Disparition du tribunal des affaires de sécurité sociale : ce qui a changé au 1er janvier 2019
15 janvier 2019
La loi de modernisation de la justice au XXIe siècle du 18 novembre 2016 a procédé à la suppression des juridictions spécialisées dans le contentieux de la sécurité sociale pour transférer ces litiges au Tribunal de grande instance. Cette réforme est entrée en vigueur le 1er janvier 2019. Si aucune révolution de ce contentieux n’est à attendre, il n’en demeure pas moins que des nouveautés procédurales précisées par un décret du 29 octobre 2018 méritent la vigilance des entreprises.
Une réforme de rationalisation voulue pour les justiciables les plus vulnérables, sans bouleversement pour les entreprises
L’objectif de la réforme mise en œuvre par la loi de modernisation de la justice au XXIe siècle est, selon l’exposé des motifs de la loi, de mieux répondre aux besoins des justiciables les plus vulnérables (travailleurs indépendants économiquement fragiles, personnes malades, bénéficiaires de prestations sociales qui ont de faibles ressources, personnes handicapées, etc.) face à la complexité du contentieux de la sécurité sociale. Pour cela, la loi a simplifié l’organisation de ce contentieux, traditionnellement éclaté entre plusieurs juridictions, en l’unifiant à partir du 1er janvier au sein d’un nouveau pôle social du Tribunal de grande instance (TGI).
Ainsi le contentieux technique de la sécurité sociale, qui relevait du Tribunal du contentieux de l’incapacité, une partie du contentieux de l’aide sociale, qui relevait auparavant des commissions départementales d’aides sociales, et le contentieux général de la sécurité sociale, traité auparavant par le Tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), sont simplifiés puisque traités par une juridiction unique.
Le contentieux de la sécurité sociale s’en trouve indéniablement plus lisible et par conséquent plus accessible pour les justiciables les plus vulnérables.
L’objectif de la réforme étant de simplifier les démarches judiciaires de ce public, peu de changement sont donc intervenus pour les entreprises. Celles-ci sont pourtant confrontées à de nombreux litiges de sécurité sociale, à savoir principalement le contentieux URSSAF, la procédure de reconnaissance d’une faute inexcusable ou de l’existence d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle.
Ces litiges, qui étaient auparavant traités par le TASS, sont donc eux aussi transférés depuis le 1er janvier au pôle social du TGI nouvellement créé, sans pour autant opérer une révolution copernicienne du contentieux.
Un nouveau pôle social du TGI calqué sur les anciens TASS
Le décret du 29 octobre 2018 a en effet confirmé ce qu’augurait la loi de modernisation de la justice : la composition et le fonctionnement du nouveau pôle social du TGI reprennent pour l’essentiel les dispositions qui étaient applicables aux TASS. Dès lors, les litiges de sécurité sociale vécus par les entreprises ne subiront pas de changements majeurs.
Ainsi les affaires continuent d’être jugées par une juridiction collégiale composé d’un magistrat professionnel et de deux assesseurs, l’un représentant les travailleurs salariés, et l’autre les employeurs et travailleurs indépendants.
Une saisine préalable de la commission de recours amiable continue d’être un impératif avant tout recours devant le juge. De même, la procédure demeure orale devant le TGI, et sans représentation obligatoire devant la Cour d’appel. L’inverse aurait d’ailleurs été à craindre, puisque le fait d’imposer une représentation obligatoire devant le TGI et la Cour d’appel aurait très certainement nui à l’accessibilité de ces juridictions.
Quant aux contentieux en cours devant les TASS au 31 décembre dernier, le décret du 29 octobre 2018 a prévu leur transfert automatique au TGI, sans qu’il ne soit nécessaire pour l’entreprise partie à un litige de réaliser la moindre démarche. Les entreprises se verront ainsi adresser une nouvelle convocation par le TGI et les greffes des TASS les ont, en général, déjà informées lors du dernier trimestre 2018 des modalités de transfert de leur dossier.
Est-ce à dire pour autant que rien n’a changé depuis le 1er janvier ? Il serait faux de l’affirmer tant certaines subtilités nouvelles de procédure sont susceptibles d’influencer le cours des procès.
Tour d’horizon de quelques nouveautés de procédures depuis le 1er janvier 2019
Sans prétention à une présentation exhaustive, quelques points peuvent dès à présent retenir l’attention des DRH.
Le premier point qui mérite la vigilance pour les contentieux nés après le 1er janvier 2019 est l’allongement du délai au-delà duquel les commissions de recours amiable sont réputées avoir rejeté la demande de l’entreprise.
Ce délai jusqu’ici d’un mois est passé à deux mois depuis le 1er janvier. Or les entreprises saisissent bien souvent les TASS (et désormais les TGI) sur la base d’une décision implicite de rejet de la commission de recours amiable (CRA). L’entreprise saisissant sur décision implicite depuis le 1er janvier 2019 devra bien veiller à ne pas saisir le TGI trop tôt, c’est-à-dire avant l’expiration d’un délai de deux mois après sa saisine de la CRA, date à laquelle une décision implicite de celle-ci sera effectivement intervenue.
Deuxièmement, les entreprises devront porter une attention très particulière à la juridiction territorialement compétente. En effet, par effort de rationalisation, la réforme a limité le nombre de juridictions en charge de ce contentieux. Ainsi, certaines Cours d’appel se voient dépossédées du contentieux général de la sécurité sociale qui a été transféré à l’une de leurs voisines. Il s’agit ainsi des cours d’Agen, Bourges, Chambéry, Douai, Limoges et Reims, qui ne traitent plus de ce contentieux depuis le 1er janvier, lequel a été transféré respectivement aux cours de Toulouse, Orléans, Grenoble, Amiens, Poitiers et Nancy. Par ailleurs, la cour d’appel d’Amiens devient nationalement compétente pour juger du contentieux technique de la tarification.
Les vérifications de la cour territorialement compétente sont donc de mise pour les appels exercés depuis le 1er janvier.
Troisièmement, certains pouvoirs inédits sont désormais attribués au président de la formation de jugement. Ainsi, celui-ci peut à présent rejeter seul et par ordonnance motivée les requêtes manifestement irrecevables. L’on peut regretter qu’aucun débat contradictoire ne soit prévu, alors même qu’il permettrait à l’entreprise d’être entendue sur la difficulté de recevabilité relevée par le juge.
De plus, le président de la formation de jugement peut désormais exercer les mêmes pouvoirs que le juge de la mise en état du TGI prévues aux articles 763 à 781 du Code de procédure civile, dispositions normalement réservées aux procédures écrites.
Au vu de ce dernier pouvoir, l’on est en droit de s’interroger sur la pratique qu’en feront les juridictions et si, finalement, cela ne permettrait pas de rapprocher le contentieux de la sécurité sociale d’une procédure écrite, source de complexités procédurales et donc de confusion pour les justiciables, et surtout pour les plus vulnérables d’entre eux.
Auteurs
Thierry Romand, avocat associé, droit social
Martin Perrinel, avocat, droit social
Disparition du tribunal des affaires de sécurité sociale : ce qui a changé au 1er janvier 2019 – Article paru dans Les Echos Exécutives le 11 janvier 2019
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