Entre ordre public conventionnel et primauté de l’accord d’entreprise : une articulation délicate
2 février 2017
Avec la loi n°2016-1088 du 8 août 2016 relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, une plus large place est accordée à la négociation collective.
La hiérarchie des normes n’est pas bouleversée, mais les partenaires sociaux vont désormais devoir composer avec deux notions consacrées par cette réforme : celle de la primauté de l’accord d’entreprise admise dans certains domaines, et celle de la suprématie de la branche concrétisée par la possibilité pour cette dernière de définir son propre ordre public conventionnel. L’articulation de ces différents concepts et leur impact sur la répartition des rôles entre l’entreprise et la branche méritent cependant quelques explications.
La loi du 4 mai 2004 a, pour la première fois, autorisé les accords d’entreprise à déroger, y compris dans un sens moins favorable, aux accords de branche, à condition que ces derniers ne l’interdisent pas expressément, excepté dans les domaines relevant du socle minimal de garanties réservé à la branche (salaires minima, classifications, protection sociale complémentaire et mutualisation des fonds de la formation professionnelle).
La loi du 20 août 2008 est allée plus loin en donnant la priorité aux entreprises, par rapport à la branche, pour fixer certaines modalités d’organisation du temps de travail, de recours aux heures supplémentaires et de fonctionnement du compte épargne-temps.
Avec la loi El Khomri, la place accordée à la négociation d’entreprise dérogatoire évolue encore davantage :
- elle avance en matière de durée du travail, de congés payés et de congés exceptionnels.
Dans ces domaines, dont la liste pourrait être prochainement complétée du fait de la réécriture annoncée du Code du travail, la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche devient le principe ; - elle recule, en revanche, du fait de l’extension des domaines dans lesquels il est interdit de déroger par accord d’entreprise à l’accord de branche.
Le socle minimal de garanties de la branche, portant sur les quatre thèmes précités (salaires minima, classifications, protection sociale complémentaire et mutualisation des fonds de la formation professionnelle), est complété par la prévention de la pénibilité et l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes.
Dorénavant, chaque branche va, par ailleurs, devoir définir ses propres « mesures impératives » auxquelles l’entreprise ne pourra pas déroger, en dehors des thèmes pour lesquels la loi prévoit expressément la primauté de l’accord d’entreprise (durée du travail et congés en l’état).
D’ici à la fin de l’année 2018, les branches professionnelles devront engager des négociations pour définir, sous cette réserve constituée par la primauté de l’accord d’entreprise, leur ordre public conventionnel.
Plus encore qu’auparavant, la place accordée aux accords d’entreprise dépendra donc de l’étendue des domaines que la branche se réservera.
Plus l’ordre public conventionnel se développera, plus les possibilités offertes aux entreprises de négocier un accord dérogatoire à l’accord de branche se réduiront, d’autant que les employeurs seront quoi qu’il arrive empêchés d’intervenir dans les six domaines constituant le socle minimal de garanties réservé à la branche.
A l’inverse, plus les thèmes soumis au principe de primauté de l’accord d’entreprise se multiplieront dans le cadre de la réécriture annoncée du Code du travail, plus l’entreprise sera invitée à négocier à la place de la branche.
Potentiellement, la négociation d’entreprise dérogatoire pourrait donc à l’avenir se développer.
Difficile, pour autant, de dire dès à présent si cela est réaliste.
En pratique, les négociations d’entreprise demeurent généralement consacrées aux questions relatives à l’aménagement du temps de travail, en dépit de la souplesse consentie aux employeurs depuis 2004 (soit parce que les entreprises n’ont pas jugé opportun de négocier sur d’autres thèmes, soit parce que les branches ont verrouillé leurs conventions collectives en empêchant aux entreprises d’y déroger dans un sens moins favorable).
Les employeurs vont, par ailleurs, devoir composer avec une contrainte supplémentaire puisque l’accord majoritaire a vocation à devenir la règle au niveau de l’entreprise d’ici au 1er septembre 2019. Convaincre les organisations syndicales de signer un accord dérogatoire au dispositif prévu au niveau de la branche pourrait donc devenir encore plus compliqué qu’auparavant.
Pour toutes ces raisons, la réforme de 2016 conduira à coup sûr à la consécration du rôle des branches ayant une réelle activité conventionnelle, mais il n’est en revanche pas certain qu’elle bouleverse l’équilibre des normes et qu’elle favorise réellement la négociation au niveau de l’entreprise.
Auteur
Florence Bonnet-Mantoux, avocat. en droit social
Entre ordre public conventionnel et primauté de l’accord d’entreprise : une articulation délicate – Article paru dans Les Echos Business le 2 février 2017
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