Intégration fiscale : le point sur l’intérêt du régime
Pas de répit pour le législateur en matière fiscale : les réformes se succèdent notamment sous l’influence du droit de l’Union européenne et les entreprises doivent régulièrement s’interroger sur la pertinence des options qu’elles ont prises au plan fiscal. De ce point de vue, le régime de l’intégration fiscale mérite une attention particulière.
L’intégration fiscale est le régime d’imposition de nombreux groupes de sociétés. Pourtant, s’il présente un intérêt certain, il est également associé à des contraintes et effets pénalisants. Il faut donc, pour chaque cas, mettre en perspective le montant des avantages retirés avec le coût engendré. Le curseur s’est déplacé au fil du temps et les dernières évolutions ont tendu à atténuer les avantages de l’intégration fiscale.
L’intégration fiscale peut être verticale, ou depuis la loi de finances rectificative pour 2014, horizontale (articles 223 A et suivants du Code général des impôts). Lorsqu’elle est verticale, elle permet à une société mère, détenant directement ou indirectement (via des sociétés du groupe) 95% au moins du capital de ses filiales, de se constituer seule redevable de l’impôt sur les sociétés (IS) d’ensemble du groupe. Lorsqu’elle est horizontale, une société peut se constituer seule redevable de l’IS dû par le groupe qu’elle forme avec (en plus de ses filiales) ses sociétés sœurs établies en France, lorsque leur capital à toutes est détenu directement ou indirectement par une entité mère non résidente. Ce régime est optionnel : l’option est exercée pour une durée de 5 ans renouvelable tacitement, mais le périmètre du groupe, comme son existence, sont susceptibles d’être modifiés chaque année.
Le régime de l’intégration n’a pas fait l’objet de réforme profonde ces dernières années, mais le législateur a néanmoins été contraint par la jurisprudence de Cour de Justice de l’Union Européenne («CJUE») de l’adapter pour tenir compte des exigences de liberté d’établissement au sein de l’Union. Par ailleurs, ce régime est impacté par les différentes réformes de la fiscalité des entreprises.
Dans ce contexte, il ne paraît pas inutile de préciser les principaux avantages et inconvénients de l’intégration fiscale.
1. Assiette taxable du groupe et imputation des déficits
Le résultat d’ensemble du groupe intégré est constitué de la somme algébrique des résultats des sociétés du groupe après élimination des conséquences fiscales des opérations internes. La possibilité de compenser les profits et pertes respectives d’entités distinctes est la raison d’être de ce régime et son avantage principal.
A cet égard, le mécanisme de plafonnement des déficits fiscaux qui limite l’imputation du déficit à hauteur d’un million d’euros plus 50% de la fraction du bénéfice imposable excédant cette somme, suscite deux remarques :
- dans les groupes, la limitation (et en particulier le seuil d’un million) s’applique une seule fois, au déficit d’ensemble, ce qui, a priori, constitue un inconvénient ;
- néanmoins, pour la détermination du résultat d’ensemble, les déficits individuels des sociétés membres sont imputables sans aucun plafond sur les bénéfices constatés par les autres sociétés du groupe au cours du même exercice, ce qui constitue un avantage majeur dans les groupes où les résultats sont très contrastés et lorsque les profits et pertes des différentes sociétés membres représentent des montants respectifs importants.
Par ailleurs, on sait que la loi restreint les possibilités de transferts de déficits lors d’opération de restructurations et définit largement les cas de changements d’activité entraînant la perte des reports déficitaires. Dans l’intégration, les déficits étant reportés au niveau du groupe, ils ne sont pas affectés par les changements d’activités ou restructurations opérés au niveau des sociétés membres.
Enfin, n’oublions pas la neutralité qui s’applique notamment aux abandons de créances et subventions internes, et celle dont bénéficient les cessions d’immobilisations ou de titres au sein du groupe. Cette neutralité peut constituer un avantage appréciable compte tenu de la fiscalité applicable à ces opérations.
2. Taux effectif d’imposition à l’IS
Au regard du taux effectif d’imposition (IS + contributions additionnelles calculées sur l’IS), l’intégration fiscale est susceptible de présenter un véritable inconvénient. En effet :
- la contribution sociale sur les bénéfices s’applique au taux de 3,3% sur l’IS calculé après un abattement de 763 000 € ; or, dans l’intégration, cet abattement est décompté une seule fois, au niveau de l’IS d’ensemble, au lieu de s’appliquer à l’impôt dégagé par chaque société ;
- la surtaxe de 10,7% s’applique aux sociétés réalisant un chiffre d’affaires excédant 250 millions d’euros ; or, ce seuil est apprécié dans les groupes intégrés en retenant la somme des chiffres d’affaires réalisés par les sociétés membres, et en ce compris le chiffre d’affaires réalisé intragroupe. Le Conseil constitutionnel a en effet confirmé par une décision du 6 mars 2015 (n° 2014-456 QPC) la constitutionnalité de l’absence de neutralisation de ce chiffre d’affaires interne. Rappelons, néanmoins, que cette contribution exceptionnelle n’est due que temporairement au titre des exercices clos entre le 31 décembre 2011 et le 30 décembre 2016.
Cela étant, en termes de paiements effectifs d’IS, le surcoût éventuel lié aux contributions additionnelles peut être compensé, en tout ou partie, par l’optimisation de l’utilisation des crédits d’impôts que permet l’intégration fiscale : l’IS du groupe peut en effet être acquitté au moyen de crédits d’impôts de filiales dont la situation est insuffisamment profitable pour en permettre l’utilisation à un niveau individuel.
3. Remontée des dividendes au sein du groupe
Parmi les atouts de l’intégration, figure aussi le sort favorable réservé aux distributions intragroupe. Jusque récemment (et pour l’exercice encore en cours s’agissant des groupes ayant ouvert leur exercice avant le 1er janvier 2016), leur imposition était totalement et définitivement neutralisée à compter du deuxième exercice d’intégration, alors que hors intégration, une quote-part de frais et charges («QPFC») de 5% est imposée.
L’arrêt Steria rendu par la CJUE le 2 septembre 2015 a déclaré contraire au droit de l’UE l’imposition de cette quote-part pour les dividendes reçus de filiales établies dans l’UE et détenues dans des conditions comparables à des filiales françaises intégrées. Plutôt que l’extension de la neutralisation de la QPFC à ces situations, il a été préféré l’introduction dans la loi de finances rectificative pour 2015 d’un nouveau frottement par l’imposition d’une QPFC réduite à 1% dans l’intégration également applicable aux produits perçus par une société membre d’un groupe fiscal à raison d’une participation dans une société établie dans un autre Etat de l’UE ou de l’EEE et qui pourrait être intégrée si elle était établie en France.
Désormais, la remontée de dividendes au sein d’un groupe intégré a cessé d’être fiscalement neutre. Seule consolation, le taux réduit de QPFC s’applique dès le premier exercice d’intégration.
Il est donc aujourd’hui préférable de structurer des groupes «en râteau» plutôt qu’en chaîne de détention continue, compte tenu de l’application de la QPFC à 1% à chaque niveau de la remontée, ce qui génère autant de frottements qu’il existe d’étages de détention distincts.
Par ailleurs, les distributions entre sociétés intégrées restent exclues du champ d’application de la contribution de 3% sur les dividendes.
4. Charges financières
Si la déduction des charges financières du groupe peut être altérée en situation d’application du dispositif dit de «l’amendement Charasse» (réintégration d’une quote-part des charges financières du groupe si une filiale est intégrée après avoir été acquise auprès d’actionnaire(s) qui contrôle(nt) le groupe), l’intégration fiscale permet en revanche, dans certaines conditions, de déduire des intérêts réintégrés au niveau individuel en application des règles de sous-capitalisation, lorsque le prêteur est membre de l’intégration.
Au regard du dispositif dit du «coup de rabot» (réintégration de 25% des charges financières nettes constatées au cours de l’exercice), l’intégration peut être favorable ou défavorable selon les cas : le seuil de 3 millions d’euros de charges financières nettes qui conditionne la réintégration s’apprécie à partir de la balance des charges et produits financiers de l’ensemble des sociétés intégrées, et peut donc être dépassé même si chaque société du groupe a un niveau de charges financières nettes inférieur à 3 millions d’euros. Cela étant, la possibilité de tenir compte, dans ce calcul, des produits financiers des filiales (y compris lorsqu’elles n’ont pas de charges financières) peut s’avérer favorable autant pour l’appréciation du seuil que, le cas échéant, pour le calcul de la réintégration.
5. Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE)
Rappelons enfin que l’intégration peut avoir des impacts au-delà du domaine de l’IS. Ainsi, la détermination du taux de la CVAE de chaque société intégrée se fait en retenant le chiffre d’affaires réalisé par l’ensemble des sociétés du groupe, ce qui est susceptible d’augmenter le coût de la CVAE de chaque filiale – inconvénient flagrant de l’intégration, à relativiser en fonction des montants en jeu.
En conclusion, si l’intégration génère un surcroît de formalisme et reste susceptible de présenter quelques surcoûts selon les situations, elle présente toujours des avantages certains. Il est néanmoins possible que, compte tenu de l’influence croissante du droit de l’UE, ce régime subisse à nouveau des évolutions dont il faudra examiner attentivement les implications.
Auteurs
Christophe Vezinhet, avocat spécialisé en fiscalité directe
Pauline Mosset, avocat en fiscalité directe