La durée du travail peut-elle donner lieu à un avantage individuel acquis ?
25 février 2015
En cas de dénonciation ou de remise en cause d’un accord collectif, et à défaut de nouvel accord, les salariés en place conserveront leurs avantages individuels acquis. La jurisprudence semble distinguer les avantages ayant un impact sur la rémunération de ceux s’inscrivant dans l’organisation du travail, par nature collective et évolutive.
L’avantage auquel peut prétendre un salarié peut être remis en cause selon des modalités distinctes selon sa source : contrat de travail, usage ou accord collectif.
Les avantages institués par un accord collectif ne sont ainsi pas contractualisés et peuvent donc être supprimés ou modifiés dans le cadre d’une révision ou lors d’une dénonciation avec conclusion d’un accord de substitution.
Le maintien des avantages individuels acquis
Cette règle connaît cependant une limite à travers l’application du maintien des «avantages individuels acquis» lorsque la disparition d’un accord à durée indéterminée à la suite de sa dénonciation ou de sa mise en cause (notamment à l’occasion d’un transfert d’entreprise) laisse un vide conventionnel (Articles L2261-13 et L2261-14 du Code du travail).
Indépendamment du préavis, et si l’accord collectif antérieur n’a pas été remplacé par un nouvel accord, le droit du travail prévoit ainsi deux filets de sécurité supplémentaires pour les salariés :
- tout d’abord, un délai de survie d’un an de l’accord collectif à compter de l’expiration du préavis ;
- ensuite, la résurrection à cette échéance des avantages conventionnels ayant la nature d’avantages individuels acquis (AIA). Ceux-ci s’intègrent en effet au contrat de travail des salariés alors en poste et ne peuvent donc pas être modifiés sans l’accord de ces derniers. Cette différence de traitement à leur profit ne peut être contestée sur le terrain de l’égalité de traitement car elle est expressément prévue par la loi.
Notons tout d’abord que ce maintien ne s’applique pas lorsque les partenaires sociaux trouvent un accord dit de substitution. C’est ainsi pour le législateur, en quelque sorte, une sanction à l’échec des négociations, et un moyen de pression pour inciter l’employeur à conclure un tel accord. Encore faut-il éviter que cela n’encourage certains à privilégier l’immobilisme.
L’AIA suppose la coexistence de trois éléments cumulatifs : un avantage (1) à caractère individuel (2) et acquis (3).
- L’existence d’un avantage ne soulève pas de difficulté majeure. Il peut s’agir d’un élément de rémunération ou d’un droit;
- Il doit être individuel, l’intéressé en bénéficiant à titre personnel. Même si cette notion est beaucoup plus délicate à cerner, c’est selon la jurisprudence, toujours le cas du niveau et de la structure de la rémunération.
- L’avantage susceptible de survivre à la dénonciation doit enfin être acquis et donc ouvert et non simplement éventuel. Ainsi, l’indemnité de licenciement ne constitue pas un avantage acquis pour un salarié dont le contrat est en cours. En revanche, une prime peut constituer un droit acquis. Mais elle est «gelée» au niveau atteint au moment de la dénonciation.
Avantage acquis et durée du travail
La situation est particulièrement complexe pour tout ce qui concerne l’organisation du temps de travail. Il apparaît difficile de ne pas lui reconnaître, par nature, un caractère collectif puisque cela concerne précisément la collectivité des salaires. C’est d’ailleurs la position de la majorité de la Doctrine. Sont des avantages collectifs ceux bénéficiant aux institutions représentatives, mais aussi « par nature, (…), les dispositions fixant l’ordre des licenciements économiques, l’horaire collectif de travail, ou certaines règles concernant les conditions de travail, la répartition entre les membres du personnel des pourboires » (Pr. E.Dockes).
Il semble ainsi fondé de soutenir qu’il n’y a pas d’avantage individuel acquis en la matière. La durée du travail s’inscrit nécessairement dans une organisation collective du travail qui renvoie au pouvoir de direction de l’employeur ainsi qu’à l’égalité des salariés. Un accord qui aménage le régime de la durée du travail a toujours vocation à organiser les conditions collectives de travail, et non pas à assurer un avantage particulier aux salariés en place qui pourrait s’avérer incompatible avec une nouvelle organisation du temps de travail.
En ce sens, la Cour de cassation a jugé en 2005, à propos d’une heure quotidienne d’entrainement physique rémunérée accordée aux agents de sécurité de la RATP, que «les avantages collectifs des salariés, applicables à tous, par la nature même du travail effectué et les nécessités de son organisation, ne constituent pas des avantages individuels acquis».
De même, elle semble avoir considéré dans un arrêt du 23 septembre 2009 –non publié et dont la rédaction reste malheureusement un peu ambiguë- que les jours de repos, pour des salariés en forfait jours, de «lnature exclusivement collective», ne présentent pas le caractère d’avantage individuel acquis.
Dans un arrêt du 8 juin 2011 appelé cette fois-ci à une large diffusion (P+B+R) elle a aussi jugé qu’une pause journalière de 45 minutes rémunérée constituait un avantage collectif puisque son maintien était incompatible avec le respect par l’ensemble des salariés concernés de l’organisation collective du temps de travail qui leur était désormais applicable. D’un point de vue pratique, cela évite les problèmes évidents d’organisation qu’auraient pu poser des temps de pause différents au sein d’une même équipe.
Et cette qualification est essentielle car si les règles concernant la durée et l’organisation du travail sont issues d’un accord collectif, la modification s’impose aux salariés qui ne peuvent alors pas invoquer la modification d’un élément de leur contrat de travail qu’ils seraient en droit de refuser.
Distinguer le temps de la rémunération
Un récent arrêt du 5 novembre 2014 (n°13-14.077) a cependant jeté une certaine confusion et mérite sans doute clarification.
La Cour de cassation y affirme en effet que le maintien de la rémunération du temps de pause constituait un avantage individuel acquis et casse un arrêt d’appel qui semblait pourtant reprendre la solution de 2011 en jugeant que le maintien de cette pause serait incompatible avec la nouvelle organisation du temps de travail puisqu’il impliquerait que ces salariés travaillent trente minutes de moins par jour que les autres.
Ce n’est cependant pas un revirement, la solution ayant déjà été affirmée en 2008. Contrairement à la Cour d’appel, la Cour de cassation distingue fermement entre le temps de travail et la rémunération. Les salariés intéressés pouvaient donc prétendre au paiement du temps de pause acquis lors de la dénonciation. En revanche, l’employeur peut, dans le cadre de son pouvoir de direction, modifier l’organisation du travail, y compris la durée des pauses et ce nouvel horaire s’applique à tous.
Si l’argent reste donc individuel, il semblerait que le temps, lui, ne soit pas un acquis.
Il sera intéressant de suivre la position de la Cour de Cassation dans sa nouvelle composition.
Auteur
Marie-Pierrre Schramm, avocat associée, spécialisée en conseil et en contentieux dans le domaine du droit social.
*La durée du travail peut-elle donner lieu à un avantage individuel acquis ?* Article paru dans le magazine Décideurs de février 2015
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