Impact des PSE sur la santé et la sécurité des salariés : y-a-t-il encore un juge compétent ?
24 août 2015
Lecture croisée de l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy du 16 octobre 2014 et du jugement du TGI de Nanterre du 5 février 2015 qui considèrent respectivement qu’il n’appartient ni au juge administratif, ni au juge judiciaire de trancher la question des conséquences d’une réorganisation impliquant un plan de sauvegarde de l’emploi (PSE) sur la santé et la sécurité des salariés.
Depuis l’entrée en vigueur de la loi de sécurisation de l’emploi (ci-après « LSE ») du 14 juin 2013, la DIRECCTE est chargée d’homologuer ou de valider le projet de licenciement économique collectif impliquant un PSE. Conséquence de ce contrôle de l’Administration, le contentieux lié à la procédure de licenciement économique collectif a été transféré du juge judicaire au juge administratif. Le transfert se veut élargi, l’on vise communément un « bloc de compétence ». Toutefois, une zone d’incertitude demeure : les problématiques liées à l’impact du projet sur la santé et la sécurité des salariés sont-elles intégrées au « bloc de compétence » administratif ?
Rappel de la compétence attribuée au juge administratif dans le cadre de la LSE
L’article L. 1235-7-1 du Code du travail dispose que l’accord collectif ou le document unilatéral relatif au projet de licenciement économique, le contenu du PSE, les décisions prises par l’Administration et la régularité de la procédure de licenciement collectif ne peuvent faire l’objet d’un litige distinct de celui relatif à la décision de validation ou d’homologation.
Le contentieux relatif à cette décision relève de la compétence exclusive du tribunal administratif, à l’exclusion de tout autre recours administratif ou contentieux.
Toutefois, ces dispositions légales ne visent pas expressément un type de contentieux qui a vu le jour il y a quelques années et visant à obtenir la suspension d’un projet au motif qu’il générait un risque pour la santé et la sécurité des salariés.
La cour administrative d’appel de Nancy s’est déclarée incompétente pour statuer sur les conséquences du projet de PSE sur la santé des salariés
Dans une première affaire « post-LSE » le Comité d’entreprise et un syndicat de la société BASF soutenaient que l’organisation de travail envisagée par l’employeur était dangereuse pour la santé et la sécurité des salariés et que l’Administration aurait dû vérifier ce point avant d’homologuer le projet.
La cour administrative d’appel n’a pas suivi ce raisonnement. Elle considère que si l’article L. 1233-57-3 du Code du travail prévoit que l’autorité administrative doit homologuer le document élaboré par l’employeur, mentionné à l’article L. 1233-24-4 du Code du travail, après avoir vérifié « la conformité de son contenu aux dispositions législatives », il n’appartient pas à l’autorité administrative de contrôler les conséquences du PSE sur la santé et la sécurité des salariés, alors même que la procédure d’élaboration du PSE prévoit la consultation du CHSCT.
L’on aurait pu déduire, de prime abord, de cet arrêt que le juge judiciaire était compétent pour statuer sur les conséquences du projet de PSE sur la santé des salariés.
Le TGI de Nanterre s’est également déclaré incompétent… au profit du juge administratif
Dans une affaire ayant donné lieu à un jugement du 5 février 2015, le TGI a été amené à trancher une problématique comparable à celle ayant donné lieu à l’arrêt de la cour administrative d’appel de Nancy, tout en arrivant à une solution radicalement différente.
Dans cette affaire, divers syndicats affiliés à la CGT demandaient au TGI d’annuler ou de suspendre le projet de réorganisation de la Société Astrium et d’interdire la mise en œuvre du PSE au motif que la société ne respectait pas son obligation de sécurité en ne mettant pas en place les moyens de quantifier et de contrôler la charge de travail. Afin de justifier la compétence du TGI, ils soulignaient que leurs demandes ne portaient ni sur la question de suffisance de l’information-consultation du CHSCT, ni de la régularité de la procédure de licenciement collectif, ni du contenu du PSE, mais exclusivement sur le projet de réorganisation.
Par sa décision, le TGI de Nanterre a donné toute sa portée au nouveau « bloc de compétence » administratif. C’est ainsi que, dans des termes qui ne peuvent à notre sens qu’emporter l’adhésion, le TGI a considéré qu’« il ne saurait être dérogé à la compétence administrative sur la question de l’obligation de sécurité de résultat de l’employeur dans le cadre d’un projet de restructuration, alors que ce projet implique un PSE, dont le contrôle relève de la Direccte » et que « la contestation de la décision de cette dernière relève de la compétence administrative ».
La contradiction apparente de ces décisions ne conduit pas néanmoins à un déni de justice
A défaut de texte clair et précis, il est nécessaire, pour trancher la question de la juridiction compétente pour apprécier les conséquences d’une réorganisation impliquant un PSE sur la santé et la sécurité des salariés, de s’en remettre à la volonté du législateur. Or, il y a, selon nous, peu de doute que le législateur a entendu confier cette compétence au seul juge administratif.
En effet, il semble, tout d’abord, pour le moins artificiel, voire illusoire, de distinguer en termes de compétence juridictionnelle le projet de réorganisation du projet de licenciement économique collectif : l’un est la conséquence directe de l’autre et le lien très fort entre ces procédures a été acté par l’article L. 1233-30 du Code du travail issu de la LSE. Il en va dès lors de la bonne administration de la justice que de n’avoir qu’un seul juge compétent pour ce qui constitue en réalité deux aspects d’un seul et même projet. D’ailleurs, la DIRECCTE vérifie, dans le cadre de son contrôle, « la régularité de la procédure d’information-consultation » (articles L. 1233-57-2 et -3 du Code du travail) sans qu’il soit distingué entre celle portant sur le projet de réorganisation et celle concernant le projet de licenciement économique collectif. En outre, demander au juge judiciaire d’annuler ou de suspendre un projet de réorganisation, et par conséquent d’interdire la mise en œuvre du PSE subséquent, revient dans les faits à solliciter l’annulation ou la suspension de la décision d’homologation ou de validation du projet rendue par l’Administration. Or, cette faculté relève sans contestation possible de la compétence exclusive du juge administratif.
En outre, la finalité de la LSE a toujours été clairement donnée : « renforcer l’encadrement et sécuriser les procédures de licenciements collectifs », en évitant notamment la multiplication des contentieux au cours de la procédure d’information-consultation des représentants du personnel. Pour cela, le contentieux relatif au projet de licenciement économique a été unifié en une action unique : celle visant à contester la décision de la DIRECCTE. Toute compétence résiduelle du juge judiciaire en amont d’un tel projet reviendrait purement et simplement à réduire à néant le sens et la finalité de simplification de cette réforme.
La santé des salariés n’est pas pour autant la grande oubliée de la LSE
Certains tenteront de déduire de l’incompétence du juge judiciaire qu’il y aurait là une atteinte au droit de recours des salariés. Ce serait oublier que la réforme de la procédure de licenciement économique résulte de l’ANI du 11 janvier 2013, un texte équilibré, issu de négociations entre organisations syndicales patronales et salariales. Or, dans le cadre du nouveau dispositif légal, les opposants au projet de réorganisation disposent de plusieurs procédures afin de faire entendre leurs arguments.
Ils peuvent ainsi saisir la DIRECCTE avant que n’intervienne la décision d’homologation autorisant la mise en œuvre du projet, par le biais de la procédure d’injonction. Ils ont également la possibilité de saisir le juge administratif après validation ou homologation du projet et même, si l’urgence et la nature de l’irrégularité le justifient, en référé-suspension.
Auteurs
Nicolas de Sevin, avocat associé en droit social.
Emilie Bourguignon, avocat en droit social.
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