Indépendance de la Catalogne : quelles conséquences fiscales potentielles pour les groupes français ?
Même si les chances de succès de voir la Catalogne devenir un Etat indépendant s’amenuisent un peu plus chaque jour du fait de la pression politique exercée sur les dirigeants catalans, il n’en reste pas moins que les entreprises françaises établies dans cette région doivent s’interroger sur les conséquences fiscales qui pourraient être provoquées par cet évènement.
Les sociétés établies en Catalogne sont nombreuses à avoir fait le choix de transférer leur siège social hors de Catalogne. Mais beaucoup d’interrogations demeurent.
Ce choix constitue-t-il une véritable garantie que l’indépendance de la Catalogne restera sans effet pour elles? Qu’en est-il des sociétés qui ont décidé de maintenir leur siège en Catalogne ?
Nous faisons le point sur les conséquences fiscales de ce scénario pour les filiales de groupes français établies en Catalogne. Les effets juridiques de l’indépendance de la Catalogne, reconnue comme telle sur la scène internationale, seraient équivalents à ceux du Brexit, et engendreraient de facto une sortie de l’Union européenne (UE)1. Partant, les sociétés domiciliées en Catalogne qui perdraient leur « nationalité » espagnole, perdraient également leur qualité de résidents de l’UE. Toutefois, à la différence du Royaume-Uni qui conserve l’intégralité de son arsenal juridico-fiscal issu notamment de la transposition de directives européennes, la Catalogne aurait à faire face à un vaste chantier d’élaboration et d’adoption de l’intégralité d’un nouveau système fiscal.
Si l’on perçoit aisément, pour les sociétés qui restent établies en Catalogne, les conséquences en matière d’impôts et droits indirects (TVA, droits de douanes et d’accises), les conséquences en matière d’impôts directs ne sont pas à négliger y compris dans les cas où un transfert de siège serait mis en œuvre.
Les conséquences en matière d’impôts indirects
La sortie de la Catalogne de l’Espagne mettrait fin à son appartenance au système commun de la TVA tel qu’il résulte de la Directive 2006/112/CE du Conseil du 28 novembre 2006. En conséquence, les flux de biens ne seraient plus traités comme des échanges intracommunautaires mais comme des opérations d’exportation/importation. La TVA et les éventuels droits de douanes et d’accises devraient donc être acquittés au titre des introductions de biens sur le territoire catalan et au titre de celles sur le territoire d’un Etat membre de l’Union, y compris de l’Espagne.
En ce qui concerne les prestations de services, les incidences seraient moins perceptibles dès lors que les services « Business to Business » sont, par principe, taxables au lieu d’établissement du preneur assujetti. En effet, que le preneur assujetti soit établi dans un autre Etat membre de l’UE ou hors de l’UE, les prestations rendues par un prestataire français ne sont pas taxables en France. Des impacts seraient toutefois à noter notamment pour les prestations immatérielles « Business to Customer » rendues à destination de particuliers établis en Catalogne qui ne seraient plus imposées au lieu d’établissement du prestataire communautaire. Par exemple, pour les cessions ou concessions de droits, les prestations de publicité ou encore de celles de conseil fournies par un prestataire établi en France à destination de clients non assujettis établis en Catalogne, la TVA française ne serait plus applicable, contrairement au régime actuel.
De plus, la procédure de remboursement de la TVA étrangère prévue entre les Etats membres de l’UE (Directive 2008/9/CE) ne trouverait plus à s’appliquer ni pour les remboursements de TVA catalane supportée par une entreprise française, ni pour la taxe acquittée dans un autre Etat membre par une société établie en Catalogne. Seule la voie de la 13ème Directive prévue pour les assujettis établis hors de l’UE serait envisageable sous certaines conditions de réciprocité.
Les conséquences en matière d’impôts directs
En matière de fiscalité directe, l’impact serait plus significatif s’agissant des flux intra groupe : en effet, ces flux ne pourraient plus bénéficier de l’exonération de retenue à la source sur les intérêts et redevances ainsi que sur les dividendes (Directives 2003/49/CE et 2003/123/CE).
La perte de cette exonération ne serait pas compensée dans l’immédiat par la possibilité d’appliquer les taux réduits prévus par la convention fiscale avec la France : en effet, dans le cas d’une scission entre la Catalogne et l’Espagne, la convention fiscale du 10 octobre 1995 signée entre la France et l’Espagne ne s’appliquerait plus. Partant, les filiales catalanes de sociétés françaises pourraient se voir imposer des retenues à la source sur les distributions de dividendes ou les versements d’intérêts et de redevances selon les modalités et le taux d’imposition qui serait défini par la nouvelle loi catalane. A défaut d’être prévues par une convention fiscale, ces retenues à la source n’ouvriraient pas droit à un crédit d’impôt en France.
Enfin, les opérations de restructuration transfrontalières placées sous le régime de faveur de la « Directive Fusions » (2009/133/CE) telles que des apports ou des fusions ne pourraient plus être réalisées sans coût fiscal dès lors qu’une société catalane serait impliquée.Du côté français, un grand nombre de dispositifs fiscaux de faveur sont conditionnés à l’appartenance à l’Union Européenne : au-delà de ceux que nous venons de citer, il y aurait également des impacts par exemple sur la non application de la quote-part réduite à 1% pour les dividendes reçus de filiales catalanes par une société mère française, sur les avantages fiscaux octroyés pour les salariés qui se déplacent à l’étranger (système de la prime d’expatriation), et pour ceux qui seraient amenés à transférer leur résidence en Catalogne qui seraient soumis à l’exit tax en France sans sursis automatique de paiement de l’impôt.
Les entreprises qui ont transféré leur siège sont-elles véritablement préservées ?
Les entreprises qui ont fait le choix (ou s’apprêtent à le faire) de transférer leur siège social hors de la Catalogne entendent par ce biais conserver leur image afin d’éviter certains phénomènes de boycott ou simplement maintenir leur résidence fiscale dans un Etat membre de l’UE, l’Espagne en l’occurrence2.
Selon la loi espagnole relative à l’Impôt sur les Sociétés3, une société est considérée comme résidente en Espagne dès lors que son siège social ou le lieu de sa direction effective se trouvent en Espagne. Cela étant, dans le cadre des conventions internationales basées sur le modèle OCDE (avant sa révision en 20174), le critère de rattachement pour éviter les changements artificiels de lieu de résidence est le lieu de direction effective, c’est-à-dire le lieu où se situe la gestion et la direction opérationnelle de l’entreprise.
Or, dans la plupart des cas, les entreprises qui ont transféré leur siège social hors de la Catalogne (dans une autre région espagnole) y conservent leur siège de direction effective, notamment du fait du maintien des organes sociaux compétents pour décider de la gestion de la société. Dans ce cas, les sociétés pourront se trouver dans une situation de conflit de résidence fiscale entre la Catalogne d’une part, et l’Espagne d’autre part. Ce conflit ne sera pas susceptible d’être réglé tant que l’Espagne et la Catalogne n’auront pas conclu de convention fiscale bilatérale, ce qui pourra conduire à des situations de double imposition si la Catalogne décide d’imposer les sociétés en retenant comme critère de compétence le siège de direction effective. En revanche, dans les relations avec les autres Etats, le transfert de siège en Espagne devrait permettre de continuer de bénéficier des conventions fiscales car le risque de conflit de résidence avec ces Etats sera inexistant.
Il ne faudrait pas non plus exclure le cas, qui en pratique serait le plus probable, où malgré le transfert du siège social de la société, un établissement stable continuerait d’exister en Catalogne. Il serait dès lors considéré comme situé hors de l’UE.
En dehors de ces cas, le transfert du siège social dans une autre région autonome d’Espagne, n’emporte aucun effet particulier en matière d’Impôt sur les Sociétés sauf si le choix du nouveau lieu d’établissement se situe dans les régions du Pays basque espagnol ou de Navarre qui présentent des spécificités.
Le choix de la région autonome d’accueil du nouveau siège de la société ne serait toutefois pas anodin en ce qui concerne les impôts locaux5 et ceux régis par les régions autonomes d’Espagne6 dont les taux et les exonérations applicables sont susceptibles de varier de façon significative selon les régions.
Dans la mesure où le transfert de siège peut revêtir des incidences tant opérationnelles que fiscales pour les sociétés, il nous semble prudent de rester attentif aux évolutions de la crise sans précipiter la prise de décision.
Notes
1 Même si les traités européens sont silencieux sur ce point et qu’il n´existe aucun précédent, une exclusion de l’UE semblerait très probable
2 Le transfert de siège social dans un Etat membre de l’UE distinct de l’Espagne ne fait pas l’objet de la présente analyse
3 Ley 27/2014, de 27 de noviembre, del Impuesto sobre Sociedades, art. 8
4 Le modèle OCDE prévoit, depuis sa révision en 2017, que le lieu de direction effective n’est plus qu’un des éléments que les Etats doivent prendre en compte pour trancher ensemble le conflit de résidences.
5 Tel que “l’Impuesto sobre los Bienes Inmeubles” i.e. l’impôt sur les biens immobiliers
6 Tel que “l’Impuesto sobre Transmisiones Patrimoniales y Actos Jurídicos Documentados” i.e. l’impôt sur les transmissions patrimoniales onéreuses et les actes juridiques
Auteurs
Diego de Miguel Hernando, associé, CMS Albiñana & Suárez de Lezo
Marion Taylor, avocat, CMS Albiñana & Suárez de Lezo
Agnès de l’Estoile-Campi, avocat associé, CMS Francis Lefebvre Avocats