E-mails et SMS : état de la jurisprudence récente quant aux pouvoirs de contrôle de l’employeur
7 avril 2016
Les SMS et les courriers électroniques constituent un mode d’échange habituel y compris dans le cadre professionnel. La frontière entre les sphères privée et professionnelle de ces communications est parfois délicate à définir, surtout lorsque les salariés utilisent à des fins personnelles les moyens technologiques de l’entreprise.
Or, la qualification du caractère professionnel des échanges et des fichiers est essentielle afin de déterminer si l’employeur peut ou non en prendre connaissance sans la présence du salarié et le cas échéant s’en prévaloir valablement dans le cadre d’un contentieux prud’homal.
L’arrêt du 26 janvier 2016 nous permet de revenir sur les principes retenus par la Cour de cassation pour déterminer ce qui relève ou non des pouvoirs de l’employeur en la matière.
La présomption du caractère professionnel est susceptible de s’appliquer à l’ensemble des moyens de communication mis à disposition des salariés par l’employeur.
Il y a près de 15 ans, dans le cadre de l’arrêt NIKON, la Cour de cassation a affirmé que le salarié a «droit au respect de sa vie privée même au temps et au lieu de travail». Il s’en est déduit le principe selon lequel l’employeur n’est pas autorisé à prendre connaissance des messages du salarié identifiés comme «personnel» en dehors de sa présence.
Par conséquent, sur le plan de la preuve prud’homale :
- l’employeur peut valablement communiquer en justice des données n’ayant pas été identifiées comme «personnel» par le salarié sans encourir d’irrecevabilité au titre d’un procédé déloyal au sens des dispositions du Code civil et de la convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales ;
- s’agissant des informations identifiées comme «personnel» par le salarié et enregistrées sur l’outil de l’entreprise, elles sont susceptibles d’être contrôlées et produites en justice le cas échéant par l’employeur sous réserve qu’elles aient été consultées en présence du salarié ou, en son absence, lorsqu’il a été dûment convoqué à cet effet et qu’il ne s’est pas présenté (sauf risques particuliers).
Dans un contexte où l’employeur met à disposition de ses salariés de nombreux outils technologiques en vue d’une utilisation à des fins professionnelles (téléphone portable, ordinateur, tablette, smartphone, etc.), la Cour de cassation a étendu l’application de la présomption à l’ensemble de ces outils de communication. Ainsi, les fichiers informatiques non identifiés comme «personnel» sur l’ordinateur professionnel, les échanges d’emails depuis la messagerie professionnelle, les connexions Internet et plus récemment, les SMS sont présumés avoir un caractère professionnel lorsqu’ils sont envoyés, reçus ou créés depuis le matériel mis à disposition par l’employeur.
La principale limite au pouvoir de consultation de l’employeur et à la recevabilité de la production de ces messages en justice relève donc de l’identification par le salarié du caractère personnel des échanges ou des fichiers.
On cerne immédiatement les difficultés d’application de cette solution en pratique s’agissant des SMS, dès lors que, contrairement aux courriels et aux fichiers, les SMS ne disposent pas en principe d’un champ «objet», qui aurait pu accueillir la mention «personnel». Les juges seront amenés certainement à préciser les conditions d’application de cette présomption.
En revanche, cette présomption ne s’applique pas aux courriels provenant de la messagerie personnelle du salarié, même s’ils ont été consultés depuis l’ordinateur professionnel.
La Cour de cassation poursuit la construction de sa jurisprudence concernant le statut juridique des courriels que le salarié échange à partir de son ordinateur professionnel : dans un arrêt récent du 26 janvier 2016, elle a considéré que les messages électroniques, issus de la messagerie personnelle du salarié, distincte de sa messagerie professionnelle, devaient être écartés des débats.
La Cour de cassation considère que la production de ces courriels par l’employeur porte atteinte au secret des correspondances.
Pourtant, dans des arrêts récents, elle avait reconnu la recevabilité des preuves obtenues «par l’intermédiaire» de l’outil informatique professionnel (ainsi, les documents issus de la messagerie personnelle du salarié mais enregistrés sur l’ordinateur professionnel, ou les documents enregistrés sur une clé USB personnelle du salarié mais connectée à l’ordinateur professionnel ont pu être produits par l’employeur). Dans ces deux décisions, l’origine personnelle de l’information (messagerie et clé USB) n’a pas été jugée suffisante pour qualifier les données de «personnel».
Si bien que l’on aurait pu croire que l’élément déterminant de la présomption du caractère professionnel d’un document ou d’un message était, plus que leur origine, l’outil utilisé.
La Cour de cassation n’a pas tranché dans ce sens pour les messages envoyés via la messagerie personnelle : peu importe que l’ordinateur professionnel ait été utilisé pour se connecter à cette messagerie, seule compte la qualification personnelle de la messagerie pour caractériser les messages de «personnel».
Relevons néanmoins que si l’employeur n’a pas la faculté de contrôler le contenu des messages adressés ou reçus depuis la messagerie personnelle du salarié quand bien même ce dernier les consulterait via son ordinateur professionnel, les connexions prolongées et excessives d’un salarié à sa messagerie personnelle pendant le temps de travail sont susceptibles de caractériser un comportement fautif justifiant une sanction (sous réserve de la mise en place des dispositifs de contrôle et de surveillance conformes aux prescriptions de la CNIL et du Code du travail).
Auteur
Maïté Ollivier, avocat en droit social
E-mails et SMS : état de la jurisprudence récente quant aux pouvoirs de contrôle de l’employeur – Article paru dans Les Echos Business le 7 avril 2016
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