Entreprise familiale et build-up : savoir anticiper !
En matière de build-up, l’anticipation est le mot d’ordre ! Ouverture du capital, recours à la dette, nouvelles équipes et changement de taille sont autant d’événements structurants auxquels l’entreprise et ses actionnaires doivent se préparer pour aborder cette nouvelle étape dans les meilleures conditions.
Bien organiser la transmission du capital à l’heure de son ouverture
En matière fiscale, le premier sujet qui devra être anticipé par l’actionnariat familial concerne la transmission à titre gratuit de la société. En effet, cette transmission peut bénéficier d’un régime de faveur, le dispositif Dutreil, qui autorise une exonération en base de 75% de la valeur transmise pouvant être couplée, en cas de donation des titres en pleine propriété, avec une réduction de 50% des droits dus si le donateur a moins de 70 ans.
Toutefois, la revendication d’un tel dispositif repose sur la mise en place d’un engagement collectif de conservation d’une durée de deux ans qui doit être en vigueur lors de la transmission. À cet égard, il sera bien entendu prudent d’introduire un tel mécanisme avant l’entrée des investisseurs et d’adapter les termes du pacte d’actionnaires aux contraintes de ce dispositif.
Par ailleurs, dans la mesure où ce régime exige, dans le cas des sociétés non cotées, que l’engagement collectif porte sur au moins 34% du capital de la société, il conviendra d’anticiper la situation dans laquelle l’entrée des investisseurs aurait pour effet de porter le pourcentage des titres soumis à l’engagement en dessous de ce seuil. En effet, si tel est le cas et que le build-up intervient avant la mutation, alors les signataires du pacte ne pourront pas revendiquer le régime Dutreil lors de la transmission1. Si en revanche l’augmentation de capital intervient après la transmission alors que l’engagement collectif est encore en cours, la loi autorise l’absence de remise en cause du dispositif sous réserve de la conservation des titres par les signataires jusqu’au terme de l’engagement de conservation.
Un autre sujet à anticiper concerne la situation dans laquelle la PME familiale détiendrait des filiales opérationnelles et exercerait à leur égard un rôle de holding animatrice. Ce sujet est majeur dans la situation où le rôle animateur de la PME conditionne, pour son actionnariat familial, la revendication de dispositifs fiscaux de faveur (tels que le dispositif Dutreil ci-dessus, ou encore un dispositif d’exonération dans le cadre de l’actuel ISF ou du futur impôt sur la fortune immobilière2). À cet égard, l’entrée des investisseurs au capital de la holding animatrice devrait être moins problématique que leur arrivée au capital de l’une des filiales animées par la holding. En effet, dans ce dernier cas, il conviendra de veiller à ce que la participation et les prérogatives politiques détenues par les investisseurs ne conduisent pas à retirer à la holding le contrôle de la filiale et la capacité à en définir la stratégie, éléments nécessaires à la caractérisation de l’animation.
Une dernière illustration des impacts fiscaux à envisager concerne les éventuels avantages que les investisseurs peuvent revendiquer lors de leur souscription. En effet, l’application de ces dispositifs peut conduire à exiger le respect de conditions d’application spécifiques. Tel est le cas de la réduction d’impôt sur le revenu de l’article 199 terdecies-0 A du Code général des impôts3 que les souscripteurs peuvent revendiquer consécutivement à leur investissement mais qui exige le respect de nombreuses conditions d’application au niveau de la PME dont certaines, telles que la nature de l’activité exercée par la société, doivent être respectées pendant les cinq années au cours desquelles les investisseurs doivent conserver les titres souscrits.
Se préparer à une « nouvelle gouvernance »
En termes de gouvernance, l’ouverture du capital emportera des conséquences sur le fonctionnement de l’entreprise. L’arrivée d’actionnaires extérieurs s’accompagne d’une nécessaire adaptation d’un pouvoir décisionnaire auparavant souvent exclusif de tout partage. L’opération conduira à une « nouvelle gouvernance » reposant sur l’idée que les investisseurs seront amenés, par leur implication au sein des organes de gouvernance et par les droits qu’ils négocieront dans le cadre de l’opération, à surveiller l’action du management et à inscrire le groupe dans un cycle d’investissement avec un horizon de liquidité souvent différent et généralement plus court que celui de l’actionnariat familial. Bien comprendre quelles pourront être les demandes des investisseurs en termes de gouvernance et de liquidité et s’y préparer, est une condition sine qua non d’une négociation réussie le moment venu.
Prévoir d’aligner les intérêts du management non familial avec celui des actionnaires familiaux et des investisseurs
Une opération de build-up est également souvent l’occasion d’impliquer et d’intéresser le management non-familial dans le capital du groupe afin de le faire participer à la création de valeur et de renforcer l’alignement d’intérêts avec les actionnaires. Les investisseurs sont à cet égard souvent demandeurs d’un tel alignement qui peut ne pas être dans la culture de l’actionnariat familial. Il convient de pouvoir, en amont de l’opération, examiner les dispositifs qui peuvent être utilisés pour créer cet alignement d’intérêts, identifier les bénéficiaires, se préparer à la mise en place de tels dispositifs et chiffrer les coûts associés.
Anticiper le changement de dimension et les effets de seuilsÂ
Le changement de taille induit par la croissance externe doit également être intégré dans la réflexion initiale. L’intégration de nouvelles équipes, parfois situées à l’étranger, comme le recours à des financements d’acquisition de plus en plus structurés, peuvent nécessiter la mise en place d’une nouvelle organisation plus adaptée aux besoins du « nouveau groupe ».
Enfin, les opérations de build-up peuvent s’accompagner d’effets de seuil faisant entrer le groupe dans le champ d’application de nouvelles obligations contraignantes qu’il convient alors de connaître pour s’y préparer. Ce peut être le cas en matière de droit social mais aussi dans d’autres domaines comme, par exemple, en matière de réglementation de lutte contre le blanchiment des capitaux avec les dispositions de la loi Sapin 2 qui imposent aux dirigeants de groupes dépassant certains seuils de personnel et de chiffres d’affaires, de prendre des mesures particulières de prévention.
Notes
1 Sous réserve de l’hypothèse dans laquelle les investisseurs adhéreraient au pacte, ce qui demeure une situation improbable en pratique.
2 Rappelons en effet que l’actuel projet de loi de finances pour 2018 prévoit, à compter du 1er janvier 2018, le remplacement de l’Impôt sur la fortune (ISF) par un Impôt sur la fortune immobilière (IFI) qui permettra sous certaines conditions d’exonérer l’immobilier d’exploitation logé dans une foncière qui le donne en location à une ou des sociétés soeurs, l’ensemble des sociétés (foncière et opérationnelle) étant logé sous une holding animatrice.
3 Observons qu’en pratique, le dispositif de réduction d’ISF en cas d’investissement au capital des PME a été assez largement utilisé par les candidats à l’investissement. Toutefois, le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la suppression de ce dispositif sous réserve de la possibilité de réaliser les derniers investissements avant le 31 décembre 2017 qui pourront venir réduire le seul IFI 2018. Parallèlement, le projet de loi prévoit le renforcement de la réduction d’impôt sur le revenu, mais de manière assez relative, le taux de la réduction d’impôt étant relevé de 18 à 25% du montant de la souscription (l’avantage étant soumis au dispositif de plafonnement des niches
Auteurs
Christophe Blondeau, avocat associé Corporate/Fusions & acquistions
Matias Labé, avocat counsel, droit fiscal
Louis-Nicolas Ricard, Professional Support Lawyer