Impacts de l’extension du devoir d’information sur la rédaction des contrats de cession
Le nouvel article 1112-1 du Code civil étend le devoir d’information des cocontractants. Dans les opérations de M&A, comment éviter la mise en jeu de la responsabilité du cédant dès que le cessionnaire connaît une première déception à la suite de son acquisition ? Quel impact sur la rédaction des contrats de cession ?
A la suite de l’adoption de l’ordonnance du 10 février 2016, dont l’entrée en vigueur est prévue le 1er octobre prochain, le champ d’application de l’obligation d’information se trouve largement étendu. En effet, le nouvel article 1112-1 du Code civil prévoit notamment que «Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant», tout en précisant que «les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir», donnant, de ce fait, un caractère d’ordre public à ces dispositions.
Si l’obligation d’information ne «porte pas sur l’estimation de la valeur de la prestation», les critères clés à retenir dans ce cadre pour déterminer si oui ou non l’obligation d’information est satisfaite sont les suivants : (i) l’importance déterminante de l’information pour le consentement de l’autre partie, étant précisé que sont qualifiées de déterminantes «les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties», (ii) la connaissance de l’information par le créancier de l’obligation et (iii) l’ignorance de l’information par l’autre partie, cette ignorance devant être légitime et pouvant tenir aux relations de confiance existantes entre les cocontractants, ce qui sous-entend que l’obligation d’information continue à coexister avec l’obligation de se renseigner.
Tout manquement à ce devoir d’information peut entraîner la mise en jeu de la responsabilité de la personne débitrice de cette obligation et donner droit à l’allocation de dommage-intérêts, même en l’absence d’intention trompeuse, lorsque cela résulte d’une simple négligence. Par ailleurs, si la violation de cette obligation d’information est faite intentionnellement, ce manquement peut qualifier un dol, susceptible d’entraîner la nullité du contrat dès lors que l’information retenue aura été d’une importance déterminante pour le consentement de l’autre partie.
Si l’on s’en tient aux seules opérations d’acquisition d’entreprises, quelles conséquences pratiques tirer de cette disposition qui étend le champ d’application de l’obligation d’information ? En effet, le texte expose, à première vue, davantage le débiteur de l’obligation, c’est-à-dire généralement, le cédant, qu’il soit ou non dirigeant de la société cédée, à la mise en jeu de sa responsabilité pour manquement à son devoir d’information.
En termes de rédaction et dès lors que ce nouvel article interdit expressément toute limitation ou exclusion du devoir d’information, il est probable que les stipulations qui se limiteraient à déclarer que les parties se reconnaissent suffisamment informées, s’interdisant en conséquence d’agir en justice pour contester avoir reçu l’information requise, seraient considérées comme insuffisantes, voire invalidées.
Il conviendra donc, afin de protéger le cédant de contestations ultérieures, de renforcer, dans les contrats de cession, les dispositions relatives à la connaissance du cessionnaire (en insérant notamment des clauses relatives à sa qualité de professionnel, au fait qu’il aura pu réaliser un audit préalable, à la part d’incertitude que peuvent contenir les documents projectifs qui auront pu lui être communiqués, etc.) ainsi que celles relatives à la délivrance, par le «sachant», des informations importantes (conservation d’une copie des documents mis à la disposition du cessionnaire, preuve que les informations importantes ont bien été communiquées, etc.) Mais il importera surtout que le cessionnaire précise ce qu’il considère être une information d’«importance déterminante».
En cela, la nouvelle rédaction de l’article 1112-1 du Code civil apporte une dimension supplémentaire à l’obligation d’information, dans la mesure où elle invite les parties à convenir formellement de ce que le cessionnaire a pu considérer comme étant d’«importance déterminante» pour son consentement, faisant peser sur ce dernier le risque d’une rédaction incomplète. A défaut de formaliser le «lien direct et nécessaire» entre les informations que le cessionnaire entend comme d’«importance déterminante» «avec le contenu du contrat ou la qualité des parties», il risquerait de ne pas pouvoir se prévaloir de la protection qui lui est offerte par ce nouvel article. Ainsi, là où il pouvait être jusqu’à présent utile de mentionner ce qui, pour le cessionnaire, constituait les éléments essentiels de l’opération (et notamment l’absence de violation des déclarations et garanties), il devient désormais indispensable de le contractualiser.
Auteurs
Alexandra Rhomert, avocat. Elle traite des dossiers de joint-ventures et de fusions acquisitions pour l’essentiel dans un contexte international.
Emmanuelle Brunel, avocat en droit des sociétés