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La portée fiscale des clauses de rétroactivité dans les opérations de fusion-absorption

La portée fiscale des clauses de rétroactivité dans les opérations de fusion-absorption

Jusqu’à quelle date une fusion peut-elle rétroagir lorsque la société absorbée n’a pas clos d’exercice en N-1 ? C’est à cette question que le Conseil d’Etat, saisi d’un recours pour excès de pouvoir, répond dans une décision rendue le 13 septembre dernier.

Les juges du Palais Royal en profitent pour réitérer une jurisprudence ancienne et constante selon laquelle la date d’ouverture de l’exercice de la société absorbante et, ce qui est nouveau, de la société absorbée, constitue une date butoir de la rétroactivité des fusions.

Recours pour excès de pouvoir contre la doctrine administrative

Saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre le refus du Ministre de l’économie et des finances d’abroger les paragraphes 80, 90 et 110 du BOFIP référencé BOI-IS-FUS-40-10-20, le Conseil d’Etat apporte des précisions intéressantes sur l’étendue dans le temps d’une clause de rétroactivité prévue dans un traité de fusion (CE, 13 septembre 2021, n° 451564, SAS Adis).

Commençons par exposer les circonstances de l’affaire. Au cours de l’année 2018, une société civile soumise à l’impôt sur les sociétés, la société Rocca, a cédé le terrain lui appartenant à une société tierce puis s’est trouvée absorbée par sa société mère, la SAS Adis, par l’effet d’une opération de fusion dont le traité, rédigé en avril, stipulait une prise d’effet au 1er janvier 2018.

Du fait, selon la requête, d’un « doute (…) sur la suffisance des actes accomplis pour l’achèvement de l’opération de fusion et son opposabilité aux tiers, la société Rocca, absorbée, a décidé de reporter la date de clôture de l’exercice au-delà du 31 décembre 2018 », ce qui a conduit la société à ne procéder aux formalités de publicité que l’année suivante, en 2019, par le dépôt du traité de fusion au greffe du tribunal de commerce et la publication d’une annonce au Bodacc si bien que l’assemblée générale extraordinaire approuvant la fusion ne s’est tenue qu’en octobre 2019.

Le requérant, souhaitant faire masse des résultats des sociétés parties à l’opération de fusion depuis la date d’ouverture de l’exercice 2018 jusqu’à la date d’approbation de la fusion, a tenté de contester les paragraphes 80, 90 et 110 du BOFIP précité qui énoncent les limites, au plan fiscal, de l’étendue de la rétroactivité des fusions.

On rappelle qu’au plan civil, le code de commerce prévoit à l’article L.236-4 que la fusion prend effet, en cas de création d’une personne morale nouvelle (ou de plusieurs sociétés nouvelles), à la date d’immatriculation, au registre du commerce et des sociétés de la nouvelle société (ou de la dernière d’entre elles). Dans les autres cas, notamment dans l’hypothèse d’une fusion par absorption, c’est la date de la dernière assemblée ayant approuvé l’opération qui constitue la date d’effet juridique, sauf si le contrat prévoit que l’opération prend effet à une autre date, laquelle ne doit être ni postérieure à la date de clôture de l’exercice en cours de la société bénéficiaire, ni antérieure à la date de clôture du dernier exercice clos de la société qui transmet son patrimoine. Autrement dit, si l’exercice des sociétés participant à l’opération de fusion-absorption approuvée en N coïncide avec l’année civile, l’effet juridique peut être différé au 1er janvier N+1 ou porté rétroactivement au 1er janvier N, année de réalisation de la fusion.

Le code général des impôts ne comporte pas de dispositions spécifiques s’agissant de l’effet rétroactif des opérations de restructuration mais l’administration fiscale, conformément à la jurisprudence du Conseil d’Etat (CE, Section, 12 juillet 1974, SA X, n° 81753; CE, 18 mars 1992, S.A. Leybold-Heraeus-Sogev, n° 62402; CE, 16 juin 1993, S.A. « Laboratoires Wellcome », n° 70446), reconnaît de longue date dans ses commentaires publiés la possibilité de conférer un effet rétroactif aux fusions et opérations assimilées. Toutefois, la date d’effet ne peut pas être antérieure à la date d’ouverture de l’exercice de la société absorbante au cours duquel l’opération de fusion a été approuvée.

La société absorbante peut ainsi déduire de son bénéfice imposable les pertes subies par la société absorbée pendant la période de rétroactivité dont la date butoir est constituée par l’ouverture de l’exercice de la société absorbante. En revanche, les opérations effectuées par la société absorbée avant cette date doivent être imposées au nom de la société absorbée.

Ces règles, issues de la théorie du bilan et du principe d’intangibilité du bilan d’ouverture dont l’effet est d’interdire aux entreprises de modifier les écritures de bilan d’un exercice clôturé, sont énoncées au paragraphe 110 du BOI-IS-FUS-40-10-20.

Aux paragraphes 80 et 90 du même BOI, également objets des critiques de la société requérante, l’administration envisage la situation d’une société absorbée qui n’a pas clôturé d’exercice au cours de l’année civile précédant celle de la fusion. L’effet rétroactif conféré à l’opération ne dispense pas, selon les commentaires administratifs, la société absorbée de déposer sa déclaration de résultat de l’année N-1, conformément au deuxième alinéa de l’article 37 du code général des impôts.

Cet article prévoit en effet que si aucun bilan n’est dressé au cours d’une année quelconque, l’impôt dû au titre de la même année est établi sur les bénéfices de la période écoulée depuis la fin de la période précédente. Pour éviter une double prise en compte de ces résultats dans le bilan établi ultérieurement, le texte précise que ces mêmes bénéfices viennent ensuite en déduction des résultats du bilan dans lesquels ils sont compris.

Le cas d’une société nouvellement constituée fait l’objet d’une exception à cette règle puisque le deuxième alinéa de l’article 209 I du code général des impôts lui permet, par dérogation aux dispositions de l’article 37 précité, de calculer l’impôt sur les sociétés sur les résultats de la période écoulée depuis le commencement des opérations jusqu’à la date de clôture du premier exercice qui se situe, au plus tard, au 31 décembre de l’année suivant celle de la création.

Le Conseil d’Etat approuve les principes contenus dans la doctrine administrative

Ces principes étant rappelés, venons-en à la solution adoptée par le Conseil d’Etat qui, suivant son rapporteur public et dans la lignée de ses jurisprudences antérieures, rejette le recours.

Là où la requérante aurait souhaité que la rétroactivité fiscale permette d’atteindre l’exercice de l’absorbée précédant l’exercice d’approbation de la fusion, c’est-à-dire le bénéfice de l’exercice 2018, le Conseil d’Etat rappelle tout d’abord que « dans le cas d’une fusion de deux sociétés, qui ont convenu de donner effet à la fusion à une date antérieure à celle à laquelle la convention de fusion a été définitivement conclue, rien ne s’oppose à ce que soient prises en compte toutes les conséquences de la fusion, pour la détermination des bénéfices imposables de la société absorbante, dans le bilan de clôture de l’exercice au cours duquel la convention a été définitivement conclue ».

La rétroactivité ne va pas plus loin et le Conseil d’Etat ajoute : « Toutefois les effets de la fusion, qui ne saurait exercer une influence sur le bilan de clôture du ou des exercices précédents de chacune des deux sociétés concernées, et donc sur les bénéfices imposables dégagés par celles-ci au cours de ces exercices, ne sauraient remonter à une date antérieure à la plus récente des dates d’ouverture des exercices des deux sociétés au cours desquels la convention a définitivement été conclue ».

La date d’ouverture de l’exercice de l’absorbante au cours duquel la fusion a été approuvée, de même que la date d’ouverture de l’exercice de l’absorbée, si cette date est postérieure, constitue donc à la fois une date butoir à l’effet rétroactif conféré par les parties à l’opération de fusion et le point de départ de la prise en compte de ses effets.

En outre, dans l’hypothèse où la société absorbée n’a pas clôturé d’exercice au cours de l’année civile précédant celle de l’approbation de son absorption par une autre société, le Conseil d’Etat juge que « l’effet rétroactif donné conventionnellement à cette opération ne saurait dispenser [la société absorbée] de déposer au titre de ladite année civile une déclaration de résultats conformément au deuxième alinéa de l’article 37 du CGI ».

Une fusion ne peut donc pas rétroagir avant le 1er janvier de l’année de l’approbation de la fusion, même lorsque la société absorbée n’a pas clôturé d’exercice, ce qui constitue une nouvelle expression des principes d’annualité de l’impôt et de spécialité des exercices.

Si l’ensemble de ces règles ne sont pas toujours simples à énoncer, leur traduction au cas particulier apparait par contraste simple et, pensons-nous, logique.

Article paru dans Option Finance le 14/10/2021

Auteurs

Eva Aubry, avocat counsel en droit fiscal

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