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Inscriptions antisémites sur l’œuvre d’un sculpteur : droit moral de l’auteur versus la dignité de la personne humaine

Inscriptions antisémites sur l’œuvre d’un sculpteur : droit moral de l’auteur versus la dignité de la personne humaine

Dans la nuit du 5 au 6 septembre 2015, l’œuvre du sculpteur Anish Kapoor intitulée « Dirty Corner », exposée dans le parc du château de Versailles, avait été recouverte d’inscriptions antisémites. Fidèle à la volonté de l’artiste, la présidente de l’établissement public du château, du musée et du domaine national de Versailles avait fait savoir à son personnel par une note du 7 septembre 2015 que les inscriptions ne seraient pas effacées « pour en souligner la gravité« .

Par requête du 18 septembre 2015, une association a saisi le juge administratif d’un référé-liberté visant à obtenir l’annulation de cette décision ainsi que le retrait des inscriptions antisémites de la vue du public sous astreinte de 150 000 € par jour de retard.

Par ordonnance du 19 septembre 2015 (TA Versailles, 19 septembre 2015, n°15061153), le tribunal administratif de Versailles a considéré que les inscriptions portaient atteinte à la composante de l’ordre public que constitue la dignité de la personne humaine. Dès lors, l’atteinte à une liberté fondamentale et l’urgence, conditions du référé-liberté, étaient constituées.

Le juge a relevé que le sculpteur avait exprimé le vœu que les inscriptions soient laissées sur l’œuvre, celles-ci « en [faisant] désormais partie intégrante« .

Malgré la décision ultérieure de M. Kapoor d’occulter finalement les inscriptions par une intervention sous son contrôle, décision entérinée par l’établissement public du château de Versailles, le juge, estimant que les modalités techniques permettant la suppression des inscriptions n’étaient pas suffisamment étayées, a enjoint à la présidente de l’établissement de prendre toute mesure propre à faire cesser l’exposition au public des inscriptions, et ce, jusqu’à ce que l’occultation définitive soit obtenue.

Pour parvenir à cette décision faisant fi du droit moral de l’auteur au respect de son œuvre (intégrant désormais aux yeux de ce dernier les inscriptions litigieuses), il a été procédé à une mise en balance des libertés fondamentales en présence. En effet, d’une part, le juge versaillais a estimé « que la liberté de création et d’expression artistique contribue à l’échange des idées et d’opinions indispensables à une société démocratique » et « que cette liberté implique le respect du droit moral de tout artiste sur son œuvre et les formes qu’il entend lui donner« . Cependant, le juge ajoute, d’autre part, que « dès lors qu’il expose son œuvre dans l’espace public, la liberté d’expression de l’artiste doit se concilier avec le respect des autres libertés fondamentales s’appliquant dans cet espace, en particulier celle protégeant chaque individu contre les atteintes à la dignité humaine. »

Une telle mise en balance de la liberté d’expression et du respect de la dignité humaine avait précédemment conduit à l’interdiction par le Conseil d’Etat des spectacles de l’humoriste Dieudonné, au motif qu’ils comportaient des risques sérieux d’atteintes graves à la dignité de la personne humaine (CE, 9 janvier 2014, n°374508).

 

Auteurs

Anne-Laure Villedieu, avocat associée en droit de la propriété industrielle, droit de l’informatique, des communications électroniques et protection des données personnelles.

Thomas Livenais, avocat en droit de la propriété intellectuelle

 

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