Fusion des régimes AGIRC-ARRCO : quels impacts sur les régimes de prévoyance et retraite supplémentaire ?
8 janvier 2019
La fusion des régimes de retraite complémentaire AGIRC ARRCO à effet du 1er janvier 2019 conduit à supprimer la distinction entre cadres et assimilés et non cadres et à ne prévoir plus que deux tranches de cotisation dans le cadre de ces régimes. Cette situation a des conséquences par ricochet sur les régimes de prévoyance/santé et retraite supplémentaire qui se référaient à ces critères pour déterminer le champ de leurs bénéficiaires.
Rappel des caractéristiques du régime unifié en matière de retraite complémentaire
Les accords nationaux interprofessionnels du 30 octobre 2015 et du 17 novembre 2017 organisent la fusion des régimes AGIRC et ARRCO à effet du 1er janvier 2019.
Dans ce cadre, l’accord national interprofessionnel du 17 novembre 2017 annule et remplace, dans toutes leurs stipulations, l’accord national interprofessionnel de retraite complémentaire du 8 décembre 1961 (dit « accord ARRCO ») et la convention collective nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 (dite « convention AGIRC »).
Ainsi, l’accord ARRCO et la convention AGIRC disparaissent à effet du 31 décembre 2018.
En outre, à compter du 1er janvier 2019, tous les salariés, qu’ils soient cadres ou non-cadres, bénéficieront du même régime de retraite complémentaire, en termes de cotisations et de droits.
A cet égard, les cotisations seront désormais assises sur 2 tranches identiques pour tous :
-
- la tranche 1 des rémunérations (dite T1), constituée de la rémunération inférieure au plafond annuel de la sécurité sociale ;
-
- la tranche 2 des rémunérations (dite T2), constituée de la rémunération comprise entre un et huit plafonds annuels de la sécurité sociale.
Ainsi, l’assiette des cotisations sera potentiellement élargie pour les salariés actuellement affiliés à l’ARRCO, la limite supérieure de la tranche 2 étant portée à huit PASS (1) contre trois PASS à ce jour. Au regard de l’AGIRC, les actuelles tranches B et C seront fusionnées.
Les taux de cotisations appliqués à l’ensemble des salariés s’élèveront à :
-
- 6,20% sur T1, soit 7,87% avec le taux d’appel de 127% ;
-
- 17% sur T2, soit 21,529% avec le taux d’appel susmentionné.
Des conséquences inéluctables, à terme, sur les régimes de prévoyance et retraite supplémentaire
Pour mémoire, le bénéfice des exonérations de cotisations de sécurité sociale applicables aux contributions patronales finançant des régimes de protection sociale complémentaire est conditionné au fait que ceux-ci bénéficient à une catégorie objective de personnel.
L’article R. 242-1-1 du Code de la sécurité sociale énumère une liste de 5 critères limitatifs permettant de définir une catégorie objective de salariés, parmi lesquels :
« 1° L’appartenance aux catégories de cadres et de non-cadres résultant de l’utilisation des définitions issues des dispositions des articles 4 et 4 bis de la convention nationale de retraite et de prévoyance des cadres du 14 mars 1947 et de l’article 36 de l’annexe I de cette convention ;
2° Un seuil de rémunération déterminé à partir de l’une des limites inférieures des tranches fixées pour le calcul des cotisations aux régimes complémentaires de retraite issus de la convention nationale mentionnée au 1° ou de l’accord national interprofessionnel de retraite complémentaire du 8 décembre 1961, sans que puisse être constituée une catégorie regroupant les seuls salariés dont la rémunération annuelle excède la limite supérieure de la dernière tranche définie par l’article 6 de la convention nationale précitée ; ».
Ces deux critères renvoyant à l’accord ARRCO et à la convention AGIRC, lesquels disparaîtront à effet du 31 décembre 2018 comme rappelé ci-avant, on peut s’interroger sur les conséquences de cette situation à l’égard des exonérations de cotisations de sécurité sociale applicables aux contributions patronales finançant des régimes de protection sociale complémentaire.
Toutefois, on relèvera que l’accord national interprofessionnel du 30 octobre 2015 a prévu l’ouverture de négociation devant aboutir à la signature d’un accord national interprofessionnel permettant de caractériser l’encadrement. A ce stade, celles-ci sont bloquées du fait du refus du patronat d’entériner un cadre normatif national opposable aux entreprises et aux branches. Si les discussions devraient reprendre, les chances que ces négociations aboutissent à brève échéance apparaissent faibles.
Or, les partenaires sociaux ont pris le soin de prévoir dans l’accord national interprofessionnel précité que :
« A défaut d’accord au niveau national et interprofessionnel avant le 1er janvier 2019, les entreprises devront :
– continuer à se référer à la définition de l’encadrement des articles 4 et 4 bis de la convention précitée [convention AGIRC], sous le contrôle d’une commission paritaire rattachée à l’Apec, reprenant la mission de celle définie à l’article 4 ter de la convention du 14 mars 1947 ;
– continuer d’appliquer l’article 7 de la convention précitée relatif aux avantages en matière de prévoyance des cadres ».
Dès lors, même en l’absence de modification rédactionnelle du critère n°1 de l’article R. 242-1-1 du Code de la sécurité sociale, les catégories de bénéficiaires pourront continuer à être définies sur la base des définitions des articles 4 et 4 bis de la convention AGIRC après le 1er janvier 2019, quand bien même la convention et la commission paritaire AGIRC auront disparu à cette date, en cas d’échec des négociations visant à définir l’encadrement, ce qui est le cas à ce jour.
En revanche, les partenaires sociaux n’ont pas prévu de dispositions spécifiques pour les éventuels salariés affiliés ou pouvant être affiliés à l’AGIRC en vertu de l’article 36 de l’annexe I de la convention AGIRC, de sorte que faute de texte spécifique maintenant cette catégorie (circulaire ou décret) il ne serait plus possible de rattacher les salariés dits « article 36 » aux régimes des cadres et assimilés cadres à compter du 1er janvier 2019 pour le bénéfice des exonérations de cotisations de sécurité sociale. Il en va de même pour les tranches B et C dans le cadre du régime AGIRC pour lesquelles aucune survie temporaire n’est prévue.
Mais un statu quo temporaire annoncé par la Direction de la sécurité sociale
Toutefois, le 13 décembre dernier, compte tenu du fait qu’un grand nombre d’opérateurs du marché se sont référés à ces catégories, la Direction de la sécurité sociale, DSS, a indiqué, dans un courrier adressé au président du Centre Technique des institutions de prévoyance, CTIP, que la caducité des anciens accords AGIRC-ARRCO serait sans conséquence au regard des exonérations de cotisations de sécurité sociale.
La DSS précise que :
« Les accords collectifs pourront, sans risque de redressement pour les entreprises à ce titre, continuer de prévoir la mise en place de garanties ouvertes à des catégories de salariés définies :
– sur la base de la comparaison de leur rémunération par rapport aux différents multiples du plafond de sécurité sociale aujourd’hui autorisés ;
– ou bien de l’appartenance au champ défini par les articles 4 et 4 bis de la convention AGIRC de 1947 (lesquels sont repris d’ailleurs à l’article 2 de l’ANI du 17 novembre 2017 relatif à la prévoyance des cadres) mais aussi de l’article 36 de l’annexe 1 de la convention AGIRC« .
Si la DSS ne vise littéralement que les accords collectifs, il ne faut pas pour autant en déduire que seuls ceux-ci sont concernés : en effet, cette formulation s’explique par le fait que le CTIP avait interrogé la DSS sur les accords collectifs de branche et d’entreprise.
Quelle durée aura ce statu quo ?
Si le courrier de la DSS ne mentionne pas la durée de ce statu quo, là aussi il ne faut pas s’alarmer.
En effet, on peut légitimement considérer que celui-ci sera applicable au moins jusqu’à la modification des textes relatifs aux exonérations, voire plus pour les régimes existant avant cette date puisqu’une période transitoire pour se mettre en conformité avec les nouveaux textes sera très probablement prévue.
En effet, dans son courrier précité, la DSS annonce que :
« L’actualisation formelle des références figurant à l’article R. 242-1-1 du Code de la sécurité sociale a vocation à être effectuée dès qu’il sera possible, notamment au regard de l’aboutissement des négociations que les partenaires sociaux envisagent de poursuivre, sauf erreur, sur le statut des cadres ».
C’est pour cette raison qu’il semble qu’à ce jour aucune date ne puisse encore être fixée pour la fin du statu quo, puisque celle-ci est clairement liée à la refonte des catégories de bénéficiaires dans le cadre des textes sur les exonérations sociales.
Or, il s’agit d’un chantier difficile, notamment car le passé a montré que les catégories définies par référence à la place dans la classification professionnelle des différentes conventions de branche soulevaient de grandes difficultés.
En effet la DSS et l’Agence centre des organismes de sécurité sociale, ACOSS, avaient retenu une interprétation très stricte de ce critère en considérant que seules les catégories correspondant au premier niveau de subdivision de la classification, et qui de surcroît correspondait à des fonctions, pouvaient être « présumées » collectives.
Or, compte-tenu de la très grande diversité de rédaction des classifications dans les conventions collectives, l’utilisation de ce critère nécessitait une analyse au cas par cas.
Preuve en est : l’ACOSS a consacré une grande partie de sa circulaire du 4 février 2014 (2) à l’analyse de plusieurs conventions collectives, afin de déterminer ce qui, selon elle, correspondait à ce premier niveau de subdivision.
Compte tenu de l’insécurité juridique engendrée par cette nécessaire interprétation pour les entreprises, il faut espérer qu’un tel critère ne sera pas maintenu, en tout cas avec l’interprétation actuelle qui est en est faite par la DSS et l’ACOSS.
Il faut en effet souhaiter que les critères retenus à l’avenir puissent être facilement appliqués par les entreprises et sans discussion possible avec les URSSAF. Ceci était le cas par exemple des catégories admises par la DSS antérieurement au décret du 9 janvier 2012, par référence à la réglementation sur le temps de travail (cadres dirigeants, cadres au forfait, etc.), au Code du travail (cadres, ouvriers, employés, agents de maîtrise) ou bien au PASS (3) (1 PASS, 2 PASS, etc.).
Quelle position adopter au 1er janvier 2019 ?
Pour les régimes déjà existants qui bénéficieraient à des catégories de personnel définies par référence aux critères 1 et 2 posés par l’article R. 242-1-1 du Code de la sécurité sociale, ou comme « cotisants AGIRC » et « non cotisants AGIRC », le courrier adressé par la DSS permet de rassurer les entreprises face à certains discours alarmistes en leur permettant de maintenir pour le moment sans aucun changement leur régimes.
On ne voit pas quelle autre position aurait pu être adoptée dès lors que tant que les textes relatifs aux exonérations n’auront pas redéfini de nouvelles catégories, aucune mise en conformité ne s’avère possible.
Il est vrai toutefois que cette solution résultant d’un simple courrier, elle n’est pas d’un strict point de vue juridique opposable aux URSSAF. Cependant, on voit mal comment une telle position aurait pu être adoptée sans concertation préalable avec l’ACOSS, de sorte qu’il apparaît très peu probable qu’elle ne soit pas suivie par les URSSAF.
D’ailleurs, dans le cadre de son courrier précité, la DSS indique :
« J’adresserai dans ce cadre une instruction à l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale et à la Caisse centrale de la mutualité sociale agricole avant fin 2018 pour leur signifier ces éléments ».
S’agissant des régimes qui seraient mis en place après 1er janvier 2019, le courrier précité de la DSS autorise également les entreprises à continuer à se référer aux dispositions des accords AGIRC-ARRCO dans leur rédaction applicable avant le 1er janvier 2019.
Toutefois, la prudence voudrait que, quand cela est possible et n’entraine en pratique aucune conséquence sur le périmètre des bénéficiaires, la référence aux « cotisants AGIRC » soit remplacée de manière purement formelle par « salariés répondant à la définition des articles 4 et 4 bis de la convention de la convention du 14 mars 1947 ».
En conclusion, des changements sont à prévoir à terme concernant les catégories de bénéficiaires de régimes de prévoyance/santé et retraite supplémentaire, mais dans l’immédiat un statu quo, qui était vivement attendu, est accordé aux entreprises par la DSS, ce qui leur permet d’aborder avec plus de sérénité la gestion de ces régimes début 2019.
(1) Plafond annuel retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.
(2) Lettre circulaire n°2014Â0000002.
(3) Plafond retenu pour le calcul des cotisations de sécurité sociale.
Article publié dans Les Echos EXECUTIVES le 08/01/2019
A lire également
Nouvelle convention collective de la métallurgie : la protection sociale complÃ... 9 mai 2022 | Pascaline Neymond
Prévoyance/santé et redressement URSSAF : la jurisprudence au secours des entr... 18 novembre 2013 | CMS FL
L’incidence du maintien des garanties de frais de santé sur le certificat... 10 juin 2014 | CMS FL
Généralisation de la complémentaire santé : versement « santé » mode d’... 13 avril 2016 | CMS FL
Conférence | AGA et retraite supplémentaire des dirigeants... 13 septembre 2023 | Pascaline Neymond
Retraite supplémentaire et caractère collectif : une condition d’ancienneté... 12 septembre 2017 | CMS FL
Retraites-chapeaux : un contrôle renforcé... 15 octobre 2015 | CMS FL
Loi PACTE et réforme de l’épargne retraite : les nouveaux plans d’épa... 10 octobre 2019 | CMS FL Social
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente