Fusion-absorption, nouveau contrat et continuité de la relation contractuelle
Dans l’affaire jugée par la cour d’appel de Paris, une des questions soulevées était celle de l’incidence d’une fusion-absorption et de la signature d’un nouvel accord de distribution sur l’appréciation de la durée de la relation commerciale à laquelle il avait ensuite été mis fin.
L’auteur de la rupture se prévalait d’une relation commerciale limitée à dix années. Il soutenait à cet effet que, nonobstant la transmission universelle de patrimoine, l’indemnisation de la rupture brutale supposait, d’une part, une continuité et une intensité des relations commerciales qui faisaient défaut avant l’absorption en 2001 de la société aux droits de laquelle il était venu, et d’autre part, la volonté du successeur de poursuivre la relation existante qui faisait elle aussi défaut.
La cour d’appel de Paris n’a pas suivi cet argumentaire. Elle a considéré que la relation commerciale était établie depuis dix-neuf années et elle a confirmé la décision de première instance fixant le préavis nécessaire à douze mois, au lieu des dix alloués (CA Paris Pôle 5 Chambre 4, 11 février 2015, n° RG 12/22955).
Après avoir relevé qu’avant 1993 rien ne permettait de connaître l’intensité et la continuité de la relation des parties, la cour d’appel souligne que la victime de la rupture avait distribué de façon régulière et continue depuis cette année-là les produits acquis auprès de son cocontractant. Elle note également qu’à compter de l’absorption intervenue en 2001, la distribution des produits avait donné lieu à la signature de trois contrats de distribution. La cour d’appel en conclut l’existence d’une relation d’affaires depuis 1991 avec la société absorbée et le maintien de cette relation par la société absorbante ; et ce, quand bien même la relation d’affaires faisait l’objet de « bases juridiques nouvelles » comme le précisaient les termes du préambule du contrat signé en 2001 : « … les parties abandonnent et mettent fin à l’éventuelle relation existante entre elles et s’engagent sur la base de ce nouveau contrat« .
Ainsi que l’exige l’article L. 442-6 , I, 5° du Code de commerce, cette décision distingue bien le contrat de la relation commerciale (en ce sens : Cass. com, 6 juin 2001, n° 99-20.831), étant rappelé que, pour l’appréciation de la durée de la relation commerciale, il importe peu que celle-ci repose sur l’enchaînement de contrats de nature juridique différente, comportant des conditions différentes (Cass. com, 29 janvier 2008, n°07-12.039 ; Cass. com, 24 novembre 2009, n° 07-19.248).
La cour d’appel rappelle également qu’il est de son devoir de vérifier si le préavis était suffisant au regard de la durée et des circonstances dans lesquelles avait été entretenue la relation des parties quand bien même ce préavis respectait un des très rares accords interprofessionnels applicable en l’espèce, l’accord Unibal du 15 janvier 2002 (en ce sens Cass. com, 2 décembre 2008, n° 08-10.731 ; Cass. com, 2 novembre 2011, n° 10-25.323).
La cour d’appel a ainsi confirmé la décision de première instance en indemnisant les préjudices subis constitués par le « gain manqué ». Ce dernier est calculé en tenant compte du chiffre d’affaires moyen sur les deux dernières années ; ce qui permet de dégager la marge brute commerciale perdue sur les deux mois supplémentaires de préavis accordés. En revanche, elle a refusé de retenir le préjudice de « pertes subies » consistant notamment dans des investissements en personnel et en matériel informatique, qui n’étaient pas spécifiques à la relation commerciale établie, objet du contentieux. N’a pas plus été retenu un préjudice au titre de la perte d’image auprès des autres fournisseurs faute de preuve d’un quelconque acte de dénigrement de la part de l’auteur de la rupture.
Auteur
Brigitte Gauclère, Avocat Counsel en droit commercial et de la distribution