Droit des procédures collectives et droit des concentrations : retour sur leur cohabitation
Alors que l’Autorité de la concurrence (ADLC) est dans une phase d’étude en vue de modifier le droit français des concentrations et qu’elle envisage de publier de nouvelles lignes directrices sur le contrôle des concentrations en 20191, il est peu probable que le droit des concentrations connaisse des évolutions pour s’harmoniser plus encore avec celui des entreprises en difficulté.
Pour autant, la décision 18-DCC-95 du 14 juin 2018 de l’ADLC relative au contrôle exclusif du pôle « plats cuisinés » de William Saurin, a été abondamment commentée en raison du fait que, pour la première fois, le ministre de l’Economie a usé de son droit d’évocation et pris une décision annulant les engagements requis par l’ADLC.
Cette décision est ainsi l’occasion de revenir sur les passerelles existant entre ces deux domaines du droit. L’un et l’autre sont en effet appelés à cohabiter puisque la reprise d’une entreprise en difficulté est une opération de concentration, peu important qu’elle intervienne à l’occasion d’une sauvegarde, d’un redressement judiciaire ou d’une liquidation judiciaire.
Le droit français des concentrations repose sur un principe de notification obligatoire des opérations excédant certains seuils dont le non-respect peut être sanctionné, le cas échéant, par le rétablissement de la situation antérieure, c’est-à -dire par un démantèlement. L’obligation de notification est assortie de l’interdiction de mise en oeuvre de l’opération tant que l’autorisation n’est pas accordée. L’article L.430-4 du Code de commerce2 prévoit toutefois la possibilité de déroger à l’effet suspensif en cas de nécessité particulière dûment motivée, le cas échéant avec des conditions, la dérogation cessant d’être valable si, dans les trois mois suivant la réalisation effective de l’opération, cette dernière n’est pas notifiée à l’ADLC.
Le jugement d’un Tribunal de commerce entérinant une offre de reprise par un acteur économique tenu, en raison des chiffres d’affaires de son groupe et de la société reprise, d’obtenir l’aval de l’ADLC, peut se heurter à la logique du droit des concentrations. La possibilité d’une dérogation à l’effet suspensif va alors permettre de répondre concrètement à la nécessité de mettre en oeuvre l’offre de reprise validée par une décision de justice. Particulièrement utile en matière d’entreprises en difficulté elle peut d’ailleurs être obtenue, comme dans l’affaire William Saurin, avant même le jugement du Tribunal de commerce3.
Si cette facilité de dérogation est donc usuellement utilisée lors de la reprise d’une entreprise dans le cadre d’une procédure collective, on peut néanmoins se demander comment, d’un point de vue strictement juridique, une décision d’une autorité administrative comme l’ADLC pourrait venir affecter le périmètre d’une décision de justice et donc, en quelque sorte, prévaloir sur elle bien que cette situation ne semble pas s’être encore véritablement présentée.
Enfin, il convient de signaler dans le droit des concentrations l’exception de l’entreprise défaillante qui permet, dans certaines conditions, d’autoriser l’opération même si elle peut affecter la concurrence dès lors qu’il apparaît que ses effets sont neutres par rapport à l’hypothèse de la disparition de l’entreprise. Ainsi, il faudra pouvoir démontrer que :
- faute de reprise, l’entreprise viendrait à disparaître rapidement ;
- il n’existe pas d’offre de reprise emportant des conséquences moins dommageables pour la concurrence ;
- la disparition de l’entreprise en difficulté n’a pas d’effets moins dommageables pour les consommateurs que son rachat.
Le principe de cette exception qui repose sur des conditions strictes à réunir a été confirmé par le Conseil d’Etat en 20044 et est repris dans les lignes directrices de l’ADLC5
Notes
1 Communiqué de presse ADLC du 7 juin 2018.
2 Voir aussi lignes directrices concentrations p. 39.
3 L’ADLC invite les entreprises, dans ses lignes directrices point 127, à faire la demande au moins cinq jours avant la prise de décision du Tribunal.
4 Conseil d’Etat, 6 février 2004.
5 Points 561 et suivants.
Auteur
Denis Redon, avocat associé, droit douanier et droit de la concurrence