Egalité de rémunération : comment l’apprécier ?
23 décembre 2014
Deux arrêts rendus le 22 octobre et le 13 novembre 2014 par la Cour de cassation viennent rappeler les conditions d’appréciation du principe d’égalité de rémunération, qui, s’il est ancien, reste difficile à appréhender.
Le principe d’égalité de rémunération était initialement circonscrit à des catégories spécifiques de salariés auxquels le législateur entendait accorder une protection particulière, en raison de la précarité de leur situation (CDD, intérimaires) ou de leur sexe.
Le Code du travail exige ainsi que «tout employeur assure, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, l’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes» (L.3221-2 du Code du travail).
Sous l’égide de la Cour de cassation, a émergé un principe plus général d’égalité de rémunération – résumé dans la formule «à travail égal, salaire égal» – contraignant l’employeur à «assurer une égalité de rémunération entre tous les salariés, de l’un ou l’autre sexe, pour autant que ces derniers soient placés dans une situation identique» (Cass. Soc., 29 oct. 1996, n°92-43.680, Ponsolle).
Une fois posé ce principe, comment s’assurer en pratique du respect de l’égalité de rémunération entre deux salariés ou deux groupes de salariés ?
Devant le constat d’une disparité, le Code du travail et la jurisprudence commandent de procéder à une analyse en deux étapes.
La première consiste à s’assurer que les salariés objets d’une disparité de rémunération sont bien placés dans des situations identiques, autrement dit qu’ils sont «comparables».
La seconde consiste à observer concrètement la situation des salariés inclus dans le périmètre et, en cas de différence, rechercher si elle est justifiée par des raisons objectives et pertinentes.
Préalable indispensable : s’assurer de l’identité de situation des salariés amenés à être comparés.
Dans la première affaire, la Cour d’appel avait inversé ces deux étapes (Cass. Soc., 22 octobre 2014, n°13-18.362).
Une salariée avait été engagée en qualité de cadre stagiaire pour exercer les fonctions de Directeur Délégué des Ressources Humaines ; moins d’un an après, elle était confirmée dans son statut cadre, nommée Directeur des Ressources Humaines et siégeait au Comité de Direction aux côtés de ses homologues masculins.
Arguant notamment de ce qu’elle était rémunérée sur la base d’un coefficient conventionnel 600 – alors que ses collègues l’étaient sur la base d’un coefficient 800 – la salariée saisissait le Conseil de prud’hommes en vue d’obtenir divers rappels de salaires et indemnités, compensant ce qu’elle considérait être une inégalité de traitement.
Pour la débouter, la Cour d’appel s’était contentée de souligner qu’elle avait bénéficié d’une progression de son coefficient un an à peine après son embauche, alors que d’autres directeurs n’avaient obtenu ce coefficient qu’après plusieurs années, et qu’au demeurant elle ne dirigeait qu’un seul service, avec seulement six salariés sous son autorité et bénéficiait d’une délégation de pouvoirs limitée.
La décision est censurée, la Cour de cassation reprochant à la Cour d’appel d’avoir violé d’une part, l’article L.3221-2 du Code du travail, dont il a été rappelé qu’il pose le principe d’une égalité de rémunération entre les femmes et les hommes pour un travail de «valeur égale», et d’autre part l’article L.3221-4 du même code, au terme duquel ont une valeur égale «les travaux qui exigent des salariés un ensemble comparable de connaissances professionnelles consacrées par un titre, un diplôme ou une pratique professionnelle, de capacités découlant de l’expérience acquise, de responsabilités et de charge physique ou nerveuse».
Saisi d’une inégalité de traitement, le juge doit nécessairement et préalablement déterminer si le salarié accomplit un même travail ou un travail de valeur égale à celui du salarié auquel il estime devoir être comparé.
La Cour de cassation a une appréciation large de l’identité de situation : peuvent ainsi accomplir un travail de valeur égale des salariés qui exercent pourtant des fonctions complètement différentes dans des domaines d’activité nettement distincts : la rémunération d’une Directrice des Ressources Humaines a ainsi été comparée à celles d’un Directeur Commercial ou d’un Directeur Administratif et Financier (Cass. Soc., 6 juillet 2010, n°09-40.021).
A l’inverse, la seule appartenance à une même catégorie professionnelle n’implique pas nécessairement une identité de situation (Cass. Soc., 4 juin 2014, n°12-23.759).
Faute pour la Cour d’appel de s’être livrée à une comparaison de la situation, des fonctions et des responsabilités de la demanderesse avec celles de ses homologues masculins siégeant également au Comité de Direction, la censure de sa décision par la Cour de cassation est justifiée.
Le constat d’une inégalité de rémunération et sa justification par des motifs objectifs, pertinents au regard de l’avantage considéré et vérifiables.
Dans la seconde affaire, qui a donné lieu à l’arrêt du 13 novembre 2014 (n°12-20.069), un salarié occupant le poste de responsable de zones ventes et marketing à la suite de promotions successives s’estimait lésé par rapport à l’un de ses collègues, recruté au même poste mais à un échelon plus élevé et percevant à l’embauche une rémunération supérieure à la sienne.
L’employeur tentait de justifier la disparité existante par la différence de formation entre les deux salariés – l’un étant titulaire du baccalauréat tandis que l’autre était diplômé d’une école d’ingénieur – la pénurie de candidats lors de l’embauche du second et les meilleures performances de ce dernier.
Sa défense n’est qu’en partie accueillie par la Cour de cassation, qui saisit l’occasion pour rappeler les motifs susceptibles de justifier une différence de rémunération lors de l’embauche et au cours de la carrière.
Elle rappelle ainsi et à juste titre que si «les qualités professionnelles ou la différence de qualité de travail peuvent constituer des motifs objectifs justifiant une différence de traitement entre deux salariés occupant le même emploi» et expliquer «des augmentations de salaires plus importantes ou une progression plus rapide pour le salarié le plus méritant», elles ne peuvent justifier une telle différence lors de l’embauche «à un moment où l’employeur n’a pas encore pu apprécier les qualités professionnelles».
La Cour reconnaît également et implicitement, comme elle l’avait déjà fait auparavant, que les difficultés de recrutement peuvent constituer des raisons objectives de différenciation de la rémunération (Cass. Soc., 21 juin 2005, n°02-42.658).
Elle rappelle enfin que la détention d’un diplôme ne constitue pas en soi une raison objective et pertinente de différenciation au jour de l’embauche, sauf à ce qu’elle atteste «de connaissances particulières utiles à l’exercice de la fonction occupée».
Il faut reconnaître que cette jurisprudence tend à une plus grande équité salariale, et sanctionne les décisions qui seraient prises de manière arbitraire par les employeurs.
Elle n’en reste pas moins critiquable puisqu’elle nie, premièrement l’éventuelle valeur ajoutée qu’une formation – sanctionnée par un diplôme – peut apporter à un candidat, deuxièmement toute liberté contractuelle inhérente au recrutement, qui se résumerait à l’application d’une grille de rémunération, exclusive de toute négociation.
Auteur
Anne-Claire Hopmann, avocat en matière de droit social
Marie Sevrin, avocat en droit social
Article paru dans Les Echos Business le 22 décembre 2014
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