Distributions reçues ou versées : des opportunités de réclamation à considérer en cette fin d’année
La date du 31 décembre approche avec, pour les sociétés, la question de l’intérêt à déposer des réclamations tendant au dégrèvement ou au remboursement d’une imposition qu’elles estimeraient avoir indûment supporté, en règle générale depuis le 1er janvier 2013, afin d’éviter de voir leurs droits prescrits. Plusieurs contentieux portant sur les dividendes doivent les inciter à réclamer.
Rappelons que les sociétés sont en règle générale recevables à déposer des réclamations jusqu’au 31 décembre de la deuxième année suivant, selon le cas, celle :
- soit de la mise en recouvrement du rôle, de la notification d’un avis de mise en recouvrement, ou du versement de l’impôt contesté si cet impôt n’a pas donné lieu à l’établissement d’un rôle ou à la notification d’un avis de mise en recouvrement ;
- soit de la réalisation de l’évènement qui motive la réclamation (article R196-1 du Livre des Procédures Fiscales).
Les sociétés conservent une possibilité de réclamer contre une imposition malgré l’expiration du délai normal lorsqu’elles sont soumises à un contrôle fiscal.
Les sociétés ayant procédé ou bénéficié d’une distribution de dividende depuis 2012 pourraient avoir intérêt à déposer une réclamation dans les situations détaillées ci-après.
1. Impôt afférent à la quote-part de frais et charges, acquitté sur les distributions de dividendes en provenance de filiales « européennes » détenues à plus de 95%
La CJUE a jugé (CJUE, 2 septembre 2015, Groupe Steria SCA, C-386/14) que :
- la législation française, en réservant la neutralisation de la quote-part de frais et charges (QPFC) égale à 5% du dividende perçu par une société mère française aux dividendes d’origine nationale, sans que cette exonération ne puisse être appliquée aux distributions en provenance d’une filiale établie dans l’Union Européenne et détenue à plus de 95%, créait bien une restriction contraire à la liberté d’établissement
- et que cette restriction n’apparaissait pas justifiée et ne pouvait en particulier être légitimée par la cohérence de l’intégration fiscale.
Les sociétés mères françaises qui ont reçu une distribution de dividende d’une filiale à 95% établie dans l’Union Européenne (ou dans un Etat de l’Espace Economique européen ayant conclu avec la France une convention fiscale contenant une clause d’entraide administrative), pourront donc réclamer, sur ce fondement, la restitution de l’impôt afférent à la quote-part de frais et charges acquitté au titre de cette distribution.
Une réclamation déposée avant le 31 décembre 2015 permettra de solliciter valablement la restitution de l’impôt acquitté en 2013 au titre des distributions faites en 2012 (voire, rappelons-le, au titre d’une année plus ancienne dans le cas où la société aurait fait l’objet de rectifications en matière d’IS portant sur des exercices antérieurs).
Les sociétés mères françaises devront veiller en premier lieu à prouver que leur filiale « européenne » remplissait les conditions posées par le régime de l’intégration fiscale, en fournissant les justificatifs prouvant (a) l’assujettissement de la filiale à un impôt équivalent à l’IS dans son Etat de résidence dans les conditions de droit commun (attestation des autorités fiscales étrangères par exemple), (b) l’ouverture et la clôture de l’exercice à la même date que la société mère (copie des liasses des exercices concernés), et (c) la détention directe ou indirecte d’au moins 95% par la société mère, de manière continue au cours de l’exercice.
Les sociétés mères françaises devront, en second lieu, joindre à leur réclamation la preuve (a) de l’identité et de l’Etat de résidence de chaque filiale distributrice, (b) de la réalité du versement des dividendes de chaque filiale (procès-verbal d’AG), et de (c) l’assujettissement en France de la quote-part de 5% afférente à la mise en paiement litigieuse.
Certains arguments existent au soutien de réclamations visant à obtenir la restitution de l’IS afférent à la quote-part de frais et charges, acquitté sur les distributions en provenance (i) de sociétés françaises non intégrées ou (ii) de sociétés établies dans des Etats tiers à l’UE et à l’EEE (détenues à au moins 95%). L’issue de telles réclamations est cependant incertaine, en l’absence de toute jurisprudence dans ces situations.
2. Contribution de 3% sur les distributions
L’arrêt de la CJUE Groupe Steria pourrait par ailleurs servir de fondement, par ricochet, à une réclamation aux fins de restitution de la contribution de 3% sur les distributions (prévue à l’article 235 ter ZCA du Code général des impôts) qu’une société française opère au bénéfice d’une société établie dans l’UE ou l’EEE.
Les distributions à l’intérieur d’un groupe fiscalement intégré sont exonérées de la contribution, tandis que la distribution donne lieu au versement de la contribution lorsque la distribution bénéficie à une société mère établie sur le territoire de l’UE ou de l’EEE et détenant la société distributrice à au moins 95%. L’article 235 ter ZCA du CGI institue à ce titre une différence de traitement entre les filiales françaises, selon qu’elles sont détenues à plus de 95% par une société mère intégrante française ou par une société « européenne« .
La Commission Européenne, doutant de la conformité de cette différence de traitement à la liberté d’établissement, a à ce titre d’ores et déjà initié une procédure d’infraction contre la France.
L’arrêt Groupe Steria conforte ce point de vue. Les arguments susceptibles d’être avancés par la France pour justifier cette restriction, tirés de la répartition équilibrée du pouvoir d’imposer et de la cohérence du régime de l’intégration fiscale, écartés dans l’arrêt, pourraient ne pas être davantage retenus pour apprécier la légitimité de la différence de traitement instituée par l’article 235 ter ZCA du CGI.
Les sociétés distributrices placées dans une telle hypothèse pourront utilement se prévaloir de ces éléments pour réclamer la restitution de la contribution de 3% acquittée sur de telles distributions, une réclamation formulée avant le 31 décembre 2015 permettant de remonter à l’imposition acquittée en 2013.
Certains arguments pourraient par ailleurs être mobilisés à l’effet de soutenir que la contribution de 3% est contraire à la directive mères-filiales lorsqu’elle frappe des distributions prélevées sur des résultats constitués de dividendes reçus de filiales européennes.
Il conviendra en tout état de cause d’être particulièrement attentif à documenter les flux décrits dans la réclamation.
3. Exonération d’impôt sur les sociétés issue du régime mère-fille
Rappelons que les sociétés mères qui remplissent un certain nombre de conditions peuvent retrancher de leur bénéfice imposable les produits de leurs filiales sous réserve d’une quote-part de frais et charges de 5% (CGI, art. 145 et 216). Parmi les conditions exigées figurent l’obligation pour la mère de détenir une participation représentant 5% au moins du capital de la filiale et la nécessité de détenir la participation pendant un délai de deux ans. Plusieurs décisions relativement récentes ont apporté des précisions sur la portée de ces deux conditions, et sont susceptibles de servir de fondement à des réclamations.
3.1. Le Conseil d’Etat a ainsi eu à connaître de la question de savoir si une participation d’au moins 5% dans le capital de la société émettrice était suffisante pour bénéficier du régime mère-fille ou s’il fallait en outre que la participation représente au moins 5% des droits de vote.
Le Conseil d’Etat a jugé (CE, 5 novembre 2014, n°370650, Sofina, et CE, 3 décembre 2014, n° 363819, Société Financière Pinault), qu’en application de l’article 145, 1-b du CGI, le régime mère-fille s’applique aux sociétés soumises à l’IS qui détiennent des titres de participation représentant au moins 5% du capital de la société émettrice. Une société détenant des titres de participation représentant au moins 5% du capital de sa filiale peut donc prétendre au régime, quel que soit le pourcentage des droits de vote attachés à cette participation.
Le Conseil d’Etat a toutefois fait une distinction entre le champ d’application du régime et la définition des produits exonérés, en jugeant qu’en application de l’article 145, 6-c du CGI, les produits des titres de participation auxquels ne sont pas attachés de droits de vote sont exclus du régime spécial sauf si la société détient des titres représentant au moins 5% du capital et des droits de vote de la société émettrice.
Les sociétés détenant 5% du capital mais moins de 5% des droits de vote de leur filiale ayant procédé à une distribution de dividende, et qui n’auraient pas bénéficié de l’exonération issue du régime mère-fille sur les distributions afférentes à ceux des titres auxquels sont attachés des droits de vote pourront utilement solliciter, par voie de réclamation déposée avant le 31 décembre 2015, l’exonération d’impôt sur les sociétés dont elles ont pu être privées à tort lors de la liquidation en 2013 de l’impôt sur les sociétés afférent aux distributions faites en 2012.
3.2. Le Conseil d’Etat a également eu à connaître dernièrement de l’interprétation à donner à la condition de détention des participations pendant 2 ans dans une affaire Technicolor. Technicolor SA (anciennement Thomson SA) avait acquis en 2000 une participation de 3,19% de Canal + Technologie, participation qu’elle avait augmenté par la suite jusqu’à détenir 100% de la société en 2004. Technicolor SA avait perçu en 2004 un dividende de sa filiale à 100%.
La question posée au Conseil d’Etat était de savoir si l’exonération issue du régime mère-fille s’applique, ou non, à l’ensemble des produits de la participation dès lors que le socle minimal de 5% de participation est détenu depuis au moins 2 ans.
Le Conseil d’Etat a jugé (arrêt CE, 15 décembre 2014, n°380942, SA Technicolor) que les dispositions fondant le régime mère-fille français devaient être interprétées à la lumière de la directive européenne, qui prévoit que la durée minimale de détention (lorsqu’elle est prévue) n’est imposée que pour la fraction des titres donnant droit à la qualité de société mère. L’exonération du régime mère-fille s’applique donc, selon le Conseil d’Etat, à l’ensemble des produits de la participation dès lors que le socle minimal de 5% de participation est détenu depuis au moins de 2 ans.
Les sociétés concernées pourront là encore utilement solliciter, par voie de réclamation déposée avant le 31 décembre 2015, l’exonération d’impôt sur les sociétés dont elles ont pu être privées à tort lors de la liquidation en 2013 de l’impôt sur les sociétés afférent aux distributions faites en 2012.
3.3. Enfin, le Conseil d’Etat a été récemment saisi d’une QPC visant à contrôler la constitutionnalité du refus, prévu par les dispositions de l’article 145 6-b ter du CGI (aujourd’hui l’article 145 6-c évoqué ci-avant au point 3.1), d’appliquer l’exonération issue du régime mère-fille aux actions d’autocontrôle et aux actions sans droit de vote.
Cette QPC a été considérée comme sérieuse en considération du fait qu’en excluant l’application de l’exonération aux produits des titres de participation auxquels aucun droit de vote n’est attaché, alors que la directive européenne (articles 1 et 4) ne prévoit pas une telle restriction, les dispositions de l’article 145 6-b ter du CGI ne peuvent être légalement appliquées qu’aux situations concernant uniquement des sociétés françaises (situées hors du champ de la directive), ce qui crée une différence de traitement entre les sociétés mères françaises, selon que les filiales dont elles perçoivent des distributions sont établies en France ou dans un autre Etat membre de l’Union Européenne.
Le Conseil d’Etat a en conséquence renvoyé au Conseil Constitutionnel, le 12 novembre dernier, la question de la conformité à la Constitution de ces dispositions.
Une décision concluant à l’inconstitutionnalité des dispositions litigieuses aurait pour conséquence l’abrogation de ces dispositions, mais dans plusieurs décisions, le Conseil constitutionnel a limité les effets dans le passé aux seules instances en cours à la date de la publication de sa décision. Les sociétés concernées auront ici intérêt à déposer une réclamation sans tarder, de façon à sauvegarder leurs droits.
Auteur
Christophe Leclère, avocat spécialisé en matière de fiscalité directe.