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La fiscalité suisse des entreprises, même réformée, restera avantageuse

La fiscalité suisse des entreprises, même réformée, restera avantageuse

La Suisse mène actuellement une réforme fiscale qui vise à mettre fin aux statuts fiscaux privilégiés tout en préservant la compétitivité du pays. Les enjeux et les défis sont énormes.

I – Rappel du contexte de la réforme

La Suisse est bien connue dans le monde de la fiscalité internationale pour l’attractivité et la stabilité de ses statuts fiscaux privilégiés. Ces régimes sont définis en partie par la loi et en partie par la pratique administrative. Il s’agit de cinq régimes fiscaux (sans compter les allègements pour des entreprises nouvellement constituées) qui, à des conditions différentes, permettent de réduire considérablement la charge liée à l’impôt sur le bénéfice.

Ces statuts fiscaux privilégiés ont une grande importance économique, notamment en termes de contribution aux recettes fiscales de la Confédération (48,3% du produit de l’impôt sur le bénéfice) et à celles des cantons (21,1% du produit dudit impôt). De plus, ces statuts permettent d’atténuer la concurrence fiscale intercantonale. En effet, si le taux effectif global de l’impôt sur le bénéfice varie de manière très significative selon les cantons (environ entre 12% et 24%), les différences entre les taux effectifs applicables à des sociétés à statut fiscal privilégié sont peu importantes : l’incitation à constituer une société dans un canton plutôt qu’un autre pour des raisons fiscales est donc limitée.

La Suisse subit depuis plusieurs années une pression internationale, et tout particulièrement au niveau de l’EU, de l’OCDE et du G20, afin qu’elle abandonne ses régimes fiscaux privilégiés. Elle a désormais décidé de se conformer aux exigences internationales et, en septembre 2014, le Conseil fédéral a mis en consultation un projet de loi qui a pour but d’adapter la fiscalité suisse aux nouveaux standards internationaux, abolissant les statuts fiscaux existants tout en gardant l’attractivité fiscale de la Suisse comme lieu d’implantation d’entreprises1. La procédure de consultation s’est terminée le 31 janvier 2015. Il est prévu que le Gouvernement soumette un projet de loi au Parlement dans le courant de 2015. Sous réserve d’un référendum populaire, la loi devrait être adoptée en 2016 et entrer en vigueur en 2018 : les cantons disposeraient ainsi d’un délai de deux ans pour adapter leur législation.

La réforme vise à atteindre les objectifs suivants : (i) maintenir une charge fiscale compétitive pour les entreprises, (ii) rétablir l’acceptation internationale et (iii) sauvegarder le rendement financier des impôts sur le bénéfice pour la Confédération, les cantons et les communes2.

II – Les grandes lignes de la réforme

Afin de compenser la perte d’attractivité découlant de l’abandon des statuts, de nouvelles mesures, conformes aux nouveaux standards internationaux, seront adoptées et les cantons procéderont à des baisses du taux d’impôt sur le bénéfice. Les mesures principales sont l’introduction, au niveau cantonal et communal uniquement, d’une imposition privilégiée des revenus découlant de la propriété intellectuelle (les spécialistes parlent d’une «IP box») et la modification de la détermination du bénéfice imposable afin d’admettre, au niveau fédéral, cantonal et communal, la déduction d’intérêts sur les fonds propres. Ces derniers seront ainsi mis sur un pied d’égalité avec les fonds étrangers : les deux types de financement donneront en effet lieu à une déduction d’intérêts qui diminuera le bénéfice imposable (on parle d’une déduction d’intérêts notionnels ou de notional interest deduction).

La nouvelle loi précisera qu’en cas de transfert de goodwill – ou d’autres réserves latentes – hors du champ de l’impôt (par exemple en cas de transferts d’éléments patrimoniaux ou de fonctions à l’étranger), les réserves en question seront imposées. A l’inverse, en cas de transfert de réserves d’un domaine exonéré dans le champ de l’impôt, il sera possible de faire figurer dans le bilan fiscal les réserves nouvellement transférées dans le domaine imposable. Ainsi, les entreprises qui bénéficiaient d’une exonération (totale ou partielle) découlant d’un statut fiscal privilégié, pourront faire figurer dans leur bilan fiscal les réserves latentes qui seront nouvellement soumises à imposition et bénéficier par la suite d’amortissements qui réduiront leur bénéfice imposable (on parle ici d’un step up).

Ces mesures sont complétées par une série d’aménagements, moins importants pour l’imposition des entreprises. On pense, par exemple, à l’adoption d’une véritable exonération sur les revenus de participations, qui remplacera un mécanisme très particulier appelé «réduction pour participations», ou à l’amélioration envisagée du système de report de pertes. Le droit de timbre qui est – à juste titre – considéré comme peu adapté aux nécessités économiques, puisqu’il frappe une série de transactions sans rapport avec le bénéfice de l’entreprise, verra son champ d’application se réduire ultérieurement : l’émission de capital propre ne sera en effet plus imposée.

III – Précisions sur le régime d’IP box

Le débat est encore vif en Suisse en ce qui concerne les mesures qui seront finalement adoptées et leur définition exacte. En ce qui concerne l’IP box, la proposition actuelle vise à imposer de manière privilégiée certains revenus découlant de la propriété intellectuelle3. Elle s’inspire de l’IP box adoptée en 2013 par la Grande-Bretagne. Le projet mis en consultation définit de manière limitative les droits de propriété intellectuelle qui ouvrent le droit de profiter du nouveau régime : il s’agit de brevets, de certificats de protection complémentaire, des licences exclusives pour un brevet et de la protection du premier requérant selon l’art. 12 de la Loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux. Les marques sont exclues de ce traitement privilégié. Afin de profiter de l’IP box, la société ne doit pas seulement être propriétaire ou usufruitière de la propriété intellectuelle en question, mais doit avoir participé de manière prépondérante à son développement. Cette exigence vise à améliorer l’acceptation internationale de la mesure et est vraisemblablement appelée à évoluer dans le cadre du processus législatif. En effet, il s’agit d’une question actuellement très débattue notamment au sein de l’OCDE4.

Dans certaines limites, les cantons sont libres de déterminer la part du revenu de l’IP box qui n’est pas imposée. En cas d’exonération maximum, la charge fiscale globale (Confédération, canton et commune) sera d’environ 10%.

IV – Précisions sur le régime des intérêts notionnels

En ce qui concerne la déduction d’intérêts sur les fonds propres, le projet a choisi de ne pas suivre le modèle belge et d’admettre la déduction d’intérêts uniquement sur une partie des fonds propres5. Le texte proposé définit le taux d’intérêt au niveau législatif (taux des emprunts de la Confédération augmenté de 50 points de base, avec un minimum de 2%). Dans le cadre de la procédure de consultation, des voix se sont toutefois d’ores et déjà élevées pour demander qu’un tel taux ne soit applicable qu’à titre de safe harbor et que le contribuable reste libre de prouver que l’application d’un taux supérieur est justifiée.

V – Précisions sur la baisse corrélative des taux cantonaux et communaux d’impôt sur le bénéfice

Ces mesures, mêmes si elles sont importantes, ne permettront pas d’améliorer considérablement la situation de nombreuses entreprises et notamment des sociétés de trading, très répandues dans la région lémanique (cantons de Vaud et de Genève). Pour ces dernières, seule une baisse significative des taux d’impôt leur permettra de garder à long terme une situation semblable à l’actuelle. Dans ce sens, aussi bien le canton de Genève que celui de Vaud ont d’ores et déjà annoncé leur intention de baisser sensiblement le taux de l’impôt sur le bénéfice afin de parvenir à un taux effectif global (Confédération, canton et commune) de 13% pour Genève et de 13,8% pour le canton de Vaud. Le débat sur la répartition des pertes fiscales découlant d’une telle réforme sera difficile et ne fait que commencer.

Notes

1. http://www.efd.admin.ch/00468/index.html?lang=fr&msg-id=54566
2. Rapport explicatif sur la consultation, du 19 septembre 2014, page 2, http://www.news.admin.ch/NSBSubscriber/message/attachments/36632.pdf
3. Projet art. 24b LHID
4. Voir à ce propos le rapport de l’OCDE «Action 5 : Agreement on Modified Nexus Approach for IP Regimes», http://www.oecd.org/ctp/beps-action-5-agreement-on-modified-nexus-approach-for-ip-regimes.pdf
5. Projet art. 59 al. 1 let. e LIFD et art. 25 al. 1 let. e LIHD

 

Auteur

Andrio Orler, Avocat associé, CMS von Erlach Poncet Genève

 

*La fiscalité suisse des entreprises, même réformée, restera avantageuse* – Article paru dans le magazine Option Finance le 16 mars 2015

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