Garantie donnée par une SCI au bénéfice d’un associé : mieux vaut ne pas s’y fier !
Le droit des sociétés civiles, à la différence de celui qui gouverne les sociétés anonymes (article L. 225-43 du C. com.) ou les SARL (article L. 223-21) ne contient aucune règle particulière encadrant l’octroi par la société d’une garantie au bénéfice de l’un de ses associés ou de ses gérants. En conséquence, faute d’exigence légale spécifique, il devrait être possible sans restriction de faire cautionner par la société civile un associé ou d’affecter en garantie d’une dette de cet associé l’un des éléments de l’actif social.
L’orientation suivie par la Cour de cassation depuis 2011 montre que l’opération s’avère singulièrement plus risquée – pour le créancier bénéficiaire de la garantie – au point qu’on peut se demander si, en réalité, les contraintes existant en matière de société civile ne sont pas plus handicapantes que celles prévues pour les SARL et les SA. Plus handicapantes, car plus incertaines faute de règles claires.
Un récent arrêt confirme de façon éloquente, et inquiétante, cette évolution. L’affaire concernait une société civile familiale classique, dont les associés avaient décidé, à l’unanimité, de modifier les statuts afin que, désormais, l’objet social prévoie la faculté pour la SCI de se porter caution solidaire en faveur d’un associé et de conférer toutes garanties sur les immeubles sociaux. Quelque temps après, la SCI consentit au bénéfice d’une banque une hypothèque sur l’immeuble (le singulier est important) lui appartenant en garantie d’un emprunt consenti par la banque au gérant de la société pour les besoins d’une activité personnelle. Le gérant ayant fait par la suite l’objet d’une procédure collective, la banque avait tenté de faire valoir sa garantie et de saisir l’immeuble. En vain. La cour d’appel considère que la sûreté est nulle car contraire à l’intérêt social ; conclusion que valide la Cour de cassation (arrêt du 23 sept. 2014).
Pour la Cour de cassation, la sûreté accordée par une société civile en garantie de la dette d’un associé n’est pas valide «dès lors qu’étant de nature à compromettre l’existence même de la société, elle est contraire à l’intérêt social». Et la Haute juridiction de préciser «qu’il en est ainsi même dans le cas où un tel acte entre dans son objet statutaire». En l’occurrence, il est jugé que le contrat de garantie était susceptible de compromettre l’existence de la société car il grevait l’unique immeuble social, de sorte que la mise en œuvre de la garantie aurait empêché la société d’accomplir son objet.
Ce faisant, le régime jurisprudentiel des garanties données par une SCI au bénéfice d’un associé ou d’un mandataire social se trouve encore durci, avec pour premier perdant le dispensateur de crédit qui ne pourra actionner sa garantie mais sans qu’il soit pour autant certain qu’il en résulte des avantages évidents pour les associés de telles sociétés.
Dans les années 2000, l’analyse prônée par la Cour de cassation était moins rigide et, nous semble-t-il, plus cohérente. Elle exigeait soit que le contrat de garantie entre dans l’objet social (exigence rarement satisfaite), soit que l’octroi de la garantie apparaisse conforme à l’intérêt social, ce qui était vérifié lorsqu’il existait une «communauté d’intérêts» entre la société et le débiteur cautionné (par exemple dans le cas où l’entité bénéficiaire de la garantie était locataire de l’immeuble appartenant à la société) ou bien lorsque la décision de délivrer la garantie avait été donnée par un vote unanime des associés. Les deux critères, celui de la conformité à l’objet social et celui de la conformité à l’intérêt social, jouaient donc alternativement.
Désormais, l’intérêt social apparaît comme le critère sinon exclusif, du moins prépondérant ; et, de surcroît, un intérêt social défini par le juge, contre l’avis des associés qui avaient ici autorisé à l’unanimité l’élargissement de l’objet social. D’où cette conséquence paradoxale, et peu conforme à l’éthique des affaires, qui est que les associés, alors pourtant qu’ils ont tous consenti à délivrer la garantie, pourront lorsque celle-ci sera appelée à jouer invoquer sa nullité.
La morale de l’histoire, pour les établissements bancaires, est qu’il faut refuser d’accepter en garantie les actifs d’une société civile (et refuser pareillement que celle-ci délivre une garantie personnelle) en contrepartie d’un crédit délivré à l’un des associés.
Auteur
Arnaud Reygrobellet, of Counsel, Doctrine juridique et Professeur à l’université Paris X.
Analyse juridique parue dans le magazine Option Finance le 3 novembre 2014