La caution solidaire, l’arbitre et la tierce opposition
La chambre commerciale de la Cour de cassation a rendu, le 5 mai dernier, un arrêt dont elle signale elle-même l’importance : il sera non seulement publié au Bulletin, mais analysé dans le Rapport annuel de la Cour de cassation et diffusé son site internet.
La décision intervient à la suite d’un très long contentieux survenu après mise en œuvre d’une garantie de passif dont la bonne exécution était assurée par un engagement de caution solidaire sans limitation de montant. Particularité de la situation : la convention de garantie de passif était assortie d’une clause compromissoire, que ne comportait pas le contrat de cautionnement. Après condamnation du débiteur par le tribunal arbitral, le créancier assigna la caution en paiement. C’est pour tenter d’échapper à cette obligation que la caution a ouvert plusieurs fronts judiciaires.
Dans un premier temps, elle a tenté de saisir le Conseil constitutionnel, via une QPC, critiquant l’interprétation jurisprudentielle constante faite, selon elle, de l’article 1208 du Code civil, laquelle interdirait à une caution solidaire de critiquer devant les juridictions étatiques la sentence arbitrale et serait donc contraire au droit à un recours juridictionnel effectif. Mais, cette première stratégie échoue : la demande est jugée irrecevable au motif que l’interprétation constante invoquée n’existe pas !
D’où, le second front donnant lieu à l’arrêt commenté et qui va voir la caution obtenir gain de cause… sur le terrain des droits fondamentaux.
Toute la difficulté naît de la situation ambiguë dans laquelle se trouve une caution solidaire. Selon une théorie très contestée, les coobligés (donc le débiteur et la caution solidaire) sont censés se représenter mutuellement. Par exemple, la caution solidaire n’ayant pas matériellement participé à une transaction entre le créancier et le débiteur principal est néanmoins considérée comme y ayant été partie : elle peut l’invoquer, à son profit, pour neutraliser une demande en paiement du créancier. Réciproquement, ce qui a été jugé dans une instance judiciaire contre le débiteur principal relativement à l’existence de la dette cautionnée est opposable à la caution. La caution ne peut former tierce opposition à une telle décision qu’en soulevant des exceptions qui lui sont personnelles ou en établissant la collusion frauduleuse entre le créancier et le débiteur principal.
Doit-il en aller ainsi dans l’hypothèse d’un arbitrage ? Dans l’affaire commentée, la cour d’appel avait jugé la tierce opposition irrecevable, en observant qu’aucune fraude n’était alléguée et que la caution n’invoquait aucun autre moyen qui lui serait personnel. Elle ajoutait que, si la caution estimait que le débiteur principal avait insuffisamment défendu ses droits face au créancier, elle pouvait toujours rechercher sa responsabilité.
La censure intervient au visa, notamment, de l’article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme : le droit effectif au juge implique que la caution solidaire soit recevable à former tierce opposition à l’encontre de la sentence arbitrale déterminant le montant de la dette du débiteur principal à l’égard du créancier.
On peut se demander si la solution est transposable à l’hypothèse d’une décision judiciaire, alors qu’il est classiquement jugé que l’autorité de la chose jugée à l’égard de l’un des codébiteurs est susceptible de profiter mais aussi de nuire aux autres codébiteurs. Le fondement retenu pourrait le laisser penser. En toute hypothèse, il est certain qu’un enseignement s’impose s’agissant de la stipulation d’une clause compromissoire entre créancier et débiteur principal, lorsque la dette est garantie par un cautionnement : afin d’éviter le risque d’un recours en tierce opposition, il est impératif de prévoir, dans le contrat de cautionnement, l’intervention de la caution dans l’instance arbitrale susceptible d’exister entre le créancier et le débiteur principal.
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.