Informatique : celui qui engage une action en contrefaçon du logiciel qu’il a créé doit prouver son originalité
La société Imagiin, dont l’objet social était de développer en France le concept de « publicité respectueuse« 1, avait confié en 2006 à la société Business & Décision le soin de développer le logiciel qui devait permettre la réalisation de ses objectifs. Le logiciel avait été livré en décembre 2007 et mis en usage en janvier 2008.
Ultérieurement, à la suite d’un désaccord entre les associés fondateurs de la société Imagiin, l’un des deux associés avait quitté le capital social. Il avait été autorisé à créer sa propre société, et à utiliser pour ses propres besoins le logiciel préalablement mis au point, puis s’était porté acquéreur du code source de celui-ci. Il avait alors concédé à la société Markelys Interactive une licence exclusive d’exploitation du logiciel.
Par la suite, ayant estimé qu’une copie servile dudit logiciel était exploitée sur un site Internet tiers, géré par la société Beezik, le propriétaire du logiciel et son licencié avaient introduit une action en contrefaçon. Celle-ci avait été rejetée en première instance.
La cour d’appel de Paris, saisie du litige, juge qu’elle ne saurait davantage accueillir l’argumentaire des appelants, dans la mesure où ceux-ci ne démontraient pas le caractère original du logiciel qu’ils exploitent.
A cet égard, la Cour de cassation a, de longue date, confirmé la condition de fond de la démonstration de l’originalité d’un logiciel pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Elle a ainsi jugé que : « les juges du fond ont souverainement estimé que leur auteur avait fait preuve d’un effort personnalisé allant au-delà de la simple mise en œuvre d’une logique automatique et contraignante et que la matérialisation de cet effort résidait dans une structure individualisée ; qu’en l’état de ces énonciations et constatations […], la Cour d’appel, qui a ainsi retenu que les logiciels conçus par Monsieur X… portaient la marque de son apport intellectuel, a légalement justifié sa décision » (Cass Plén, 7 mars 1986, n°83-10477).
En l’espèce, la cour d’appel estime que la preuve du caractère original n’est pas rapporté au vu notamment :
- D’une démonstration de l’originalité du concept de publicité respectueuse, alors même que l’originalité du logiciel se distingue de l’originalité de l’idée qu’il développe ;
- D’une attestation d’originalité datant de 2006, mais rédigée en anglais, et donc inexploitable par la cour ;
- D’une copie du contrat conclu avec la société Business & Développement, en charge du développement du logiciel, et selon lequel celle-ci s’engageait à produire une œuvre originale, élément qui selon la cour ne peut suffire à rendre incontestable cette originalité.
Ainsi, faute pour le propriétaire du code source et pour son licencié d’apporter la preuve de l’originalité du logiciel, leur action en contrefaçon ne saurait prospérer, quand bien même ils auraient demandé à la cour de prononcer une mesure d’expertise visant à comparer les codes sources, « une telle mesure n’ayant pas à pallier leur carence dans l’administration de la preuve » (CA Paris, 24 mars 2015, n°12/22514). Si la nécessité que l’œuvre soit originale n’est pas nouvelle dans le cadre de la protection du logiciel par le droit d’auteur, le rappel lié à la nécessité d’établir ce caractère original est loin d’être inutile.
Note
1 Concept selon lequel des internautes acceptent de s’exposer à la réception de publicités ciblées en contrepartie de biens ou services de leur choix sur le catalogue des commerçants partenaires (par exemple téléchargement de musique en ligne).
Auteur
Prudence Cadio, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies.