Fixation des objectifs en langue française : pas d’exception pour les entreprises multinationales
12 septembre 2018
Les documents fixant les modalités de calcul de la rémunération variable des salariés doivent être rédigés en français. Le caractère international de l’activité de l’employeur peut-il exonérer l’employeur de transmettre un document en langue française ?
La Cour de cassation a répondu à cette question par la négative dans un arrêt du 3 mai 2018 (n°16-13.736).
Obligation de rédiger les objectifs en français
L’article L.1321-6 du Code du travail impose l’utilisation de la langue française dans tout document créateur d’obligations pour le salarié ou contenant des informations nécessaires à l’exécution de son travail.
Les écrits qui fixent les objectifs nécessaires à la détermination variable d’un salarié entrent notamment dans cette catégorie de documents.
A l’heure de l’internationalisation des échanges, il convient toutefois de constater que l’application de ce principe n’est pas chose aisée. Les sanctions peuvent pourtant être sévères.
A défaut d’utilisation de la langue française, les objectifs sont inopposables au salarié (Cass. soc. 29 juin 2011, n°09-67.492). Le salarié est donc en droit de demander le paiement intégral de sa rémunération variable, peu important que les objectifs aient été atteints ou non. Par ailleurs, l’employeur ne saurait se prévaloir de la non-atteinte d’objectifs fixés en anglais pour justifier un licenciement pour insuffisance professionnelle.
Le non-respect des dispositions de l’article L.1321-6 du Code du travail est également passible d’une amende prévue pour les contraventions de 4e classe (750 euros maximum).
Un principe assorti de strictes exceptions
Deux exceptions à l’utilisation de la langue française sont posées par le Code du travail : les documents reçus de l’étranger ou destinés à des salariés de nationalité étrangère.
Ces exceptions sont toutefois appréciées strictement par la Cour de cassation.
La chambre sociale refuse notamment de prendre en considération des éléments tirés de la maîtrise par le salarié de la langue dans laquelle étaient rédigés les objectifs ou du fait qu’il travaillait usuellement dans cette langue (Cass. soc 2-4-2014 n°12-30.191).
L’arrêt du 3 mai 2018 en est une nouvelle illustration.
Pas d’exception pour les entreprises ayant une activité internationale
Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt du 3 mai 2018, un salarié de nationalité française avait été engagé par une société de dimension internationale avec un salaire comprenant une part de rémunération variable.
Après son départ de l’entreprise, le salarié avait saisi le Conseil de prud’hommes pour réclamer le paiement de la part variable de sa rémunération.
Pour rejeter la demande du salarié, les juges du fond avaient considéré que la communication de documents de travail en anglais n’était pas illicite compte tenu du caractère international de l’activité de l’entreprise.
Cette motivation est censurée par la Cour de cassation qui considère que les juges d’appel ne pouvaient pas juger les objectifs opposables au salarié dès lors qu’ils n’avaient pas constaté que le salarié avait eu accès, sous quelque forme que ce soit, à un document rédigé en français fixant les objectifs permettant la détermination de la rémunération variable.
Possibilité de fixer les objectifs dans une langue étrangère si une traduction est jointe
L’employeur peut adresser les objectifs aux salariés dans une langue étrangère à condition qu’une traduction française des documents soit par ailleurs accessible aux salariés.
La Cour de cassation a en effet considéré que l’employeur qui diffuse sur son site intranet le plan de bonus rédigé en français quelques jours après l’avoir remis en anglais à ses salariés doit être regardé comme ayant satisfait à ses obligations, même si le document remis au salarié était rédigé en anglais (Cass. soc. 21 septembre 2017, n°16-20.426).
Une telle précision permet d’introduire une certaine souplesse dans le processus de rédaction des objectifs servant de base au calcul de la rémunération variable, en particulier dans les entreprises multinationales.
Article publié dans les Echos Executives le 12/09/2018
A lire également
Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de... 24 octobre 2023 | Pascaline Neymond
Exercice par un salarié d’un mandat social dans une filiale : une bonne idée... 19 décembre 2016 | CMS FL
Clauses de non-concurrence lors de la cession de droits sociaux : la vigilance e... 2 novembre 2021 | CMS FL Social 3
CDD : Peut-on utiliser une signature numérisée ?... 17 février 2023 | Pascaline Neymond
Préparer concrètement le retour des salariés dans l’entreprise : check-list... 30 avril 2020 | CMS FL Social
Gestion sociale du Covid-19 : nos voisins ont-ils été plus créatifs ? Le cas ... 23 juillet 2021 | Pascaline Neymond
PME : que changent les ordonnances Macron ?... 9 novembre 2017 | CMS FL
Suspension du contrat de travail d’un salarié : peut-il travailler pour une a... 27 avril 2020 | CMS FL Social
Articles récents
- L’action en nullité d’un accord collectif est ouverte au CSE
- Complémentaire santé : vigilance sur la rédaction des dispenses d’adhésion
- Précisions récentes sur la portée de l’obligation de sécurité de l’employeur dans un contexte de harcèlement
- La jurisprudence pragmatique du Conseil d’Etat en matière de PSE unilatéral : Délimitation du périmètre du groupe (Partie I)
- Détachement, expatriation, pluriactivité : quelques nouveautés en matière de mobilité internationale
- Avenant de révision-extinction d’un accord collectif : « Ce que les parties ont fait, elles peuvent le défaire »
- Dialogue social et environnement : la prise en compte des enjeux environnementaux à l’occasion des négociations collectives d’entreprise
- L’accès de l’expert-comptable du CSE aux informations individuelles relatives aux salariés lors de la consultation sur la politique sociale de l’entreprise
- Conférence : Sécuriser vos pratiques pour limiter les risques juridiques dans l’entreprise (risque pénal, congés payés, RPS)
- Le recours à un client mystère : une méthode de contrôle loyale à condition d’être transparente