La cession des titres à l’épreuve des droits de préemption. Contentieux récents
Les cessions de droits sociaux sont normalement libres sous réserve du jeu des mécanismes de préemption. Les associés d’une société peuvent s’être mutuellement consentis un droit de préemption au cas de cession des titres : chacun ne pourra céder ses titres qu’après avoir proposé aux titulaires du droit de préemption de les acquérir. La question est très classique et donne lieu à des contentieux multiples dont on évoquera ici les plus récents pour illustrer la diversité des situations conflictuelles.
I – Les contentieux relatifs à la portée des dispositions contenues dans le pacte
Le pacte de préemption doit être soigneusement rédigé si l’on veut éviter des difficultés d’interprétation qui serviront souvent de prétexte au débiteur de la préemption pour échapper à ses engagements. Dans les deux premiers exemples qui suivent, les pactes étaient bien rédigés, ce qui a évité que la volonté des parties soit discutée. Le troisième, plus problématique, met en exergue une défaillance de rédaction, démontrant l’intérêt pour les parties de définir le plus clairement possible le champ du pacte.
Un exemple un peu complexe d’une clause de préemption sur des titres est donné dans un arrêt de la cour d’appel de Paris du 23 novembre 20161. Les salariés de la société devaient détenir 25% du capital de la société : tant que cette détention n’était pas acquise au jour de la notification, ils étaient prioritaires sur toute cession. Certes la clause était introduite par les termes « à l’issue de toute cession » mais la référence « au jour de la notification » précisait la portée de la clause. En effet, l’acheteur écarté prétendait que les termes « à l’issue de toute cession » impliquaient d’intégrer dans le calcul du seuil les actions préemptées, ce qui faisait bondir le seuil au-delà de 25%. Oui peut-être, mais le seuil devait être apprécié au jour de la notification, ce qui coupait court à la discussion.
Une autre décision nous met en présence d’un pacte soumettant à préemption les opérations sur titres émis par la société. Or, un tiers devait souscrire à une augmentation du capital avec suppression du droit de souscription. Une telle opération constituait-elle une opération soumise au droit de préemption ? La question pouvait se poser. La cour d’appel de Paris répond que non car la clause énumère avec minutie toutes les opérations concernées et l’augmentation réservée en cause n’y figurait pas2.
Une autre décision met au contraire en exergue une rédaction non dénuée d’ambiguïtés, et nous montre combien est précieuse la clarté quant à la spécification du champ d’application d’un pacte de préemption. En l’occurrence, le pacte prévoyait que le droit de préemption ne devait pas s’appliquer en cas de cession à un « affilié ». Le problème résidait précisément dans la définition de la notion d’affilié, défini comme toute « entité » dont plus de 75% des droits de vote étaient détenus par une personne ou entité détenant également plus de 75% des droits de vote du cédant, avec toutefois une précision si le cédant était un fonds d’investissement : dans ce cas, l’affilié désignait « également » tout autre fonds d’investissement géré par la même société de gestion que le fonds actionnaire. En l’espèce, un fonds d’investissement avait cédé ses actions à une société de capital-risque dont la direction était assurée par sa société de gestion, et dont le capital était détenu par plusieurs fonds gérés par cette dernière société. La question se posait donc de savoir si cette cession échappait au droit de préemption pour avoir été consentie à un affilié.
Une interprétation stricte des termes du pacte aurait conduit à refuser la qualification d’affilié : aucune des deux conditions alternatives posées n’était en effet ici remplie. Ni celle tenant à la détention de droits de vote, le fonds cédant ne disposant pas de droits de vote au sein de la société de capital-risque. Ni celle prévue par la réserve concernant les fonds d’investissement, qui visait les seuls fonds gérés par la même société de gestion que le fonds cédant, à l’exclusion donc de la société de capital-risque, qui ne peut pas être assimilée à un fonds d’investissement. Dans ces conditions, la cession aurait dû être soumise à préemption, ce qui aurait pu paraître curieux au regard de l’économie de l’opération, laquelle n’avait finalement eu aucune conséquence quant à l’équilibre capitalistique de la société. Un droit de préemption au bénéfice du coactionnaire aurait au contraire conduit à remettre en cause de manière durable cet équilibre.
Pour cette raison, la cour d’appel de Paris3, en ce suivie par la Cour de cassation4, a estimé nécessaire d’interpréter le pacte litigieux en recherchant la commune intention des parties, et a préféré considérer que le pacte avait en réalité prévu deux critères d’affiliation, non exclusifs l’un de l’autre, et pouvant se combiner. Par suite, la société de capital-risque constituant une entité gérée par la même société de gestion que le fonds actionnaire, elle devait bien constituer un affilié au sens du pacte.
II – La méconnaissance de la préemption par le débiteur de l’obligation et sa sanction
La clause de préemption institue une contrainte claire. La tentation sera de rechercher les moyens d’y échapper, le cas échéant en usant d’un procédé qui ne semble pas la heurter frontalement à priori. Ainsi, et la pratique est illustrée dans une affaire récente, le cédant qui veut éviter que la clause s’applique lorsqu’elle vise les cessions de contrôle, soit un minimum de 50%, peut imaginer de céder une participation minoritaire qui en fait donnera le contrôle à l’acquéreur dès lors que les statuts sont modifiés pour que ce contrôle puisse s’exercer sans détention de la majorité5. La SAS se prête parfaitement à ce type d’exercice : on peut décider dans les statuts que le pouvoir de révocation des dirigeants sera confié à un associé qui ne détient qu’une minorité de titres. Formellement la clause est respectée mais son esprit non et la Cour de cassation sanctionne la fraude à la loi.
La sanction diffère alors selon la forme de la société concernée. Le cas de la SAS ne fait pas l’objet de débats, l’article L.227-15 du code de commerce sanctionnant expressément par la nullité toute cession passée en violation des statuts. S’agissant des autres sociétés, la Cour de cassation a toutefois pu considérer, au visa des anciens articles 1134 et 1142 du code civil, que la violation d’une clause de préemption n’emporte pas par elle-même nullité de la cession de parts conclue entre associés6, sauf à établir une collusion frauduleuse entre le cédant et l’acquéreur des parts, ie que le tiers connaissait l’existence du pacte et l’intention du bénéficiaire de s’en prévaloir (c. civ., art. 1123 al. 2).
Encore peut-il arriver que toute annulation soit impossible. Ainsi le bénéficiaire d’un droit de préemption exerce son droit dans les conditions convenues et la cession se forme donc avant que les associés ne cèdent leurs titres à un tiers. A priori, tout est parfait. Mais en réalité, les titres avaient disparu car la société dont les titres avaient fait l’objet de la préemption avait été absorbée. A la fin, pas d’exécution forcée possible : l’affaire se termine donc par le versement de simples dommages-intérêts7 alors que la vente était formée.
III – La remise en cause de l’exercice de la préemption par l’acquéreur évincé8
La quasi-totalité des contentieux oppose le débiteur de la préemption au créancier de celle-ci: le débiteur n’a pas respecté son obligation et a cédé à un tiers. Infiniment plus rare est l’hypothèse inverse : le droit de préemption est exercé sans que la validité de ce droit ne pose de problème entre titulaire de la préemption et cédant mais un tiers qui aurait souhaité acquérir les titres relève que la procédure d’exercice de la préemption n’avait pas selon lui été correctement respectée. Pouvait-il agir en nullité de la décision de préemption ?
La Cour de cassation, confirmant la décision de la Cour d’appel de Paris9, répond par la négative : le tiers acquéreur, évincé à la suite de l’exercice d’un droit de préemption statutaire, ne peut pas demander l’annulation de la préemption et la cession des droits sociaux à son profit, les conventions n’ayant d’effet qu’entre les parties contractantes. Il peut toutefois agir en responsabilité contre celui qui a irrégulièrement préempté, un tiers pouvant toujours invoquer sur le fondement de la responsabilité délictuelle un manquement à une obligation contractuelle dès lors que ce manquement lui cause préjudice.
En l’occurrence, la société ayant préempté n’avait pas été condamnée à verser des dommages-intérêts, le simple fait d’avoir précisé que le transfert de propriété serait différé de six mois ne constituant pas un manquement aux conditions procédurales fixées par les statuts, qui ne comportaient aucune obligation ni restriction quant aux modalités de paiement du prix ou à la date du transfert de propriété.
Notes
1 N°14/21110
2 CA Paris, 24 novembre 2015, n°14/15626, ch. 5-8
3 CA Paris, 30 juin 2015, n°14/12687, ch. 5-8
4 Cass. com., 21 juin 2017, n°15-24.534
5 Cass. com., 15 mars 2017, n°15-20.440
6 Cass. com., 11 mars 2014, n°13-10.366
7 Cass. Com., 20 septembre 2016, n°15-10.963
8 Cass. com., 2 février 2016, n°14-20.747
9 CA Paris, 6 mai 2014, n°14/03884, ch. 5-8
Auteur
Christophe Blondeau, avocat associé Corporate/Fusions & acquistions