Fiscalité des contrats d’assurance-vie souscrits par un conjoint avec des fonds communs: un n-ième revirement doctrinal s’annonce
En annonçant l’abandon de la réponse Bacquet, le gouvernement conforte le statut fiscal particulier des contrats d’assurance-vie, nécessitant de coordonner la règle fiscale avec les règles du droit civil.
La situation est classique. Deux époux mariés sous le régime de la communauté légale souscrivent chacun de leur côté un contrat d’assurance-vie et désignent comme bénéficiaire, conformément à la clause standard proposée par l’assureur, «mon conjoint, à défaut mes enfants…». Sans réfléchir plus avant, ils alimentent leur contrat respectif au moyen de fonds communs, par exemple avec leurs salaires.
Ils pensent alors que leurs contrats échapperont aux droits de succession et bénéficieront du régime fiscal de faveur de l’assurance-vie.
C’est effectivement le cas pour le contrat souscrit par l’époux qui décède en premier. Etant donné que ce contrat est dénoué par le décès de l’assuré et que le conjoint survivant en est le bénéficiaire, le capital-décès constitue pour ce dernier un bien propre par application de l’article L132-16 du Code des assurances (sauf cas des primes exagérées). Les dispositions du Code des assurances permettent donc d’écarter l’application des droits de succession et d’appliquer le régime fiscal de l’assurance-vie visé aux articles 990 I et 757 B du Code général des impôts.
Le sort du contrat souscrit par l’époux survivant est plus délicat puisqu’au jour du décès de son conjoint, le contrat qu’il a souscrit n’est pas dénoué et la contre-assurance décès n’a pas encore joué (le conjoint prémourant n’étant pas l’assuré). Les articles précités ne sont dès lors pas applicables.
Cependant, dès lors qu’au décès du premier époux la communauté est dissoute, elle doit être partagée à parts égales entre l’époux survivant et les héritiers du défunt, y compris en principe pour la valeur de rachat du contrat d’assurance-vie (non dénoué) de l’époux survivant. Se pose dès lors la question de la de l’intégration dans la masse active de la succession et de la soumission corrélative aux droits de succession de la moitié de la valeur de rachat du contrat au jour du décès du prémourant.
En annonçant l’abandon de la réponse ministérielle Bacquet du 29 juin 2010 dans un communiqué du 12 janvier dernier, le Ministre des Finances et des comptes publics renonce à appliquer cette taxation et fait le choix du retour à une neutralité fiscale qui conforte le statut fiscal particulier de l’assurance-vie (1). Cependant la déconnexion des traitements civil et fiscal qui en résultera devrait sans doute faire l’objet de précisions ultérieures (2).
1. Retour à une doctrine de neutralité fiscale confortant le statut fiscal particulier de l’assurance-vie
La doctrine administrative n’a eu de cesse de fluctuer sur cette épineuse question de la dissolution de la communauté avant le dénouement du contrat d’assurance-vie souscrit par le conjoint survivant avec des fonds communs.
Si, transposant une jurisprudence Praslicka du 31 mars 1992 rendue en matière civile et que nous examinons dans notre second point, l’administration fiscale a tout d’abord lancé des procédures de rectification en vue d’imposer aux droits de succession la moitié de la valeur de rachat du contrat souscrit par le conjoint survivant avec des actifs de la communauté, une lettre du Ministre de l’Economie et des finances du 27 juillet 1999 adressée au Président de la FFSA a mis un coup d’arrêt à ces procédures.
Aux termes de cette lettre, les sommes détenues sur un contrat non dénoué souscrit par un conjoint au bénéfice de son époux n’étaient plus taxées lors du décès de ce dernier. L’objectif était « d’instaurer une neutralité fiscale entre les contrats souscrits à l’aide de deniers communs par l’un quelconque des époux au profit de son conjoint« . Autrement dit, cette lettre visait précisément la situation présentée en introduction des contrats non dénoués au bénéfice du conjoint : les contrats souscrits par chacun des époux devaient être traités de la même manière sur le plan successoral, peu important la date de dénouement du contrat et l’ordre de décès des époux. Cette approche a été confirmée dans la foulée par une réponse ministérielle Marsaudon du 3 janvier 20001.
Elle a néanmoins été infléchie mais aussi obscurcie peu après par une réponse ministérielle Bataille du 3 juillet 20002 précisant que l’administration se bornerait à tirer les conséquences des parts civiles déclarées par les contribuables en ce qui concerne les contrats d’assurance, suggérant que les héritiers pouvaient décider du caractère commun ou propre du contrat et corrélativement de sa taxation ou non aux droits de succession.
Finalement en 2010, la réponse ministérielle Bacquet3 signa la fin du principe de la neutralité fiscale en indiquant que la valeur de rachat des contrats d’assurance-vie souscrits avec des fonds communs fait partie de l’actif de communauté soumis aux droits de succession dans les conditions de droit commun.
Avec le communiqué du Ministre des Finances et des comptes publics du 12 janvier dernier, nous assistons à un n-ième revirement avec un retour à la politique de la neutralité fiscale. Le communiqué précise en effet que « le décès du premier époux sera neutre fiscalement pour les successeurs » et que ces derniers « ne seront imposés sur le contrat d’assurance-vie qu’au décès du second époux et n’auront donc pas à payer de droits de succession dès le décès du premier époux sur un contrat non dénoué« . Le régime fiscal particulier de l’assurance-vie en cas de décès est maintenu quel que soit l’ordre de décès des conjoints.
Cependant il ne s’agit là que d’une annonce du gouvernement et l’on ignore à ce jour la manière dont cette annonce sera traduite textuellement dans la doctrine administrative.
2. Articulation des traitements civil et fiscal
A l’inverse du traitement fiscal, le traitement sur le plan civil des contrats souscrits avec des deniers communs semble aujourd’hui bien établi.
Dans un arrêt Praslicka du 31 mars 19924 rendu en matière de divorce, la Cour de cassation a énoncé qu’il doit être tenu compte de la valeur de rachat du contrat dans les opérations de partage de la communauté lorsque les primes de l’assurance en cas de vie ont été payées avec des fonds communs. Le contexte dans lequel a été rendu cet arrêt est toutefois singulier puisqu’au jour de la liquidation du régime matrimonial, le contrat avait été racheté. Certains se sont donc interrogés sur sa portée dans l’hypothèse où le contrat n’aurait pas été racheté au jour de la liquidation et où subsisterait la possibilité qu’il se dénoue par un décès.
Le débat fut tranché par un arrêt du 19 avril 20055, toujours rendu en matière de divorce, qui confirme au visa de l’article 1401 du Code civil que la valeur de rachat d’un contrat d’assurance-vie souscrit à l’aide de fonds communs et non dénoué à la dissolution de la communauté constitue juridiquement un bien commun, l’éventuel caractère aléatoire du contrat ou encore l’existence d’une contre-assurance décès étant sans incidence. Par une réponse ministérielle Proriol du 10 novembre 20096, la Chancellerie a confirmé la solution dans le cas où la communauté est dissoute non pas en raison d’un divorce mais par le décès du conjoint du souscripteur assuré, tout en rappelant que la doctrine fiscale en la matière (qui était à l’époque les réponses Marsaudon et Bataille) avait une portée exclusivement fiscale.
La réponse Bacquet était donc en harmonie avec l’analyse civile et son abrogation soulève la question de l’articulation des traitements civil et fiscal pour le contrat d’assurance-vie qui n’est pas dénoué au décès du premier des époux communs en biens.
Tout d’abord, il faut orchestrer la double liquidation de la succession à laquelle cette abrogation devrait théoriquement conduire: une liquidation civile dans laquelle les héritiers obtiendront des droits sur la moitié de la valeur de rachat du contrat d’assurance-vie non dénoué (sans pour autant être certains que le contrat sera racheté par le conjoint ou qu’ils seront les bénéficiaires du contrat à terme) et une liquidation fiscale qui ferait abstraction de ces mêmes droits pour l’application des droits de succession.
Ensuite on peut observer que les solutions qui ont été évoquées en matière civile pour protéger les droits des héritiers sur le contrat d’assurance-vie souscrit avec des fonds communs demeurent d’actualité puisque l’analyse civile n’est pas modifiée.
Parmi les solutions proposées figure le partage des biens entre le conjoint survivant et les héritiers avec attribution du contrat au conjoint souscripteur et attribution d’autres biens aux héritiers, à concurrence de la valeur de rachat du contrat.
Espérons que la nouvelle doctrine administrative qui sera publiée apportera quelques précisions sur la manière de gérer ces distorsions civilo-fiscales.
Notes
1 Rép. Marsaudon : AN 3 janvier 2000 p. 58 n°23488.
2 Rép. Bataille : AN 3 juillet 2000 p. 3945 n°35728.
3 Rép. Bacquet : AN 29 juin 2010 p. 7283 n°26231, réponse intégrée au Bulletin Officiel des Finances Publiques en juillet 2013.
4 Cass. 1re civ., 31 mars 1992, n°90-16.343, Praslicka.
5 Cass. 1re civ., 19 avril 2005, n°02-10.985.
6 Rép. Proriol : AN 10 novembre 2009 p. 10704 n°27336.
Auteurs
Jacqueline Sollier, avocat associée en matière de fiscalité directe,
Bénédicte Vazeille, avocat en droit fiscal