Exonération fiscale des indemnités versées à la suite d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail : l’importance pratique des éléments de preuve
16 juin 2016
Epilogue d’un long contentieux fiscal, un récent arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes vient de refuser l’exonération d’une indemnité transactionnelle qu’un salarié avait reçue de son employeur à la suite d’une prise d’acte de la rupture de son contrat de travail. En l’espèce, le salarié n’apportait pas la preuve, qui lui incombait, que cette prise d’acte était, dans les faits, assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel de Nantes (arrêt du 10 décembre 2015, n°15NT01093) démontre toute l’importance qu’il convient de donner aux pièces à produire devant le juge fiscal, lorsque ce dernier est saisi de la qualification d’une indemnité transactionnelle versée dans le cadre d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail.
1. Rappel de la procédure de prise d’acte de rupture d’un contrat de travail
Non prévue par le code du travail, la prise d’acte de la rupture du contrat de travail a été conçue par la jurisprudence comme un mode autonome de rupture des relations contractuelles réservé au salarié, l’employeur ne pouvant pas en prendre l’initiative.
La chambre sociale de la Cour de cassation a rendu le 25 juin 2003 plusieurs arrêts de principe (n°01-41150 et n°01-42335) fixant le mode d’emploi pour déterminer les effets qui doivent être attachés à ce mode de rupture de la relation de travail.
Elle retient une logique binaire qui dépend du point de savoir si les griefs faits à l’employeur justifiaient ou non la rupture du contrat de travail. Ainsi, la rupture produit les effets soit d’un licenciement aux torts de l’employeur (licenciement sans cause réelle et sérieuse, voire licenciement nul dans certains cas) si les faits invoqués à l’encontre de l’employeur la justifiaient, soit, dans le cas contraire, d’une démission.
En tout état de cause, pour que la prise d’acte puisse produire ses effets, il est en principe nécessaire que le salarié saisisse la juridiction prud’homale, et ce d’autant plus que Pôle Emploi refuse d’indemniser l’intéressé tant que le juge n’a pas tranché, ce qui a conduit à instaurer, par une loi du 1er juillet 2014 (loi n°2014-743), une procédure accélérée.
La procédure judiciaire étant néanmoins aléatoire par nature, le salarié et l’employeur peuvent être incités à conclure une transaction afin de mettre fin à leur différend, conduisant de ce fait le juge prud’homal à ne pas avoir à se prononcer sur la réalité et la gravité des manquements de l’employeur invoqués par le salarié.
Se pose dès lors la question du traitement fiscal du versement d’une telle indemnité pour le salarié.
2. Indemnité transactionnelle versée à la suite d’une prise d’acte : un régime fiscal désormais clairement défini
Selon les dispositions de l’article 80 duodecies du CGI, toute somme perçue par un salarié à l’occasion de la rupture de son contrat de travail est imposable, sauf exceptions limitativement énumérées par la loi. Parmi celles-ci figurent notamment les indemnités accordées par le juge en cas de licenciement irrégulier ou sans cause réelle et sérieuse.
Les dispositions de cet article conduisent donc à une différence de traitement en fonction de l’origine du versement.
Lorsque l’indemnité sanctionnant un licenciement aux torts de l’employeur procède d’une décision prud’homale, alors cette indemnité bénéficie du régime d’exonération. A l’inverse, en cas de versement d’une indemnité dans le cadre d’une transaction, cette indemnité est pleinement imposable, alors même que les faits invoqués à l’encontre de l’employeur auraient justifié une condamnation de l’employeur par le juge social si ce dernier avait été appelé à trancher le litige.
Cette différence de traitement a néanmoins été sanctionnée par le Conseil constitutionnel dans une décision n°2013-340 QPC du 20 septembre 2013. Les Sages ont ainsi considéré que les dispositions de l’article 80 duodecies ne peuvent pas conduire à réserver l’exonération d’impôt sur le revenu aux seules indemnités allouées en vertu d’un jugement ou d’une sentence arbitrale.
Suivant cette solution, le Conseil d’Etat a dès lors jugé qu’une indemnité versée dans le cadre d’une transaction conclue à la suite d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail peut bien bénéficier de l’exonération d’impôt sur le revenu, à la condition que le salarié puisse apporter la preuve que cette prise d’acte est assimilable à un licenciement sans cause réelle et sérieuse (décision du 1er avril 2015, n°365253).
A l’inverse, si la prise d’acte n’est pas justifiée par l’attitude de l’employeur, elle produit les effets d’une démission et l’indemnité en cause est intégralement taxable.
3. L’importance des éléments de preuve à apporter par les salariés
Cette solution jurisprudentielle conduit à des situations délicates du fait, que, dans la majorité des cas, les transactions ne stipulent pas clairement qu’il y a eu un manquement de la part de l’employeur.
En effet, les parties se contentent de déclarer en pratique que le salarié reproche des manquements graves à l’employeur, mais que l’employeur les conteste et que les parties conviennent donc du versement d’une indemnité au salarié afin de mettre un terme au litige et éviter une procédure judiciaire.
Le protocole transactionnel n’est donc en général d’aucun secours pour le salarié qui doit alors, au moment de déclarer ses revenus, déterminer quelles auraient été ses chances d’obtenir la condamnation de l’employeur devant le juge prud’homal, si ce dernier avait été saisi du litige.
Si le salarié estime que la prise d’acte de la rupture de son contrat de travail doit être regardée comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse au vu de la jurisprudence sociale, alors il pourra revendiquer le régime d’exonération fiscale réservé aux indemnités accordées par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette appréciation délicate est sujette au contrôle de l’Administration fiscale.
La même problématique peut d’ailleurs également se poser pour l’employeur puisque l’indemnité transactionnelle peut, dans certaines limites, être exonérée de cotisations sociales lorsque la prise d’acte est analysée en un licenciement sans cause réelle et sérieuse. Dans ce cas, ce sera à l’employeur de justifier du bien-fondé des prétentions du salarié, contrairement à ce qu’il soutenait dans le cadre de la transaction, s’il souhaite bénéficier de ce régime d’exonération sociale…
Paradoxalement, le juge de l’impôt ou du contentieux de la sécurité sociale peuvent donc se retrouver à devoir apprécier, en lieu et place du juge prud’homal, le bien-fondé des griefs retenus par le salarié. En d’autres termes, alors que la transaction a permis de mettre fin au différend entre l’entreprise et le salarié, elle est toutefois susceptible de faire naître un contentieux avec l’Administration fiscale pour le salarié ou avec l’URSSAF pour l’entreprise.
La charge de la preuve pèse alors sur celui qui fait l’objet du redressement, ce qui nécessite de documenter la prise d’acte en conséquence puisque, comme a pu le juger la Cour administrative d’appel de Nantes dans son arrêt du 10 décembre 2015, de simples affirmations du salarié sont insuffisantes.
D’une manière générale, le salarié devra, en cas de contrôle fiscal, être capable de faire état de manquements suffisamment graves de l’employeur empêchant la poursuite de son contrat de travail.
À titre d’illustrations, le juge social a récemment eu l’occasion de considérer qu’une prise d’acte est justifiée en cas de harcèlement moral, de déclassement et de changement de métier constitutifs pour le salarié d’une modification de son contrat de travail, ou encore de l’exercice d’une fonction salariée dans des conditions contraires aux préconisations du médecin du travail.
Au contraire, ne peuvent être invoqués d’anciens manquements de l’employeur ou le non-paiement d’heures supplémentaires pour justifier d’une prise d’acte dans la mesure où ces manquements n’empêchent pas la poursuite du contrat de travail.
Il revient donc aux salariés d’être particulièrement prudents au moment de qualifier l’indemnité transactionnelle et on ne saurait trop leur recommander de documenter leur décision afin d’être prêts, en cas de contrôle fiscal, à apporter les éléments de preuve requis dans ce cadre.
Le décret du 20 mai 2016 relatif à la justice prud’homale va d’ailleurs dans ce sens puisqu’il impose désormais au salarié, en cas de saisine du juge du travail, de joindre à sa requête les pièces invoquées à l’appui de ses prétentions.
Auteurs
Philippe Gosset, avocat spécialisé en fiscalité.
Vincent Duval, avocat en droit social
Exonération fiscale des indemnités versées à la suite d’une prise d’acte de la rupture du contrat de travail : l’importance pratique des éléments de preuve – Article paru dans le magazine Option Finance le 6 juin 2016
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