins-values imputables.
Le Conseil d’Etat s’est prononcé après qu’un contribuable l’ait saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre l’indication donnée au BOFiP selon laquelle l’abattement s’applique aux moins-values (Décision du Conseil d’Etat du 12 novembre 2015 n°390265).
I – La nouvelle règle définie par le Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat a supprimé les deux incohérences visées ci-dessus en redéfinissant la règle d’application de l’abattement par rapport aux moins-values. Selon son interprétation du texte de l’article 150-0 D du CGI, l’abattement s’applique en effet aux gains nets non pas avant, mais après imputation des moins-values.
Le changement se présente ainsi :
L'ancienne règle (définie par l'administration) | La nouvelle règle (définie par le Conseil d'Etat) |
---|---|
Application d'un abattement aux plus-values de l'année | Constatation des plus-values de l'année et d'un taux d'abattement (qui ne s'appliquera qu'au solde de plus-value défini ci-dessous) |
Application d'un abattement aux moins-values de l'année | Imputation sur les plus-values des moins-values de l'année (sans abattement) et/ou des moins-values en report |
Calcul du solde et imputation éventuelle des moins-values en report | Application du taux d'abattement correspondant à chaque plus-value, mais sur le montant du solde après compensation avec les moins-values |
La nouvelle règle n’est pas favorable à tous les contribuables dès lors que l’imputation fait perdre, à due proportion, l’avantage de l’abattement (point II ci-après).
Mais le Conseil d’Etat la tempère cet effet en précisant que l’imputation par le contribuable des moins-values de même nature subies au cours de la même année ou en report prévu par le 11 de l’article 150-0 D du CGI s’opère « pour le montant et sur les plus-values de son choix » (point III ci-après).
II – L’illustration des conséquences de la nouvelle règle
Le principal avantage de la nouvelle règle est qu’à partir de maintenant, les actionnaires n’ont plus à envisager de céder rapidement des titres en moins-values pour éviter d’atteindre la durée de détention déclenchant (selon l’administration) l’application d’un abattement qui réduirait les possibilités d’imputation.
Mais le nouvel ordre d’imputation réserve des surprises, bonnes ou mauvaises, pour les contribuables qui ont des moins-values à imputer. Quelques exemples permettent de l’illustrer.
Cas favorable : une moins-value abattue (selon l’administration) alors que la plus-value ne l’est pas.
Dans ce cas, la nouvelle règle – qui ne prévoit pas d’appliquer l’abattement aux moins-values – réduit l’assiette imposable à l’impôt sur le revenu (lorsque la moins-value est importante, elle conduit à constater davantage de moins-value en report).
Pour un contribuable qui réalise une plus-value de 100 sans abattement et une moins-value de 400 avec abattement de 50% :
- la compensation qui résultait de la règle définie par l’administration conduisait à constater une assiette pour l’IR de – 100 (100 – 400 x 50 %), soit 100 de moins-values reportable,
- la nouvelle règle conduit à constater une assiette de – 300 (100 – 400), soit 300 de moins-value reportable.
Dans cet exemple, l’assiette pour les prélèvements sociaux est égale à 0, quelle que soit la règle.
Cas défavorable : une plus-value abattue supérieure ou égale à une moins-value sans abattement
Dans ce cas, la nouvelle règle conduit à acquitter davantage d’IR car l’imputation d’une moins-value efface à due concurrence l’abattement prévu pour s’appliquer à une plus-value.
Pour un contribuable qui réalise une plus-value de 200 avec abattement de 50% et une moins-value de 100 sans abattement :
- l’ancienne règle conduisait à constater une assiette pour l’IR de seulement 0 (200 x 50% – 100) : l’abattement jouait à plein.
- la nouvelle règle conduit à constater une assiette de 50 ((200 – 100) x 50%) : l’abattement s’applique au solde après imputation des moins-values.
Dans cet exemple, l’assiette pour les prélèvements sociaux est égale à 100, quelle que soit la règle.
Cas mitigé : une plus-value abattue inférieure à une moins-value sans abattement (cas de l’imputation limitée)
La nouvelle règle corrige l’anomalie qui conduisait à payer des prélèvements sociaux, et à préserver des moins-values (MV) reportables. L’effet est donc mitigé.
En effet, pour une plus-value de 100 avec abattement de 50 % et une moins-value de 100 sans abattement, la situation se présente ainsi :
L’ancienne règle (définie par l’administration) :
Assiette pour l’IR = – 50 (100 x 50% – 100)
MV reportable de 50 (l’abattement a joué et 50 de MV ont suffit à annuler l’assiette de l’IR)
Assiette = 50 pour les prélèvements sociaux
La nouvelle règle (définie par le Conseil d’État) :
Assiette pour l’IR = 0 (soit 100 – 100
Pas de MV reportable (l’abattement n’a pas joué et il a fallu consommer 100 de MV)
Assiette = 0 pour les prélèvements sociaux
Pour ceux qui disposent d’importantes moins-values en report susceptibles de se périmer (la règle actuellement en vigueur prévoit une possibilité de report de 10 ans), le changement est avantageux. Si toute la moins-value disponible est utilisée, cela permet d’effacer la plus-value hors abattement, qui sert à calculer les prélèvements sociaux et la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Effacer la moins-value permet également de recalculer dans un sens favorable les droits à restitution au titre du plafonnement ISF (on efface davantage de revenu que d’imposition – prélèvements sociaux et CEHR – ce qui produit un effet intéressant pour ce dispositif qui s’applique lorsque l’impôt est supérieur à 75% des revenus).
III – La question du choix d’imputation des moins-values
L’imputation des moins-values est ainsi prévue par le 11 de l’article 150-0 D du CGI : «Les moins-values subies au cours d’une année sont imputables exclusivement sur les plus-values de même nature réalisées au cours de la même année ou des dix années suivantes». Et l’administration interprète généralement cette disposition comme conduisant à imputer d’abord les moins-values de l’année sur les plus-values de l’année ; et si un solde de plus-value subsiste après cette imputation, l’imputation des moins-values en report commence par l’utilisation des plus anciennes (BOI-RPPM-PVBMI-20-10-40-20150320 n°80).
Or, le Conseil d’État vient de préciser que les contribuables disposent d’un choix d’imputation de leurs moins-values sur leurs plus-values, et que ce choix s’opère « pour le montant et sur les plus-values de son choix« .
Cela permet aux contribuables d’imputer leurs moins-values en priorité sur les plus-values non abattues, puis dans l’ordre de celles ouvrant droit aux taux d’abattement moindres. Ce choix peut s’illustrer par l’exemple d’un actionnaire qui, au titre d’une année, réalise 200 de moins-values et 300 de plus-values ouvrant droit à différents taux d’abattement. L’intérêt de l’actionnaire s’illustre par l’imputation des 200 en respectant l’ordre de haut en bas tel qu’il se présente à la 3ème colonne du tableau :
Taux d’abattement applicable | Montant de la PV réalisée (avant abattement) | Montant de la MV imputée (sans abattement) | Solde (et application de l'abattement) |
---|---|---|---|
0 % | 100 | (100) | 0 |
50 % | 50 | (50) | 0 |
65 % | 50 | (50) | 0 |
85 % (*) | 100 | (0) | 100 (15 après abattement) |
(*) Ce taux d’abattement ne s’applique qu’aux cessions visées par un dispositif de faveur (en outre, pour les dirigeants de PME partant à la retraite, un abattement fixe de 500.000 euros s’applique).
Dans cet exemple, l’impôt sur le revenu est calculé sur une assiette de seulement 15 alors que le gain hors abattement, qui sert d’assiette pour les prélèvements sociaux, est de 100.
Il est souhaitable que, dans le contexte du système d’abattement pour durée de détention et de la règle fixée par le Conseil d’État, l’administration (ou le législateur) clarifie le choix qui est ouvert au contribuable en reconnaissant expressément qu’il a le choix de ne pas imputer immédiatement une moins-value de l’année sur une plus-value de l’année.
En effet, dès lors que l’imputation d’une moins-value efface à due concurrence l’abattement prévu pour s’appliquer à une plus-value, il peut parfois s’avérer préférable de mettre une moins-value en report.
Si les actionnaires n’étaient pas certains de disposer de ce choix lors de leur déclaration fiscale, ils seraient contraints d’adopter des comportements inhabituels dictés par des considérations fiscales. En effet, ils hésiteraient à céder des titres en moins-value au cours d’une année, s’ils anticipent de ne réaliser que des plus-values ouvrant droit à abattement au cours de ladite année.
IV – Conclusion
Par une décision récente (CE, 4 février 2015, n° 364197, M. Likierman), le Conseil d’État avait déjà jugé qu’un régime incitatif visant les plus-values n’a pas pour nécessaire corollaire la limitation de l’imputation des moins-values réalisées dans les mêmes conditions.
Cette nouvelle décision s’inscrit dans cette lignée, mais elle n’est pas entièrement favorable dès lors qu’elle ne permet pas aux contribuables de bénéficier à la fois du plein effet de l’imputation des moins-values et du plein effet de l’abattement. Voilà pourquoi le Gouvernement se satisfait de la règle définie par le Conseil d’Etat et va s’y conformer (message délivré par Christian Eckert, devant les députés, le 1er décembre 2015).
Les possibilités de correction méritent d’être étudiées avec soin par le contribuable qui s’y intéresse.
Il devra examiner (ou faire examiner) avec soin les éventuels droits à restitution au titre de l’impôt sur le revenu, des prélèvements sociaux, de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus, ou du plafonnement ISF à raison des plus-values déclarées en 2013 et de 2014 (et envisager de corriger le montant des moins-values en report).
Auteur
Florent Ruault, avocat, spécialiste des impôts directs au sein du département de doctrine fiscale.