Holdings étrangères : les sociétés opérationnelles n’ont pas le monopole de l’utilité «commerciale»
L’utilisation d’une société holding étrangère intermédiaire dans un Etat autre que celui de la société cible est fréquente pour répondre à différents impératifs financiers, juridiques, contractuels, voire patrimoniaux. Ce faisant, l’investisseur ultime aura naturellement pour objectif de s’assurer de la neutralité de la chaîne de détention.
L’évolution récente de la fiscalité internationale, sous l’impulsion de l’OCDE dans le cadre du projet OCDE/G20 relatif à l’érosion de la base d’imposition et au transfert de bénéfices («BEPS») et de sa traduction prochaine dans le droit de l’Union européenne (cf. «paquet» de mesures contre l’évasion fiscale présentée par la Commission européenne le 28 janvier 2016), nous conduit à nous interroger sur la robustesse fiscale de ces structures.
Dans un contexte européen, une société sera «établie» dans l’un des Etats de l’UE si elle participe, de façon stable et continue, à la vie économique de cet Etat. En application de la jurisprudence1 de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), l’analyse du degré d’établissement de la société doit reposer sur des éléments objectifs comme l’existence de locaux, de personnels et d’équipements. A défaut, la société est susceptible d’être considérée comme constituant un montage purement artificiel.
La récente clause anti-abus insérée dans la directive mère-fille2 vise notamment comme non authentique un montage (ou série de montages) ne répondant pas à des «motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique». Selon les indications données par le Gouvernement à la Commission des finances de l’Assemblée nationale lors du vote de la dernière loi de finances, l’expression renverrait à «une implantation réelle ayant pour objet l’accomplissement d’activités économiques effectives3». Seules les sociétés percevant des dividendes, qui seraient établies au sens du droit de l’UE seraient donc susceptibles de poursuivre des «motifs commerciaux valables qui reflètent la réalité économique». La Commission européenne vient de recommander aux Etats membres d’insérer cette clause (également identique à celle proposée par l’OCDE/BEPS Action 6) dans les conventions fiscales signées entre eux et avec les Etats tiers en y ajoutant une clause de sauvegarde si le montage ou la transaction correspond à «une activité économique authentique4». On constate que l’exigence d’établissement n’est pas mentionnée.
La nécessité de devoir constater physiquement l’implantation d’une société avec les signes extérieurs de l’exercice d’une activité économique pour caractériser «un motif économique valable» relève d’une confusion entre deux fondements juridiques distincts. En matière de retenues à la source dues ou non dues par une holding intermédiaire, la question est de s’interroger sur son utilité dans le cadre d’une chaîne de participation plus que sur le nombre de salariés ou de la taille des bureaux. La confusion serait d’autant plus préjudiciable qu’il suffit que la motivation fiscale soit principale pour que le bénéfice des dispositions favorables soient écarté. Le niveau d’exigence de facteurs objectifs attestant de la justification économique doit être proportionné et adapté. La cotation dans un pays autre, les aspects liés à une joint-venture, vouloir un véhicule dans un pays neutre, ou encore la création de sous pôles régionaux sont autant de motifs économiques valables.
Le degré d’autonomie décisionnelle de la holding apparaît donc capital. La holding peut légitimement avoir pour rôle d’exercer une influence sur ses filiales à l’aide notamment d’administrateurs compétents, indépendants et non issus systématiquement des filiales. Les PVs devront pouvoir permettre de justifier du travail réalisé et des options stratégiques retenues et transmises aux filiales. Les assemblées d’actionnaires, les conseils et le secrétariat juridique de la société devront également être tenus localement, notamment.
L’utilité économique des holdings intermédiaires doit être comprise par nos autorités et juridictions. La consécration de critères se référant au comportement du contribuable (motivation fiscale principale) dans les dispositifs anti-abus le commande.
Notes
1 CJCE 12 septembre 2006 aff. C 196/04 Gr. Ch. Cadbury Schweppes.
2 Directive 2011/96/UE.
3 Rapport Commission des finances de l’Assemblée nationale n° 3347, loi de finances du 29 décembre 2015.
4 Paquet de mesures contre l’évasion fiscale ; Commission européenne, 28 janvier 2016/Recommandation [C(2016) 271].
Auteurs
Michel Collet, avocat associé en fiscalité internationale.
Benoît Foucher, avocat en matière de fiscalité internationale