Free ne pourra plus pourfendre les spams
La société Buzzee France, spécialisée dans l’envoi de mailings commerciaux de masse, a assigné Free devant le tribunal de commerce de Paris. Free avait, à plusieurs reprises, bloqué les messages envoyés par cette société à ses abonnés utilisant une adresse « @free.fr » puis, à compter de l’automne 2015, tous les messages en provenance du serveur de la société Buzzee. Celle-ci a donc saisi la justice afin de faire lever le blocage et d’obtenir, subsidiairement, réparation du préjudice commercial subi.
Le Tribunal de commerce, de manière didactique, étudie les différents fondements sur lesquels Free pourrait être habilité à effectuer ce filtrage (T. com. Paris, 20 janvier 2016, n°2015065447).
En premier lieu, il indique qu’un tel blocage pourrait être justifié si la licéité des contenus des messages était en cause, ou en cas de demande expresse d’une autorité administrative habilitée ou d’une autorité judiciaire (articles 6, I-2, I-7 et I-8 de la loi n°2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique). Au cas présent, la licéité des messages n’est pas en cause, et Free a agi de sa propre initiative.
En second lieu, le Tribunal relève que la notion de « spam » n’est pas définie juridiquement, et n’est pas davantage soumise à un régime juridique restrictif. Ainsi, l’identification d’un message comme un spam est subjective. Par ailleurs, aucune disposition législative ou réglementaire spécifique n’autorise un fournisseur de services Internet à supprimer, de sa propre initiative, les messages de cette nature destinés à ses clients.
En troisième lieu, se posait la question de savoir si la société Free avait pu être mandatée par ses clients pour filtrer ce type de messages. Le Tribunal relève à ce sujet que la société Free n’apporte aucunement la preuve qu’elle aurait reçu des plaintes de ses clients concernant les courriels envoyés par la société Buzzee. Par ailleurs, aucune clause de ses conditions générales de vente ne mandate le fournisseur d’accès, directement ou indirectement, pour effectuer ce filtrage.
Enfin, la société Free faisait valoir que les e-mailings expédiés par la société Buzzee à ses clients particuliers (les abonnés ayant une adresse « @free.fr » sont pour l’essentiel des particuliers, les sociétés disposant le plus souvent de leur propre nom de domaine) ne respectaient pas les obligations édictées par l’article L.34-5 du Code des postes et des communications électroniques (CPCE). Cet article soumet notamment la régularité des envois de messages électroniques promotionnels à l’acceptation préalable des personnes physiques destinataires (« opt-in ») et à la faculté qui leur est offerte de revenir à tout moment sur leur consentement à recevoir de tels messages (« opt-out »). En l’espèce, aucune de ces deux obligations n’était respectée. Si le Tribunal reconnaît l’exactitude de ce point, il n’en indique pas moins que la société Free n’est pas habilitée à contrôler le respect de ces dispositions. Tout particulièrement, l’existence d’une possibilité de désabonnement aux e-mailings ne peut être vérifiée qu’en accédant au contenu des messages, ce qu’interdit aux opérateurs de télécommunications l’article L.32-3 du CPCE.
Le tribunal de commerce de Paris en conclut que Free « n’a pas la liberté de ne pas acheminer certains messages de sa propre initiative et selon des critères d’appréciation qui lui sont propres« . Une telle opération, si la mauvaise foi de l’opérateur était établie, serait d’ailleurs punissable en application de l’article 226-15 du Code pénal, qui sanctionne la suppression et le détournement de correspondances. Le Tribunal rappelle que « l’accès à un réseau et la transmission de messages par Internet est un droit qui s’impose aux opérateurs de télécommunications » : Free a donc été enjoint de débloquer des serveurs les adresses IP de la société Buzzee, sous quinze jours, avec une astreinte de 5 000 euros par jour de retard.
En revanche, le préjudice commercial allégué par la société Buzzee n’ayant pas été établi, ses demandes indemnitaires ont été rejetées.
Auteur
Prudence Cadio, avocat en droit de la Propriété Intellectuelle et des Nouvelles Technologies.