La facturation des services au sein des groupes de sociétés : un sujet qui reste d’actualité
Dans deux décisions du 9 décembre 2015, le Conseil d’Etat a jugé qu’une société française ne transférait pas de bénéfices à l’étranger en rémunérant une société du groupe auquel elle appartient pour des services rendus par d’autres sociétés du groupe. Ces arrêts, très factuels, mettent logiquement en œuvre les grands principes issus de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de charge de la preuve. Ces décisions ont également le mérite de rappeler qu’un redressement en matière de prix de transfert peut avoir des répercussions pour d’autres impôts, et notamment la TVA.
1. Démontrer l’existence des services fournis à une société permet d’éviter la qualification d’un transfert de bénéfices sur la base d’un avantage par nature
a. La preuve d’un avantage par nature
En matière de prix de transfert, la dialectique de la preuve repose sur deux phases successives. C’est d’abord à l’administration qu’il appartient de prouver le caractère anormal de l’opération qu’elle entend redresser ainsi que le montant des avantages consentis. Ce n’est que lorsque ces conditions sont remplies que la preuve de l’existence de tels avantages fait présumer le transfert de bénéfices. Le contribuable conserve toutefois la faculté d’apporter la preuve contraire.
Comme le rappelle le Commissaire du Gouvernement Glaser dans ses conclusions sur l’affaire Cap Gemini1 il faut distinguer selon qu’il s’agit d’avantages par nature, qui s’entendent en général d’une libéralité, ou de comportements constitutifs d’avantages par comparaison, parce que leur montant diffère de celui habituellement pratiqué.
En l’espèce, faute de procéder à des comparaisons, c’est nécessairement sur le terrain de l’avantage par nature que s’est placée l’administration pour effectuer son redressement. Cet avantage serait constitué par le fait que les prestations ne présentaient pas d’intérêt pour la société française. La Cour Administrative d’Appel de Paris, qui a noté l’absence de moyens humains suffisants pour effectuer les services au niveau de la société les facturant, l’absence de contrat entre cette dernière et certains sous-traitants, le fait que les prestations des sous-traitants relevaient du contrôle du groupe, qu’elles étaient insuffisamment étayées ou étaient redondantes avec les prestations effectuées par des prestataires tiers de la société française. La Cour en a conclu que la preuve était apportée que l’ensemble des prestations, facturées forfaitairement, n’étaient pas réalisées dans l’intérêt de la société française.
Bien que le Conseil d’Etat relève souvent dans ses arrêts rendus au visa de l’article 57 du Code Général des Impôts que l’administration n’a pas rapporté la preuve qui lui incombait, et n’inverse donc pas la charge de la preuve, le contribuable ne doit pas se contenter d’attendre cet éventuel retournement pour faire valoir ses arguments. Comme il l’a fait en l’espèce, il devrait dès le départ apporter des éléments de fait pour combattre l’argumentation de l’administration selon laquelle des avantages auraient été accordés.
b. L’existence d’un avantage ne se déduit pas de l’absence de contrat ou du caractère forfaitaire de la facturation
Un élément décisif dans l’affaire soumise au Conseil d’Etat réside dans la méthode de facturation des prestations à la société française. Pour bénéficier d’un ensemble de services, elle versait annuellement une somme forfaitaire à une société du groupe qui sous-traitait une partie de la réalisation à d’autres sociétés. Par essence, le prix de transfert doit s’efforcer de reproduire le prix qui serait convenu entre des entités indépendantes. En matière de service, une méthode de prix de transfert fréquemment mise en œuvre consiste à utiliser comme valeur pour les services, le coût de revient de ceux-ci, majoré d’une marge conforme à celle que réaliserait un prestataire indépendant, la logique voulant qu’un prestataire indépendant chercherait, le plus souvent, à facturer ses prestations en couvrant ses coûts avec une marge. En facturant un forfait à la société française, la société étrangère ne corrélait pas le coût des prestations au service rendu. Dans une jurisprudence ancienne, le Conseil d’Etat a admis qu’une participation forfaitaire aux frais d’exploitation d’une société liée ne caractérisait pas par essence un transfert de bénéfices2. En l’espèce, le Conseil d’Etat a réaffirmé cette position. Sans se prononcer sur la façon dont le coût de la prestation aurait dû être calculé, il relève que des services ont bien été rendus à la société française, que ces derniers n’étaient pas redondants avec d’autres services fournis à la société française et que l’administration, par suite, ne pouvait rejeter l’intégralité des charges encourues.
Le fait que les services soient facturés sur la base d’un forfait inchangé selon les années ou de montants variables importe peu pourvu que le prix soit conforme à celui qu’auraient convenu des entreprises indépendantes. Ainsi, si le forfait facturé à la société française est équivalent au montant qui aurait été facturé, pour des services présentant un intérêt pour elle, par des prestataires indépendants, l’administration n’est pas fondée à opérer un redressement.
La Cour Administrative d’Appel avait souligné que le contribuable ne produisait pas l’un des contrats par lequel la société étrangère qui facturait les services à la société française sous-traitait leur réalisation à une autre société du groupe. Cet argument n’a pas prospéré. Ainsi, l’absence de contrat, au moins avec le sous-traitant, n’est pas déterminante dans l’analyse. Ceci semble cohérent avec le principe du consensualisme qui prévaut en droit français. C’est à l’aune des obligations réelles de chacun, quelles que soient les stipulations (ou non) du contrat formalisé, que s’apprécie l’intérêt des parties. Cette position est conforme aux travaux de l’OCDE en matière de lutte contre l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices. Ceux-ci font prévaloir la répartition réelle des fonctions, des actifs et des risques entre les parties à la transaction pour la détermination des prix de transfert au détriment des stipulations contractuelles qui pourraient s’en éloigner.
2. Démontrer l’existence des services fournis permet également la déductibilité de la TVA grevant les frais ainsi facturés
Dans la deuxième affaire soumise au Conseil d’Etat, la filiale de la société française dont l’administration avait estimé qu’elle avait opéré un transfert de bénéfices à l’étranger s’était vue rejeter son droit à déduction de la TVA grevant les honoraires ainsi versés à sa mère dans le cadre d’une convention d’assistance, au motif que le paiement de ces honoraires ne correspondait pas à une dépense nécessaire à son exploitation. La Cour soutenait en l’espèce que la réalité des prestations fournies par la société française et la société étrangère n’était pas établie. En matière de TVA, la dialectique de la preuve suit, pour l’exercice du droit à déduction, un rythme ternaire. En pratique, le contribuable bénéficie d’une présomption de réalité de l’opération en présentant une facture. C’est alors à l’Administration d’apporter des éléments pour combattre cette présomption, à charge pour le contribuable, si ces éléments sont suffisants, d’apporter la justification de la réalité de l’opération qui lui a été facturée.
Le Conseil d’Etat considère ici que cette preuve est suffisamment rapportée par le contribuable, et ce, même en l’absence de production devant la Cour du contrat prévoyant la réalisation de services par un sous-traitant de la société étrangère. La preuve de la réalité des prestations fournies au bénéfice de la filiale présente, en l’espèce, un double intérêt : éviter la qualification de transfert de bénéfices à l’étranger pour la société mère française et permettre la déductibilité de la TVA grevant les honoraires versés à la société mère par sa filiale.
3. Conclusion
En conclusion, les prestations de service intragroupe demeurent une source importante de litiges avec l’administration fiscale. Les contribuables sont bien fondés à faire appel à d’autres sociétés appartenant au même groupe pour réaliser des services à leur profit, ces sociétés pouvant elles-mêmes sous-traiter la réalisation des services à d’autres. Toutefois, dans ce contexte, la présente décision met en lumière l’importance pour l’administration fiscale d’identifier avec rigueur le montant de l’avantage consenti à une société étrangère et, pour le contribuable, d’apporter des éléments de fait de nature à emporter la conviction du juge, et ce afin d’éviter non seulement une remise en cause de la déductibilité de ces frais, mais également de la TVA grevant ces frais.
Notes
1 CE 7 novembre 2005 n°266436 et 266438, min. c/ Sté Cap Gemini.
2 CE, 18 avr. 1966, requête n°63621.
Auteurs
Armelle Abadie, avocat en matière de TVA.
Valentin Lescroart, avocat en fiscalité internationale.
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