La clause de dédit formation : un outil à manier avec précaution
7 janvier 2014
La Cour de Cassation opère un contrôle de plus en plus restrictif des conditions d’application de la clause de dédit formation. Les employeurs devront donc apporter une attention toute particulière à sa rédaction.
Un outil au service de l’employeur
Lorsqu’il finance une formation pour l’un de ses salariés (le plus souvent à l’embauche), l’employeur procède à un investissement qu’il espère amortir avec le temps en bénéficiant des compétences nouvellement acquises par son bénéficiaire. Tel n’est pas le cas lorsque ce dernier quitte l’entreprise de façon prématurée, la formation ayant alors été financée « à pure perte » ou au bénéfice d’un concurrent.
Afin de se protéger au mieux contre ce risque, l’employeur dispose d’un outil : la clause de dédit formation. Cette clause permet à l’employeur de prévoir, en contrepartie des frais de formation ainsi avancés, le paiement par le salarié bénéficiaire d’une indemnité de dédit en cas de départ prématuré.
Les conditions d’application d’une telle clause doivent en principe faire l’objet d’une négociation collective de branche triennale (article R.2241-9 du Code du travail). Il est donc indispensable pour un employeur de se référer à l’accord de branche applicable avant d’envisager la mise en œuvre d’une clause de dédit formation.
Un formalisme rigoureux
La clause de dédit formation doit obligatoirement être prévue soit dans le contrat de travail soit dans une convention indépendante qui doit impérativement avoir été signée par l’employeur et le salarié avant le début de la formation concernée.
Une telle clause est par ailleurs interdite dans les contrats de professionnalisation (article L.6325-15 du Code du travail).
En outre et afin que le salarié soit en mesure de connaître précisément la portée de son engagement, la clause devra nécessairement indiquer la date de la formation, sa nature, sa durée, son coût réel pour l’entreprise ainsi que le montant et les modalités du remboursement mis à la charge du salarié (arrêt de la Chambre sociale de la Cour de Cassation du 9 février 2010, n° 08-44477).
A défaut de l’une de ces mentions, la clause serait nulle et inopposable. Il convient donc de porter une attention toute particulière au contenu de cette clause qui fera l’objet, en cas de litige, d’un contrôle très strict des juridictions.
La clause ne doit pas être un frein à la liberté de démissionner du salarié
La clause de dédit formation ne doit pas être un frein à la liberté de démissionner du salarié. C’est la raison pour laquelle les juridictions et notamment la Cour de Cassation apprécient ses modalités d’application de façon très stricte et de plus en plus restrictive.
Il en est ainsi tout particulièrement du montant de l’indemnité de dédit mis à la charge du salarié démissionnaire. Pour que la clause soit licite, il faut que les frais de formation sur la base desquels elle est calculée correspondent à des frais réels, au-delà des dépenses imposées par la loi ou la convention collective. Il faut aussi que l’indemnité de dédit soit proportionnée aux frais de formation engagés par l’employeur.
La Cour de Cassation a ainsi eu à connaître récemment du cas d’un salarié qui a démissionné six mois après avoir suivi une coûteuse formation. Le salarié contestait le montant de l’indemnité de dédit prévue par la clause qui incluait notamment le remboursement des rémunérations perçues pendant le temps de la formation.
Sur le fondement de l’article L 6321-2 du Code du travail, la Cour de Cassation a précisé que « toute action de formation suivie par un salarié pour assurer son adaptation au poste de travail constitue un temps de travail effectif et donne lieu pendant sa réalisation au maintien par l’entreprise de la rémunération ». Dès lors la Cour a jugé que « la clause de dédit formation, qui prévoit qu’en cas de départ prématuré, le salarié devra rembourser les rémunérations qu’il a perçues durant sa formation, est nulle » (arrêt de la Chambre sociale du 23 octobre 2013, n° 11-16032).
Une telle sanction invite à d’autant plus d’attention lors de la rédaction de la clause et de la détermination du montant de l’indemnité de dédit.
La durée d’application de la clause est également contrôlée. Si cette durée est en principe fixée librement par les parties, il ne doit pas s’agir, encore une fois, d’un frein pour le salarié à sa liberté de démissionner, ce qui serait le cas si la durée d’application de la clause était trop longue.
Il doit donc s’agir d’une durée raisonnable qui est diversement appréciée par les juridictions mais qui peut aller de deux ans jusqu’à cinq ans selon les cas.
Les juridictions s’intéressent aussi aux modalités de paiement de l’indemnité de dédit. Lorsqu’une compensation est effectuée par l’employeur avec les rémunérations du salarié lors de son départ, la compensation ne pourra s’appliquer qu’avec la fraction saisissable du salaire.
La rupture doit être imputable au salarié
La clause de dédit formation ne peut trouver à s’appliquer que dans le cas où la rupture du contrat de travail est imputable au salarié.
Cela signifie qu’une telle clause ne pourra en aucun cas trouver à s’appliquer en cas de licenciement y compris lorsque celui-ci repose sur une faute grave. C’est ce qu’a récemment jugé la Chambre sociale de la Cour de Cassation dans un arrêt du 10 mai 2012 (n° 11-10571).
Dans le cas d’une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail par un salarié invoquant de graves manquements de son employeur et si les juridictions considèrent que les manquements sont suffisamment graves et que la prise d’acte doit produire les effets d’un licenciement sans cause réelle et sérieuse, la clause ne pourra trouver à s’appliquer (arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 11 janvier 2012 n° 10-15481). Dans le cas contraire et si la prise d’acte produit les effets d’une démission, la clause trouvera bien à s’appliquer (arrêt de la Chambre sociale de la Cour de cassation du 17 octobre 2012, n° 10-26316).
A propos de l’auteur
Laurent Kaspereit, avocat spécialisé en matière de contentieux social devant toute juridiction : conseil de prud’hommes, tribunal des affaires de sécurité sociale, tribunal d’instance, tribunal de grande instance y compris les juridictions pénales (tribunal de police et tribunal correctionnel), tribunal administratif, cour d’appel ou cour administrative d’appel,…
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